Architecte de formation, Ahlem Kebir a décidé en 2017 de lancer le magazine digitale Ineffable Art et Culture (www.ineffable-dz.art ). La fondatrice de ce nouveau média culturel a accepté de nous parler de son combat pour la promotion du patrimoine algérien. Entretien avec une pétillante algérienne.

Vous êtes directrice de la rédaction du magazine numérique  Ineffable arts et culture. Pouvez vous nous dire quand ce media est-il né? Et ce qu’on y trouve? 

Ahlem Kebir : C’est un magazine trimestrie, né en juillet 2017, et qui fait la promotion des arts et du patrimoine culturel algériens.. C’est un média participatif et multilingue.Ce sont des jeunes qui expriment leur algérianité. Nos rédacteurs ne sont pas journalistes. Leurs écrits traduisent un ressenti très subjectif. Tout le monde peut écrire à partir des appels à participation publiés sur les réseaux sociaux.

Qu’est ce qu’un jeune algérien en 2019?

C’est très difficile d’y répondre. C’est la raison pour laquelle on a choisi le titre « Ineffable ».  C’est quelque chose qui ne peut être exprimée à travers les mots en raison de sa nature qui dépasse la nature de l’homme. On s’est dit qu’on allait sur un sujet très subjectif et difficile à cerner. Chacun définit son algérianité dans ses articles. C’est une génération qui a envie de construire son identité culturelle sans pour autant lui dire qu’il faut vivre dans le passé mais sans être aussi dans le déracinement, dans quelque chose qui ne nous ressemble pas.

Les jeunesses du monde entier ont plutôt tendance à se ressembler. N’y a-t-il pas le risque d’une uniformisation du jeune algérien?

C’est certain mais c’est ce qu’on essaie de prévenir. Un des objectifs du magazine est de leur dire que c’est une identité culturelle nouvelle qu’on construit ensemble avec des racines qu’on détient de nos aïeuls.

Quel bilan faites vous après plus de deux ans d’existence du magazine ?

Ahlem Kebir : J’ai constaté que les jeunes osent plus. Ils écrivent davantage. Ils se disent que leurs avis comptent désormais et qu’ils ont leurs mots à dire sur notre culture. J’ai l’impression que les gens comprennent plus ce que nous sommes et ce que nous faisons. Comparativement à nos débuts, on reçoit beaucoup moins d’articles qui sont hors-sujet. J’ai remarqué aussi qu’il y a plus de gens actifs quand il faut écrire que quand il faut lire. L’interaction quand il y a un appel à participation dénote un réel enthousiasme. Cela démontre que les jeunes algériens cherchaient ce type de plateforme où ils auraient la possibilité de s’exprimer.

Votre site a-t-il anticipé cette volonté de la jeunesse de dire ce qu’elle avait à dire?

Je le voyais venir. Ce n’était pas une anticipation mais une foi que j’avais. Quand la génération précédente parlait de la jeunesse en disant qu’elle ne s’intéressait à rien, je me disais : « mais de qui parlent-ils »? Nous ne sommes pas comme cela. C’est injuste ce qu’on dit sur nous. En fait, nous sommes juste cachés par des clichés.  Quand on est né dans un contexte où on dit tous les jours que la jeunesse est ceci ou cela, on a tendance quelque part à y croire. On ne s’exprime pas donc eux pensent avoir raison. Dès la première édition d’Ineffable, j’ai prouvé que la jeunesse algérienne avait de belles choses à dire.Elle le fait très bien.

Ineffable est majoritairement en français. On y retrouve aussi des textes rédigés en anglais ou en arabe. Ces différentes langues traduisent elles à la fois cette attachement à la tradition et l’ouverture sur l’international?

C’est une volonté de départ de faire un magazine en plusieurs langues. Ce qui nous ferait plaisir, c’est qu’on retrouve pour les prochaines éditions les dialectes algériens (dardja, mzabia, kabyle….). C’était cela le projet initial. Ce qui importe, c’est le message. On dit à nos rédacteurs que c’est à vous d’écrire dans la langue dans laquelle vous pouvez vous exprimer le plus.

Vous avez décidé d’être apolitique, a-religieux. Est ce facile dans une société où la neutralité n’est pas très répandue?

L’art n’est en réalité jamais apolitique.On essaie d’éviter la politique pour avoir un cadre spontané, innocent. Si on parle de la religion pour parler de quelque chose de culturel, il n’y a pas de problème. On peut d’ailleurs parler de n’importe quelle religion. On veut juste s’exprimer sans chercher à changer le monde.

Que pensez vous de la créativité de la jeunesse algérienne depuis le début du Hirak?

C’est impressionnant et inspirant. C’est une créativité qui a toujours été là mais qui n’a pas eu l’occasion de se manifester. Tout ce qui est satirique est ressorti. Une architecte a commencé à travailler sur l’expression artistique dans l’espace urbain.Non seulement les jeunes sont créatifs mais d’autres jeunes ont décidé d’analyser cela. C’est une preuve de la maturité de cette jeunesse.Ils n’ont pas attendu la fin du mouvement ou qu’un étranger le fasse.Ils l’ont fait tout seuls.  La rue est devenue notre espace. 

Est ce que c’est une manière chez les jeunes ou les moins jeunes de dire : « on est chez nous, la rue nous appartient »?

Ce n’est que cela.

Comment avez vous décidé de traiter cette révolution pacifique qui a débuté le 22 février dans toute l’Algérie?

On voulait absolument le faire et ne pas rester silencieux par rapport à ce qui se passait. Il fallait toutefois tenir notre promesse de rester apolitique. On a demandé l’avis à notre communauté. Il nous ont dit qu’on ne pouvait pas se taire mais qu’on pouvait trouver une solution artistique et créative. On a décidé de faire une édition spéciale où il n’y aurait que de la photographie. C’était la révolution à travers les objectifs de jeunes algériens. C’est comme cela qu’ils la perçoivent et l’interprètent. Une image vaut mille mots. Une photo ne ment pas. Cela va rester dans le temps pour documenter ce qui s’est réellement passé.

 Il y a pourtant pas mal de slogans politiques sur les pancartes des manifestants. Comment avec vous procédé?

On a essayé de ne pas trop trier. On n’a pas mis certains slogans. On a voulu conserver la spontanéité de la chose et ne pas trop filtrer.

Avec l’arrivée des nouvelles technologies en Algérie, diriez vous que les pouvoirs publics n’ont pas vu venir cette jeunesse algérienne qui vivait est au diapason de la jeunesse du monde entier? 

Ils ne savent pas qui nous sommes. Une fois, j’ai discuté avec une personne du secteur public qui a une certaine fonction. Je lui parlais de certaines choses qui se passaient en Algérie et qu’on faisait. Il m’a rétorqué que ce n’était pas chez nous. Je lui ai répondu que c’était moi qui le faisais et que je connaissais des gens qui le faisaient aussi. Il a insisté en disant que ce n’était pas algérien ce genre de choses. Il y a un écart immense entre ces gens là qui détiennent les décisions et la jeunesse qui essaie de faire des choses dans son pays. Ils n’ont aucune idée de ce que nous sommes capables de faire par passion et dans notre rapport à l’Algérie. Ils pensent qu’on vit comme la génération de nos parents alors que nous sommes autodidactes. Avec les moyens du bord, on apprend plein de choses à travers internet. Nous nous donnons les moyens de réussir. On n’attend personne.Avec ou sans leur aide, on continuera. Il faut garder en tête son objectif de faire quelque chose de bien pour son pays.

Êtes vous en contact avec les ministères? 

On ne connait pas les pouvoirs publics. Je ne sais pas s’ils nous connaissent. En revanche, il y a beaucoup d’incubateurs privés qui nous ont aidés. Sylabs a été le premier à nous accueillir gratuitement dans leurs locaux. Puis à travers le programme « Saphir Lab », initié par l’Institut Français, on a eu la chance d’être incubés dans un autre accélérateur de start-up lié à l’entrepreneuriat social. Il y a plusieurs organisations comme l’Unesco qui font des appels à projet. On y participe pour essayer d’avoir des aides.

Quel est votre modèle économique?  

On n’a pas réellement essayé puisqu’on est dans un format  digital.C’est compliqué d’intéresser les gens dans le domaine de l’art et de la culture. En Algérie, c’est davantage le papier qui marche. On a aussi tendance à nous comparer à des magazines qui ont une cible plus large que la nôtre.

Auriez vous un message à délivrer à la diaspora algérienne qui se sent concernée par l’évolution du pays?

Votre pays a besoin de vous sans que vous soyez obligés de revenir. Si vous pouvez aider, c’est tant mieux. N’oubliez pas qu’il y a un grand vide en Algérie dans le domaine culturel. Si vous pouvez faire quelque chose ou soutenir vos frères, faites le. Au moins encourager les ou partager votre expérience afin de leur donner le courage de faire.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk