© crédit photo/ Firas Zaghez

Katia Hadj Messaoud est architecte de profession. Elle est aussi férue de danse au point de vouloir en faire son métier.Dans une Algérie en pleine mutation, l’Algéroise de 25 ans tente de concilier ses deux passions. Entretien entre deux pointes.

Pouvez vous brièvement retracer votre parcours professionnel?

Katia Hadj Messaoud: Je suis diplômée de l’école polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’alger depuis juin 2018.  J’ai exercé pendant 9 mois dans un bureau d’architecture et de décoration d’intérieur. C’est en m’insèrant dans le milieu professionnel que je suis rendue compte que notre métier n’était pas assez valorisé. Aujourd’hui, je continue en freelance dans l’aménagement et la décoration.

De quelle manière ce métier d’architecte est il dévalorisé ?

Aux yeux des clients, nous ne sommes que des dessinateurs de plans et non des concepteurs d’espaces et d’ambiances. La mentalité se résume à ramener un maçon qui exécutera les idées que le client a déjà en tête. Or, nous savons pertinemment que la conception est un processus complexe dans lequel intervient plusieurs corps de métiers tels que les architectes, ingénieurs…Nous sommes souvent très limités d’un point de vue créatif en raison des exigences des particuliers qui privilégient des styles architecturaux extravagants. Ils veulent juste exhiber leurs richesses.  Rares sont ceux qui ont des tendances minimalistes ou contemporaines. 

Vous parlez des particuliers. Qu’en est-il des commandes de l’Etat?

En ce qui concerne les projets de l’Etat, malheureusement nous ne sommes pas libres quant à la conception. nous sommes des exécutants.

Outre l’architecture, votre aimez la danse. D’où vous vient cette passion?

J’ai toujours adoré les discipline telles que la gymnastique, le patinage artistique, la danse…. Le jour où je suis partie m’inscrire au studio Sylphide, à Alger,  je voulais faire de la gymnastique.  On m’a dit que cette discipline avait été remplacée par la danse classique. Du coup je me suis laissée tenter. J’avais 10 ans quand tout a commencé. Jusqu’à mes 23 ans, je pratiquais cela comme un hobby. C’est en participant un jour à la cérémonie d’ouverture et de clôture des Jeux africains de la jeunesse ( 2018) que j’ai découvert une communauté de danseurs qui venaient des quatre coins d’Algérie. Je me alors suis dite que nous pouvions en faire un vrai métier et vivre de cette passion.

© crédit photo/ Ismail Bentaalah

Combien de fois par jour vous entrainez vous?

Cela dépend de la disponibilité des salles. J’essaie de m’entrainer 2 à 3 fois par semaine. Cela reste malgré tout trop peu.

Avez-vous des références dans le milieu de la danse?

Dans le style moderne et contemporain, j’aime beaucoup ce que fait la compagnie de Martha Graham. En classique mes  références sont Svetlana Zakhaova et Anna Tikhomirova. 

Vous faites maintenant partie d’une des seules compagnies de danse sur Alger. Pouvez vous nous en dire un peu plus sur celle-ci ?

Je fais partie de la compagnie Antonna (Vous en arabe). Nous sommes 4 filles et 1 garçon. Nous sommes dirigés par la chorégraphe Samar Bendaoud qui a reçu une formation classique et contemporaine d’une génération qui a été formée en Russie. 

Existent-ils d’ autres compagnies à Alger?

Si je ne me trompe pas, il n’y a que 3 ou 4 petites compagnies. Nous faisons partie des premières qui sont officielles.

Quelles sont les possibilités d’apprendre la danse sur Alger?

Il y a l’institut supérieur des métiers d’art et de la scène «  l’ISMAS » qui propose aussi un apprentissage de la danse.Il existe des écoles de danse privées, des salles de sport où on y retrouve cette discipline. Il y a aussi l’opéra d’Alger qui a récemment ouvert ses portes aux futurs petites danseuses. Par contre, il n’y a pas d’école qui nous offre une formation professionnelle complète comme nous pouvons en retrouver à l’étranger. En Algérie, on essaie de se donner les moyens d’apprendre que ce soit en école,  dans la rue, où la plupart des danseurs de break et de hip-hop s’entrainent après avoir appris sur les réseaux sociaux. Je leur tire chapeau car certains sont vraiment excellents.

© crédit photo/ Racha Ab

Avez vous pu produire quelque chose avec Antonna ?

Nous nous sommes produits en juin 2019 sur la scène du théâtre national algérien ainsi qu’à la salle Ibn Zeydoun. Notre spectacle s’ intitule « J’écris ton nom » . Il est tiré du célèbre poème de Paul Eluard « Liberté ». C’est un spectacle qui a pour but d’éveiller les consciences, de bousculer les esprits sur l’importance et la liberté de la femme. La choré, avec quelques figures osées,  et les costumes – ma robe rouge échancrée sur les cotés –  sont une première pour l’Algérie.

Vous essayez de percer dans ce milieu. Comment vous faite vous connaitre?

J’ai un compte Instagram avec plus de 3500 followers. Je veux rendre visible cette communauté de danseurs. Je veux montrer qu’on a du potentiel, que nous sommes capables d’avoir des danseurs professionnels digne de ce nom. J’essaie de montrer le quotidien d’un artiste algérien à travers des stories. J’alimente mes publications avec différentes photos de danse ou des vidéos. Je m’ouvre à ce monde artistique en participant à des workshops, en effectuant quelques tournages (spot publicitaire, clip video). A coté de cela, j’enseigne à des petites filles et aux adultes la danse classique.  

Avez vous pensé à partir à l’étranger vous apprendre d’autres techniques de danse ?

Il y a des opportunités de danse à l’étranger mais cela dépend des moyens de chacun et des visas bien évidemment. 

© crédit photo/ Reyad Belkacem

En tant qu’architecte de formation, voyez des similitudes ou des complémentarités entre la danse et l’architecture? 

Il y a effectivement une complémentarité entre les deux. L’architecture est un art qui nous pousse à être créatifs, à s’inspirer de tout et de n’importe quoi, à concevoir, à construire, à dessiner, à créer des ambiances, à marquer les esprits …Tout ce champs lexical lié à l’architecture est complètement adaptable à celui de la danse. Ma formation à l’école d’architecture m’a beaucoup aidée à m’ouvrir sur le monde artistique. 

Dans la danse, la notion d’espace est fondamentale. En diriez vous autant en architecture? 

L’espace est le pont entre ces deux arts. En tant qu’architecte nous sommes concepteurs d’espaces. En tant que danseurs nous occupons ces mêmes espaces. L’un ne se dissocie pas de l’autre. 

La danse n’est ce pas en quelque sorte l’opposée de l’architecture?. Un corps mobile face à un corps statique? L’éphémère face au durable? L’abstrait face au concret? La sensibilité face à la matière?

Un édifice est beaucoup moins insensible qu’on ne le pense.J’estime qu’un objet qui nous procure une sensation détient une sensibilité. La danse complémente l’architecture dans le sens où elle peut donner vie à cet espace conçu. Quand le corps est en mouvement dans un espace, il entre en symbiose avec son environnement. La danse et le bâtiment sont durables quand ils arrivent à marquer les esprits.  

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk