Docteur en pharmacie et Ingénieure Polytechnicienne, Anis et Hanifa Saidoun ont décidé de tout quitter pour se lancer dans l’aventure d’une ferme agricole bio à Mahlema, dans la banlieue ouest d’Alger. Heureux propriétaire de Djeninet Lala Aziza (du nom de leur ferme), le jeune couple nous raconte leur petit bout de paradis et le credo qui guide leur vie.

Vous avez décidé de vous lancer dans l’agriculture biologique. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Anis : Nous avons une passion commune pour les projets un peu fous.Nous essayons de montrer que l’Algérie peut être un terrain fertile pour des projets novateurs. Le déclic a eu lieu pendant mon cursus, en étudiant le module de toxicologie. Durant un cours sur les pesticides, j’ai appris que ces derniers polluent le sol de manière quasi permanente et sont nocifs pour la santé. Dans les pays développés, il y a une grande prise de conscience par rapport aux perturbateurs endocriniens. La course effrénée vers la sur-productivité est une menace pour la nature. J’ai rencontré des agriculteurs locaux qui travaillent des sols épuisés bourrés de produits phytosanitaires. J’ai du mal à imaginer qu’avant je consommais des tomates rouges non naturelles.On veut proposer des produits de qualité au marché algérien.Nous nous sommes retrouvés à devoir choisir entre la quantité et la qualité alors que nous aurions pu avoir les deux.

Hanifa : En ce qui me concerne, j’ai toujours eu des penchants artistiques. La monoculture (agriculture hyper productive sur de grandes surfaces) relève plus de l’industrie et de la production de masse que de l’esthétique et de la beauté d’un lieu. L’agriculture biologique et la permaculture, c’est aussi faire de tout : arbres fruitiers, élevage d’animaux, plantes aromatiques, légumes…cela, dans un même lieu créant ainsi une harmonie. C’est le retour au naturel !

Avez vous suivi une formation agricole avant de vous lancer dans cette aventure?

Durant mon cursus, nous avions fait un peu de botanique, surtout les plantes médicinales… Hanifa, qui est ingénieure en génie civile, a reçu de par sa formation des connaissances sur la nature du sol. Nous avons fusionné ces connaissances très rudimentaires avec un peu de bon sens et une grande soif d’apprendre. Durant des mois, nous nous endormions chaque soir en regardant des dizaines de vidéo sur l’agriculture. Ma femme rêve tous les soirs d’une récolte abondante de potimarrons.

Pouvez vous nous décrire Djeninet Lala Aziza ?

La ferme était d’abord un verger avec des moyens d’irrigations caduques. Nous avions peur de perdre les arbres durant la crise du Covid étant la difficulté de les entretenir au quotidien. L’idée de voir des arbres dépérir nous a terrifiés. Il fallait redonner à ce bout de paradis des couleurs. Petit à petit, la vie a commencé à ruisseler sur ce terrain. D’abord des canards pour meubler la mare, ensuite des lapins. Un véritable éco-système fait de services mutuels. Les canards sont nourris avec amour et occupent la mare.En échange, ils nous débarrassent des limaces. Un chiot abandonné est devenu notre fidèle gardien. Et entre temps, on sème un tas de bonnes choses : des radis , des courgettes, des fraises… Après le lancement de notre page sur Instagram, nous avons reçu énormément de messages de personnes en quête d’un endroit où se ressourcer loin du béton et du bitume. Nous nous ferons un plaisir de leur offrir un « asile poétique ».

Comment s’organise une journée à la ferme ?

Nous avons un petit rituel pour entamer la journée. Nous commençons par observer nos canards dans la mare. Nous sommes toujours ravis de voir nos cannes pondre de nouveaux œufs. Ce petit moment magique inaugure une journée de bonne humeur. Ensuite, nous vaquons à des activités parfois rugueuses : planter, défricher, pailler la terre, étendre le système d’irrigation. Un travail difficile mais pas ingrat. Les anciens disaient : « Plus tu donnes à la terre , plus elle te le rend au centuple ».

Pensiez vous que le travail de la terre représentait une telle charge de travail ?

Nous savions que le travail de la terre est énergivore. Surtout que nous n’utilisons pas les techniques modernes qui facilitent nettement le travail (apports d’engrais, machines…). Nous faisons tout de manière traditionnelle. 

Pourquoi avoir privilégié les cucurbitacées ?

Avant notre mariage, nous avions des sobriquets l’un pour l’autre. Moi, j’étais Jack, le roi de la citrouille. Hanifa était Saly, son alter égo. C’est un dessin animé de Disney qui a marqué notre enfance. Nous nous sommes mis à rêver d’une colline de citrouilles géantes.Il existe une centaine de variétés de courges de formes, de couleurs différentes.Cette richesse nous a fasciné. Nous nous sommes mis à explorer le monde fantasque et coloré des cucurbitacées.

Quels sont les premiers retours du public ?

Nous sommes vraiment sur un petit nuage. Chaque jour, nous recevons un nombre interminable de messages d’encouragement. Nous ne nous attendions pas à un tel engouement. Décidément, le manque de nature et de bol d’air frais dans nos villes surchargés a acculé nos concitoyens. L’idée d’une ferme bio intéresse beaucoup de personnes. Une raison de plus pour nous transcender.

Comment vous faites vous connaitre ?

Les réseaux sociaux sont à l’image de nos vies, enfermés dans une monotonie sans fin. Instagram est devenu un temple du narcissisme et de thématiques redondantes. Nous avions voulu apporter un peu de frais sur la toile, et force est de constater que cela marche. En même pas deux jours, notre page Instagram onsaimeetonseme cartonne. Finalement, la nature conspire à faire marcher ce projet.

Pensez vous que le marché est porteur en Algérie ?

Nos concitoyens sont très au fait de ce qui se passe partout ailleurs. La culture biologique a le vent en poupe partout dans le monde. Partout le consommateur cherche de plus en plus à avoir un rapport privilégié avec son agriculteur, à savoir d’où viennent ses fruits et légumes. Nous pensons que ce marché est vraiment porteur.

Etes vous en contact avec d’autres producteurs bio ?

Contrairement à une idée reçue, nous avons surtout découvert que la majorité de nos agriculteurs sont tentés par la facilité de l’agriculture intensive et des pesticides. Nous savons qu’il existe des producteurs bio mais peut être pas assez. Comme dit le dicton : « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ».

Avez vous d’autres projets ?

Nous sommes en pleine réflexion, vu l’engouement des gens, pour faire du woofing (ndlr, volontariat agrobio). Ou peut être des jardins partagés pour que les gens viennent voir pousser des choses avec nous. Nous voulons que d’autres ressentent ce plaisir exquis.Nous sommes des partageurs.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk