Passionné de cinéma depuis son adolescence, Loïc Barché est un jeune réalisateur qui se sent concerné par les questions écologiques.  L’aventure atomique, en compétition au festival My French Film Festival, est son troisième film. Un court-métrage qui dénonce les essais nucléaires d’avril 1961 dans le désert algérien.. Entretien avec un citoyen éco-responsable.

Quelle est la genèse de L’Aventure atomique?

Dans mon précédent court-métrage qui s’appelait Goliath, je traitais déjà de la question du progrès et des nouvelles technologies via les algorithmes Facebook. J’avais envie cette fois-ci de faire un film plus politique.J’ai entendu parler de cette mission qui a eu lieu le 25 avril 1961 en Algérie, où la France a fait des tests en faisant exploser sa quatrième bombe atomique dans le désert. Elle a envoyé des jeunes soldats se rapprocher du point zéro 20 minutes après l’essai pour faire des prélèvements, des exercices de tir et pour voir à quel point les rayonnements étaient dangereux. Je me suis dit qu’il y avait un endroit de cinéma qui m’intéressait. Dans cette petite mission, il y avait beaucoup de questionnements sur le progrès et l’idéologie qui se cache derrière ce mot.J’avais aussi envie de faire un film dans le désert avec des gars qui marchent dans une grande étendue.

Le tournage a eu lieu en Tunisie.Avez vous sollicité une demande de tournage en Algérie?

On n’a pas sollicité de demande de tournage en Algérie. C’est la production qui a pris la décision d’aller en Tunisie car c’était plus facile pour trouver des infrastructures et des techniciens pour le film. Le Directeur de la production avait par ailleurs travaillé avec une société tunisienne qui s’appelle Godolphin. On savait que ce serait un atout assez fort de les avoir comme producteur exécutif sur place.

Le titre, « L’aventure atomique », suggère-t-il qu’on ne savait pas à l’époque où on allait?

C’est un titre ironique. C’est comme cela qu’on appelait à l’époque la recherche sur le nucléaire. Comme si c’était un titre de Tintin. Avec le recul, il y a quelque chose qui nous parait sinon désuet, un peu absurde.

On a l’impression qu’il y avait beaucoup d’improvisation, non?

En faisant des recherches, je me suis rendu compte que c’était difficile de trancher. Le fait d’envoyer des gens se rapprocher des rayonnements, c’est un mélange d’inconscience et de naïveté. Est ce que les gens qui ont fait cela savaient que c’était très dangereux et dévastateur? Ou bien faisaient ils semblant de ne pas savoir? C’est assez probable qu’il y ait eu un fort déni, l’envie de ne pas savoir. Ce déni existe encore aujourd’hui par rapport au réchauffement climatique. C’est plus facile que d’affronter les réalités.

Les décideurs notamment politiques étaient-ils conscients de ce danger?

C’est chez eux qu’il y avait de la naïveté, du déni ou de l’inconscience. Je crois qu’ils ne savaient pas parce qu’ils n’avaient pas envie de savoir. Pierre Messmer qui était Ministre des armées a assisté à un essai nucléaire sous-terrain quelques années plus tard (ndlr, le 1er mai 1962 à In Ecker, au nord de Tamanrasset) . Le bouchon qui devait contenir l’explosion atomique a sauté. Beaucoup de gens ont été irradiés dont M Messmer. Il est tombé malade. Il avait eu une leucémie qui est une des maladies typiques des gens irradiés. Un journaliste est allé le voir quelques semaines avant sa mort. Il lui a dit que c’était moche de mourir à cause des rayonnements radioactifs. Lui au seuil de sa mort réfutait cela en pensant qu’il n’avait pas eu de chance d’avoir eu cette leucémie. On peut avoir de sérieux doutes sur les causes naturelles de son décès. Quand on a pas envie de voir, on ne voit pas. 

Dans votre film un des personnages dit : « On est en train faire de grandes choses mon capitaine vous savez ». On a l’impression qu’ils étaient habités par la mission. Etaient-ils conditionnés au point d’être moins réceptifs au danger qu’ils courraient?

Le personnage du scientifique est sincère quand il dit cela.Il y a aussi toute une idéologie derrière qui présidait à la période des 30 Glorieuses en France. Ce qui fallait viser avant tout, c’était la croissance économique. Tout la justifiait. C’est quelque chose qui n’a pas beaucoup changé. Pour atteindre cette croissance les hommes politiques sont prêts à faire d’énormes sacrifices sur tout le reste et notamment sur le climat. 

Un peu comme la France qui s’apprête à exploiter le gaz de schiste en Algérie.

Complètement. A l’époque, il y avait eu un bon technologique qui permettait aux foyers de bénéficier d’un confort matériel beaucoup plus important. Avoir un réfrigérateur, c’était fou. Le fait de conserver les aliments plus longtemps changeait la vie des Français. C’est là où les personnages se disaient qu’ils faisaient des choses incroyables.

Dans le film le militaire parait un peu plus lucide. Il dit notamment : « je ne peux mettre mes hommes en danger si je ne sais pas ce qu’on fait . C’est quoi ces radiations? C’est dangereux ou pas?» Le scientifique lui répond :« Qu’est ce que vous voulez que je vous dise? C’est justement pour savoir si c’est dangereux qu’on est ici ». Cela ressemble à de l’improvisation, non?

Quand ils font des prélèvements on sous-entend qu’ils essaient de mesurer l’impact  des rayonnements sur les choses, sur l’environnement. Et quand il dit : « C’est justement pour savoir si c’est dangereux qu’on est ici », il dit que c’est nous qui sommes les cobayes de l’expérience. Il avoue quelque chose à ce moment là. Ce n’était pas très admis à l’époque. Au début du film, on voit le scientifique qui ramasse un scarabée. En fait, ce sont eux les scarabées dans le désert qui s’enterrent à la fin. Ils sont à la place des insectes qu’ils prélèvent.

Le scientifique du CEA est omnibulé par sa mission « qu’il attend depuis trop longtemps ».  Il attaque verbalement les militaires en les menaçant d’être jugés pour désertion. Pour lui ça équivaut à une trahison de la patrie.

C’est une trahison parce qu’il vise quelque chose qui est beaucoup plus haut, qui est plus important que la vie de quelques hommes.C’est très valorisant pour lui.  Même s’il doit se sacrifier pour cela, il le fera. C’est à cela qu’on reconnait un fanatique.

Ils sont un peu aveuglés par leur mission

Oui, il y a une sorte d’aveuglement.

Sait-on quelle surface un essai irradie? Et combien d’années faut il pour que le site en question soit hors de danger pour les populations environnantes?

C’est très difficile à dire. Aujourd’hui, certains disent que la zone n’est pas dangereuse et d’autres qu’elle l’est. Les données sur le nucléaire et la dangerosité des rayonnements sont toujours très opaques. Les chiffres réels sont difficiles à connaitre. Il y a des journalistes qui publient que le nombre de morts causé par Tchernobyl, c’est une cinquantaine de personnes. On est toujours en train de se voiler la face. On ne tient pas compte de toutes les victimes indirectes de maladies. 

Connait on le nombre de victimes de ces essais nucléaires du coté français et algérien? 

Non. On va connaitre le nombre de victimes directes. Il y a l’association des vétérans des essais nucléaires (AVEN) qui se bat pour la reconnaissance et l’indemnisation des victimes. Ce combat dure. Il est compliqué à mener.

Pourquoi est ce que c’est un sujet aussi tabou?

Pour la France, c’est un sujet tabou car le nucléaire c’est une des deux jambes sur lesquelles fonctionne le pays. L’économie en dépend. Admettre qu’il y a des choses qui ne vont pas dans ce domaine, c’est poser trop de questions à un endroit trop fragile. Les gens n’ont pas envie de questionner cela de peur que tout s’effondre. 

Est ce qu’une des raisons du dérèglement climatique vient des effets des essais nucléaires.

Dans une certaine mesure sans doute mais le nucléaire militaire et civil se développe toujours en même temps. Quand ils font des essais de bombes, ils font des recherches dans le domaine civil. Dans le film on parle du nucléaire comme source d’énergie et comme énergie productrice d’électricité. C’est elle qui a amené la croissance économique des pays et le développement exponentiel de l’industrie qui a favorisé les changements climatiques. 

Etes vous optimiste pour l’avenir?

De plus en plus. Ce sont des sujets qui sont déprimants mais je pense que cela va bien se finir. Il y a de plus en plus de personnes qui luttent. Elles sont absolument certaines qu’on ne peut pas continuer à vivre comme cela.Elles se mettent à penser autrement et sont certaines d’être au bon endroit. Elles n’ont aucun doute sur ce qu’elles sont en train de faire. Les gens qui continuent à accroître les inégalités et à ne pas prendre en compte les changements climatiques vont à un moment lâcher parce qu’ils savent qu’ils sont en train de faire des conneries. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk