Architecte de formation issu de l’université de Biskra, Islam Amdjed Dali parfait son cursus universitaire en préparant un doctorat à dimension internationale (France, Hongrie et Italie) à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Il est par ailleurs membre actif du collectif Tourab qui oeuvre pour la sauvegarde du patrimoine en Algérie en restaurant le vieux bâti . Rencontre avec un jeune algérien à la fibre écologique.
Pouvez présenter brièvement votre parcours universitaire?
Islam Amdjed Dali : Je suis architecte de formation à l’université de Biskra et spécialisé en patrimoine architectural et urbain dans le désert. Actuellement, je prépare, dans le cadre d’un programme international (France, Hongrie, Italie), un doctorat option Architecture, Environnement et Patrimoine à Paris à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales).Auparavant, j’ai effectué un stage à Bucarest (Roumanie) sur l’urbanisme colonial et le patrimoine français. Par la suite, j’ai enchainé un semestre sur le patrimoine et territoire européens à Budapest (Hongrie) puis à Catane (Sicile) où j’ai terminé l’année. Depuis quelques temps, je m’intéresse au matériaux locaux, aux savoir-faire ancestraux.
L’approche architecturale est elle différente suivant les pays?
L’avantage c’est de s’ouvrir aux autres cultures et d’avoir une ouverture à l’international. Rien qu’en Algérie, il y a eu une grande richesse architecturale et culturelle en un même endroit. A l’étranger, et dans tous ces pays, c’est encore plus grand.
Qu’avez vous appris dans les pays ou vous avez étudié?
J’ai acquis d’autres perspectives, d’autres points de vue, d’autres expériences que je n’aurais pas eus si j étais reste dans un seul lieu.
Vous faites partie d’associations de sauvegarde du patrimoine en Algérie avec notamment le collectif Tourab. Que faites vous concrètement au sein de ces structures?
Avant de fonder ces collectifs, on avait déjà eu un club à l’université de Biskra. On essayait d’organiser des chantiers participatifs sur le vieux bâti et notamment à Lichana, dans un ksar ( petite ville saharienne avec des caractéristiques s’adaptant à la région aride et semi-aride).Ces villes sont généralement faites en terre. Tous les ksour (ndlr, pluriel de ksar) sont construits avec l’adobe. C’est de la terre mouillée qui est mise dans des moules de formes parallélépipèdes et qui sont séchés au soleil. Les constructions peuvent atteindre deux, trois ou quatre étages, voire plus. Après l’université, on a donc créé Tourab, qui veut dire terre en arabe, dans l’idée de transmettre un savoir faire ancestral. On a surtout mis en place des chantiers de bénévoles pour la restauration du vieux bâti. On a exercé sur Biskra, Lichana et aussi pour des particuliers.Quand on a commencé avec Tourab beaucoup de gens se sont intéressés à notre travail. Ils ont aimé ce qu’on faisait et se sont posés la question de créer ou pas leur propre association.
Qui compose Tourab?
C’est un collectif. Nous sommes majoritairement des architectes. La plupart est maintenant à l’étranger. On recherche des personnes qui sont spécialisées dans l’architecture de terre. Quand on organise un chantier, on essaie de voir, y compris parmi les bénévoles, ceux qui peuvent contribuer à Tourab à travers le transfert de ce savoir ancestral. On leur propose de s’intégrer à notre structure ou bien de créer leur propre collectif.
Comment se décide le choix d’un chantier?
On peut recevoir un appel d’un particulier ou de quelqu’un qui veut restaurer une construction dans son village.Au départ, on faisait des projets pour des privés mais on a stoppé parce qu’on est là pour transmettre un savoir faire, initier les gens à l’architecture traditionnelle et au patrimoine. Il faut que ce soit un projet d’intérêt général. Par exemple, on a fait un chantier à Tizi Ouzou. C’était une maison pour une association de femmes du village qui font des activités entre elles.
© crédit photo Tourab
Est-ce important que les gens puissent être formés sur place?
C’est très important pour nous. La plupart de nos chantiers, on les appelle les « écoles chantiers ». On essaie par exemple de transmettre la façon de travailler les enduits à base de terre, la maçonnerie de terre, la menuiserie, la soudure. On essaie toujours de favoriser cette transmission pour que ce savoir faire ne disparaisse pas et soit transmis entre les générations.
Avez vous une démarche de sensibilisation auprès des plus jeunes et notamment des écoliers?
On n’a jamais pris une telle initiative mais c’est une idée à étudier quant à la protection et la mise en valeur de leur patrimoine. Sur nos chantiers, aucun mineur n’a participé jusqu’à présent. On n’est pas prêts à les recevoir et à les encadrer pour le moment.
Quels sont les moyens dont vous disposez pour ces chantiers?
Cela dépend de chaque projet. Ce sont parfois les bénévoles qui contribuent avec de petites sommes de 50 ou 100 euros. Je pense qu’i faut supprimer cela . Si on a de bons sponsors, on n’aura pas besoin de faire payer les bénévoles. Le financement est toujours un souci. Cela nous freine un peu.
Etes vous aidé par les autorités locales ou les pouvoirs publics?
L’université de Biskra nous aide parfois. Dernièrement, il nous ont fourni le bus pendant deux semaines.Ce peut aussi être la Wilaya qui offre l’hébergement pour 10 ou 20 personnes. A Timimoun, il y a l’association CraTERRE qui de temps en temps nous envoie des spécialistes pour encadrer les bénévoles.
Vous parliez de savoir ancestral. Y a-t-il plusieurs techniques pour travailler cette terre?
Il y a plusieurs techniques en Algérie. Il y a l’adobe qui vient du mot arabe « Taub », le pisé qu’on trouve en Kabylie, e torchis et la bauge.
La technique est-elle différente en fonction des terres?
C’est la technique qui est différente. Il y en a au moins cinq. Il y a la terre séchée au soleil, la terre cuite, celle qui est directement appliquée avec le coffrage comme le pisé, il y a la bauge et le torchis qui sont directement appliqués.
© crédit photo Tourab
Vous basez vous sur des plans pour faire ces travaux de restauration?
Ce sont des constructions vernaculaires qui n’ont pas de plan. On fait des relevés architecturaux des maisons. L’intérêt c’est d’informatiser après les documents recueillis (relevés, photos, descriptif du projet, état des lieux….). On essaie ensuite de les diffuser sur les réseaux sociaux. On pense aussi à publier des articles dans des revues scientifiques. Dernièrement, on a restauré une mosquée en collaboration avec des architectes spécialisés. Cela a commencé en 2011 et nous sommes intervenus dessus vers la fin des travaux en 2018. On a pu produire une documentation sur le projet qui pourrait déboucher sur une publication. Cela permettra d’être accessible à tout le monde.
Y a t-il une forme de certification de vos constructions?
Quand on intervient sur un monument on le fait sans passer par les autorités locales qui délivrent le contrôle technique des constructions (CTC). Les constructions en terre ne sont pas normalisées en Algérie. Cela pose un vrai problème.On. réfléchit avec Tourab a travailler avec des matériaux qui soient normalisées (pierre, fer , l’acier qui peuvent être mélangés à la terre comme des structures mixtes).L’inconvénient étant la mixture des deux matériaux. Par exemple, la terre avec le fer, le béton ou la pierre cela ne s’amalgament pas bien. Ces structures ne sont pas vraiment adéquates notamment quand il y a des séismes.
Globalement dans quel état est le bâti en Algérie?
Tous les monuments ou ksour ne sont pas classés. L’Etat ne fera alors rien pour les préserver. Il faut que la localité prenne soin de son patrimoine. C’est le problème parce qu’en général, elle ne s’y intéresse pas trop. Sauf dans certains endroits où des personnes veulent conserver leur patrimoine car c’est un lieu de mémoire. Cela leur rappelle les terres de leurs ancêtres, de leurs parents. C’est leur identité, leur lieux de mémoire.
Arrive-t-on à garder des traces de ce patrimoine ancestral même si c’est en mauvais état ?
Il y a beaucoup de traces. Le souci, c’est que c’est construit en terre. Ce n’est pas comme la pierre. Elle est très vulnérable, surtout par rapport à l’eau. Si on n’en prend pas soin, cela va disparaitre d’ici une cinquantaine d’années.On n’aura plus de ksour mais des montagnes de terre.
Ces constructions durent elles dans le temps?
Si on en prend soin, oui. La terre est éternellement recyclable et réutilisable pour la construction .
Votre démarche est totalement écologique. C’est une vraie cause que vous semblez vouloir défendre.
La construction écologique est très importante. Il faut abandonner le béton qui pose problème pour l’environnement.La vraie solution est de construire avec des matériaux qu’on trouve localement; Nos ancêtres ont construit depuis des siècles. Cela n’a jamais posé de problème.
Ce sont non seulement des matériaux qui sont disponibles en abondance mais qui ne sont pas chers.
C’est disponible et cela ne nécessite pas non plus un grand savoir faire. Autrefois au village, tout le monde construisait, c’était la Twiza. Il y avait le « Cheikh » qui était le contremaitre qui encadrait les femmes, les enfants. Hassan Fethi (architecte égyptien spécialiste de l’architecture de terre) a très justement dit : « une personne seule ne peut pas construire une maison mais dix personnes peuvent construire dix maisons et bien plus ».
Si vous aviez un message à lancer, lequel serait il?
Il faut vraiment abandonner la construction en béton. Il faut se pencher davantage sur les constructions écologiques et les mettre en valeur. Il faut Initier les gens à la construction et les intéresser aux traditions. Le patrimoine, c’est l’avenir. Si on l’oublie, c’est notre identité qui risque de s’abimer.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk