
Mehdi Oumarouayache est une figure incontournable de l’écosystème numérique en Algérie. L’entrepreneur originaire d’Oum El Bouaghi est à la tête de Coofa, une start-up qui collecte de la data afin de réduire les coûts logistiques dans le commerce de détail. Entretien avec un chef d’entreprise ultra connecté.
Pouvez vous nous dire ce qu’est Coofa?
Mehdi Oumarouayache : C’est une start-up africaine basée à Alger. Son activité est de collecter de la data dans les réseaux non structurés du retail (commerce de détail) africain. La problématique à laquelle on s’attaque est simple. Aujourd’hui, dans une économie où le retail ou la distribution sont assez bien structurés, on a des coûts logistiques qui correspondent à environ à 15% du prix du produit. En Afrique, et même en Algérie, cela peut atteindre 40%. Cela signifie que 25% du pouvoir d’achat des populations vont dans cette inefficacité. On essaie de s’attaquer à une partie de ce sur-coût qui est dû à la logistique du « last mile », du dernier kilomètre. Aujourd’hui, un producteur aux Etats Unis, en Europe ou en Asie qui veut toucher 10 000 consommateurs, il envoie un gros camion à un hypermarché. De son coté, le producteur algérien, ivoirien ou sénégalais doit desservir quelques milliers de boutiques éparpillées. C’est cette logistique là qui pénalise et coûte de l’argent aux producteurs, aux distributeurs et au final aux consommateurs. On a donc travaillé sur une plateforme qui collecte le besoin réel du marché pour permettre aux acteurs de livrer à moindre coût le réseau de distribution.
Comment cela se matérialise t-il concrètement?
Nous avons imaginé, à partir d’une tablette, la « coofa box ». C’est en quelque sorte une caisse enregistreuse. On la distribue dans les points de ventes afin de valoriser la data générée auprès des producteurs.
Dans quels pays êtes vous implanté?
On a rencontré, lors d’un concours, les responsables de la Société Générale qui développent le paiement mobile et un meilleur accès aux services financiers à destination des boutiquiers. On a démarré une collaboration avec eux. Comme le paiement mobile et le micro-crédit ne sont pas vraiment effectifs en Algérie, nous sommes partis tester notre technologie en Afrique. On a commencé par Dakar. Nous avons pour objectif de nous déployer dans les 18 pays dans lesquels notre partenaire est présent. Ensuite nous viserons tout le continent.
Combien de coofa box avez vous distribué au Sénégal?
Entre l’Algérie et le Sénégal, on a commencé par des déploiements test afin de corriger les bugs éventuels. Il fallait aussi voir comment réagissaient les boutiquiers et les fournisseurs. Au Sénégal, on a distribué une trentaine de box mais notre ambition est d’aller très vite vers la digitalisation de 1000 boutiques.
Et en Algérie?
On est dans une phase de consolidation de l’outil. On a eu plus de facilité à tester la partie boutique.Aujourd’hui, on teste la partie back office. On programme une deuxième phase de déploiement qui va inclure l’équipement de 1000 à 2000 boutiques.L’objectif est d’avoir 10 à 15% du marché.
Quels sont les premiers retours d’utilisation de cette box?
Ils sont positifs quant aux boutiques. On est en train d’améliorer certains aspects liés à l’ergonomie.
Y a-t-il des freins à l’utilisation de cette technologie ?
Le gros de notre travail a été justement d’enlever toutes les barrières à l’utilisation. Nous qui venons du domaine du web et de l’univers du mobile, on a mis beaucoup d’énergie à faire une application très facile d’usage et ergonomique. En moyenne une demie heure suffit pour que les usagers prennent en main cet outil. On a vraiment fait une interface simple. Par ailleurs, pour favoriser l’accessibilité, on a innové sur le modèle économique en rendant gratuite cette box pour la boutique. On espère avoir les partenariats qu’il faut pour continuer à la proposer gratuitement. Sur l’aspect connectivité on a travaillé avec une start-up française Be Band qui a été fondée par un Franco-Algérien. Elle permet d’avoir de la connectivité augmentée, c’est à dire que dans les zones où il n’y a pas du tout de réseau internet, on utilise le réseau 2G en compactant la data, en la cryptant et en l’envoyant par sms. Aujourd’hui, le challenge c’est la massification de l’utilisation de la solution pour que la data qu’on propose ait de la valeur en réduisant les coûts logistiques.
Quelles sont les données que gèrent les boutiquiers?
Il y a les données que le boutiquier partage de manière volontaire.Ce sera par exemple un besoin de tant de cartons de savons ou de sacs de riz. C’est une « market place » sur laquelle ils inscrivent leurs commandes afin de faciliter aux fournisseurs la programmation de tournées plus efficaces. Le deuxième type de données recueillies, c’est lorsque le commerçant a besoin d’un crédit. Cette population a malheureusement un très faible accès au financement même si beaucoup d’entre eux sont solvables mais ne le savent pas. On leur permet d’avoir à disposition des sources d’information qu’ils pourront volontairement partager avec leurs banques pour solliciter un financement. C’est globalement les deux types de data générés par la boutique.
Pourquoi avoir choisi en premier le Sénégal?
C’est une belle plateforme pour les pays de la région. Géographiquement, le pays est assez proche de l’Algérie. Il y a cinq vols par semaine entre Alger et Dakar. La direction « Mobile Money » de la Société Générale est par ailleurs implantée dans la capitale sénégalaise. On a par aussi pu compter sur un espace de d’innovation qui est le Jokko Lab en partenariat avec le Lab Innovation Afrique. Ils nous ont beaucoup aidés à nous installer.
Est ce que votre exemple a donné des idées à d’autres start-up algériennes pour aller à l’international?
Aujourd’hui, j’ai un peu la casquette de « l’Africain » des start-up algériennes. Quelques unes sont déjà parties à l’assaut du marché africain. ll y a cependant beaucoup d’entreprises qui veulent se structurer pour aller aborder ces marchés.
Quelles sont les perspectives de développement de Coofa?
On est en train de finaliser une levée de fonds.L’objectif est de continuer à capitaliser sur les deux premiers pays avec une priorité pour l’Algérie. L’idée est de trouver rapidement des partenaires pour se déployer en Afrique.Et pourquoi pas viser dans un second temps l’Asie parce que dans certains pays, comme en Amérique latine, ils ont ce souci de fragmentation du réseau de distribution qui créent des surcoûts dans la logistique.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk