Samir Ardjoum

Samir Ardjoum est critique de cinéma et réalisateur.   Vendredi est une fête * est son premier film. Une sorte d’introspection personnelle qui prend pour cadre le« Hirak ». A travers le regard sensible de l’humoriste Reda Seddiki,  l’auteur nous parle de son rapport au temps et à l’Algérie. Rencontre.

Le film a été réalisé en avril 2019. A quel moment avez-vous eu l’envie d’aller tourner en Algérie ?

Samir Ardjoum : En avril 2019. 

Qu’est-ce qui vous a décidé à faire un sujet autour du Hirak?
Je n’ai pas réalisé de film sur le Hirak. Cela ne m’intéressait pas de capter frontalement le mouvement, mais de l’utiliser pour parler de moi. De cette subjectivité qui m’accompagne depuis la période où j’exerçais le métier de critique de cinéma. C’est en rencontrant Réda que l’envie de faire un film s’est imposée à moi. Peu importe la manière, fallait que je tourne avec lui, que je filme ce corps. Cette impatience. Cette réflexion dans laquelle je me retrouvais. Puis le 22 février est arrivé. Et à cet instant, quelque chose me disait que je ne pouvais pas louper ce décor de cinéma. C’est ainsi que nous nous sommes lancés dans cette histoire.

Comment définiriez-vous votre film ? Un documentaire ou une fiction ? Ou les deux?
Juste un film.

Avez-vous bénéficié d’aides pour monter ce projet ? Combien de temps a-t-il fallu pour le finaliser (prêt à la diffusion)?
Aucune aide. Nous voulions le faire rapidement, dans l’urgence. Nous n’avons pas trop réfléchi à un plan de financement. Rémi Yacine, fondateur du site 213-info, nous a aidés pour la production. Il a mis à notre disposition la logistique idéale pour faire ce film. Là-bas en Algérie ou bien ici pour la post-production. Nous avons donc tourné en avril puis fait le montage et le mixage dans la foulée. Nous avons terminé en septembre, quelques jours avant la projection aux Rencontres Cinématographiques de Béjaia le 26 du même mois.

On suit Reda Seddiki, un humoriste algérien, qui est en quête de sens sur cette Algérie qui se réveille. Pourquoi avoir choisi ce type de narration?
Le Hirak signifie « mouvement ». Et comme j’ai toujours été sensible au déplacement d’un point A vers un Point B dans le cinéma, j’aimais bien l’idée que le corps de Réda soit constamment en mouvement. Physiquement ou moralement.

Certaines séquences semblent avoir été scénarisées (le dialogue de fin entre les deux personnages ou quand le comédien est adossé à un poteau). Est-ce qu’au contraire tout a été spontané?
Rien n’a été scénarisé. Il n’y avait que de la spontanéité. Il m’était impossible de construire une mise en scène de la redite. Je voulais filmer ce réel sans forcément lui retirer des choses.

Samir Ardjoum Hirak Algérie

Etait-ce facile de filmer avec une caméra quand on sait que le pouvoir algérien est très sensible à l’idée que ces manifestations soient médiatisées à l’étranger ?
Figurez-vous que c’est la chose la plus simple qui me soit arrivée. Prendre une caméra et filmer la vie algéroise sans être interrompu par un policier ou juste par un badaud refusant son image. C’est à ce moment que j’ai compris que quelque chose était entrain de se produire dans ce pays.

« Vendredi est une fête » montre bien que la parole et la créativité se sont libérées en Algérie. Pensez-vous que c’est un des acquis de cette révolution populaire?
Je pense que la parole et la créativité ont toujours été des parents proches du peuple. Il y a toujours eu une manière intéressante de regarder la société algérienne. Cinéma, littérature, peinture, radio…Il n’y avait pas forcément une industrie mais il y avait des propositions. Aujourd’hui, que dire ? Je ne sais pas….par contre, le temps nous dira, d’ici deux ou trois ans, sur quoi faut-il se retourner pour comprendre cette Algérie contemporaine. 

Tout au long de ses ballades algéroises, Reda ressent une sorte de sérénité personnelle qu’il partage avec la population. Est-ce que c’était aussi palpable de votre côté?
A partir du moment où je suis avec ma caméra, je me sens intouchable et invincible. Rien ne peut m’arriver car ce qu’il y a entre mon regard et le réel est cette passerelle qui me ramène à la vie.

Le temps qui s’est arrêté est un leitmotiv dans votre film. Est-ce une obsession chez vous?
Vous touchez un point très important dans mon rapport au cinéma. Je dirais même que c’est la chose la plus importante dans le cinéma que j’aime et que je souhaite faire. Le temps et ses déclinaisons. J’aime savoir que l’auteur a pactisé avec l’esprit libertaire du temps pour créer une œuvre filmique. Que ce rapport au temps soit le moyen le plus adapté pour lui de cerner sa société. Je suis vraiment très sensible à cet aspect. Je pense que dans mes prochains films, je continuerais à questionner le réel en travaillant davantage la notion du temps. Je pense que tout est affaire de respiration. Comment filmer ? Comment monter ce plan ? Et surtout quand l’arrêter afin qu’il n’asphyxie pas le rythme. Une véritable et saine obsession.

Bien que les manifestations ont été baptisés « Hirak » (« mouvement » en arabe), on a l’impression que certains protagonistes du film sont intellectuellement dans l’expectative. L’avez-vous ressenti ainsi?
Que faire d’autre que d’être dans l’attente ? (ré)Agir, certes, mais l’attente est omniprésente. Ils sont certes dans l’expectative, mais leur parole prolonge leurs actes.

Comment avez trouvé ce personnage le fantastique « taxieur » dont le cerveau s’est immobilisé à Cuba. ?
Il nous emmenait à un rendez-vous. On discutait avec lui sur le chemin. Très vite, il nous a semblé logique de l’intégrer dans ce film. Et l’avenir nous a donné raison.

Même si ce « taxieur » fait preuve d’ouverture d’esprit, n’est-il pas en quelque sorte l’archétype d’une Algérie des années 80 enfermée dans son habitacle et qui tourne en rond ?
Je me suis posé cette question. Mais comment aurais-je continué à vivre si l’on m’avait obligé à oublier l’Amour de ma vie ? Comment ? Je ne sais pas….vraiment pas.  Je le trouve très courageux d’être encore en vie. Je ne sais pas si j’aurais pu continuer à respirer dans ce genre de configuration.

Ce monsieur parle du Hirak comme d’un vendredi de fête. Est-ce que c’est lui qui vous a inspiré le titre de votre documentaire?
Rémi Yacine trouvait dans cette phrase une belle relation avec l’ambiance d’avril 2019. Nous avons fini par la conserver. Mais aujourd’hui, je l’aurais appelé autrement. 

Qu’est-ce que ce film vous a appris de la société algérienne d’aujourd’hui?
Rien que je savais déjà. A savoir qu’elle a toujours été en vie. Contrairement à ce que l’on a pu dire, raconter, filmer, jouer et moquer.

* Le film n’est pas distribué en salle

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk