© crédit photo/ El Watan

Yazid Ouahib est le Rédacteur en chef du service des sports du journal El Watan. Il est aussi l’auteur de l’ouvrage Ahcène Lalmas, la légende (aux éditions Ediwane d’Alger), l’un des plus grands footballeurs algériens de tous les temps. Dans cette première partie, nous abordons avec lui la naissance, durant la guerre de libération nationale, du phénomène Lalmas et la personnalité qui a permis au « Bélier» d’être autant adulé et que craint des supporters algériens.

(1 ère partie)

Pourquoi avez vous choisi de faire un livre sur Ahcène Lalmas?

L’idée d’écrire un livre sur un joueur, un entraîneur ou un homme (dirigeant) qui a marqué son époque a chevauché mon esprit depuis longtemps. Au départ, mon choix s’était fixé sur Boualem Amirouche, un ancien international et joueur du RCKouba (1963-1980). Un grand joueur qui a bercé ma passion pour le football. Je lui ai fait état de mon désir d’écrire un livre sur lui, sur sa carrière. Trop humble et modeste, il m’a demandé un temps de réflexion avant de me dire : « donne moi encore un peu de temps ». Durant cette période, j’avais renoué le contact avec Ahcène Lalmas, perdu depuis son accident vasculo-cardiaque (2011). Pour rappel, ce dernier reste pour beaucoup – moi en premier – le meilleur footballeur algérien, toutes générations confondues. A travers ce livre, je voulais faire connaitre son histoire à la jeune génération qui ne l’a pas vu joué mais qui entend parler de lui presque un demi-siècle (46 ans) après sa retraite de joueur. Son nom restera gravé de manière indélébile dans la conscience collective du peuple du football. C’est un joueur qui a marqué son époque, celle d’une autre idée du football que celle qui prévaut aujourd’hui. Son ami et ancien co-équipier au CRBelouizdad et en équipe nationale, Djillali Salmi, a trouvé les mots justes pour décrire ce qu’il était. Il a dit : « Lalmas est un cadeau du ciel. C’est le Pelé, le Di Stéfano, le Stanley Matthews, le Férenc Puskas du football algérien. Aux premières heures de l’indépendance, il a illuminé le ciel du ballon rond en Algérie. A 19 ans, son étoile était déjà au firmament. Il était de la race des grands joueurs qui ont écrit l’histoire du football dans le monde».

 

Y avait-il déjà, dans son enfance, les prémices du futur grand joueur et de l’ homme qu’il allait devenir?

Tout à fait comme le démontre le fil de sa carrière depuis son jeune âge. A 13 ans déjà, il était le jeune joueur le plus en vue dans l’algérois. C’est un enseignant français – Duluxiot –  à l’école primaire de Birmandreis, commune coincée entre Kouba et Birkhadem, qui a été le premier a décelé en ce gosse des qualités de footballeur hors norme. Il l’a orienté vers l’école de football du GSA Hydra, un club dirigé par des Français. En 1956 lorsque le FLN a ordonné aux clubs et joueurs musulmans de se retirer des compétitions organisées par des Français, Ahcène Lalmas était minime et avait 13 ans. Comme tous les jeunes de son âge, il n’a plus remis les pieds au club. Entre 1956-1962, il a versé dans les matchs inter-quartiers avec ses copains de la colonne Voirol (Hydra) et Appreval (Kouba) où sa famille a emménagé en 1958. Au fil des années de la lutte de libération nationale (1954-1962), il a creusé son sillon lors de tournois inter-quartiers au niveau de la wilaya d’Alger et des wilayas limitrophes. Tout Alger parlait d’un brillant jeune footballeur répondant au nom de Lalmas. Les gens venaient de tous les quartiers d’Alger pour le voir jouer. Il avait tracé les contours de sa future carrière lorsqu’il avait 14-15 ans. Il disait à ses amis et co-équipier : « Je veux être un grand joueur, le meilleur de tous ». Il a réalisé son rêve d’enfant. Oui, Lalmas a eu la destinée dont il rêvait. Pour la concrétiser, il a travaillé dur. Au niveau de l’esprit, il était très en avance par rapport aux enfants de son âge.

Quel type de joueur était ce sur le terrain?

C’était un joueur porté sur le jeu offensif. Un fait important que peu de personnes connaissent : il l a mis sa carrière entre parenthèse de 1956  à 1962, date de l’indépendance de l’Algérie. Donc, entre 13 et 19 ans, il n’a pas joué en club. Lors de la première saison post- indépendance (1962-1963), il a signé à l’OM Ruisseau et jouait au poste d’avant-centre. Il a inscrit 12 des 18 buts que l’OMR a marqués  face à Birtouta. Il aimait toucher le ballon. C’était un joueur de décision. Mustapha Dahleb, qui a joué avec lui au CRB l’a décrit ainsi : « Lalmas était un très grand joueur. La différence entre lui et un bon joueur, c’est que lorsque ce dernier réalise un exploit, une prouesse dans la saison, Lalmas était capable de le faire un match sur deux ». Il avait une qualité ou une faculté qui faisait de lui ce qu’il était. Il lisait le jeu et réfléchissait à la seconde. Un jour le Miroir du Football ou France Football, avait titré un article : « Lalmas, le regard périphérique ». Sa lecture du jeu était sans égal. Il n’était pas très grand, mais avait une détente phénoménale. Il délivrait des passes décisives et inscrivait beaucoup de buts. Sur le terrain, il se faisait respecter. Les défenseurs ne le ménageaient pas. Il recevait et donnait beaucoup de coups. Il avait un caractère trempé.C’était un rebelle en quelque sorte qui n’aimait pas l’ordre établi.

Etait-il craint par ses adversaires?

Oui, sans hésitation. Comme footballeur, il était le meilleur. Il était la cible de rugueux défenseurs. On lui impute les graves blessures de deux très bons gardiens, Said Ouchen, ex NAHD, et le regretté Djamel Okbi , ex USMA,qui ont été gravement blessés suite à un contact violent avec Lalmas. Ses adversaires éprouvaient deux sentiments à son égard. Le respect et la crainte. Il faut dire qu’il en imposait sur les deux plans.

Quel rapport avait- il avec le public?

Il y avait deux publics. Celui de son club et des admirateurs qui se comptaient dans tous les stades et villes d’Algérie. Il ne faut pas oublier que c’était le meilleur joueur du pays. En général, le public reconnaissait facilement. Une autre frange composée de supporters d’autres clubs ne l’aimaient pas …pour le malheur qu’il faisait subir à leur club respectif. Lalmas avait une forte personnalité. Il ne s’épenchait pas beaucoup dans les médias au point que beaucoup prétendaient qu’il était hautain. C’était mal le connaitre que de dire pareilles choses. Au contraire, c’était un introverti. Derrière les apparences se cachait une timidité.

Est ce que le public venait voir jouer le CRB ou Ahcène Lalmas?

Les deux à la fois. Comme on dit aujourd’hui deux en un. Le Chabab de Belouizdad (CRB) était une machine à gagner. Le club a remporté plusieurs titres, et Lalmas en était l’attraction. Le nom de Lalmas restera à jamais lié à celui du CRB et vice versa. Le club de Belcourt drainait partout les foules grâce à son jeu offensif et à sa pléiade de grands joueurs. A un certain moment, le club comptait jusqu’à neuf internationaux. Lalmas était le joyau de cette fabuleuse équipe du CRB.

En dehors de ses bases, comment les supporters locaux se comportaient avec lui?

Ils le sifflaient copieusement non pas pour un mauvais geste technique, une faute sur l’adversaire, une mauvaise humeur, mais uniquement pour exercer sur lui une influence afin de le faire sortir de son match. Deux cas illustrent ce propos et sont cités dans le livre. La première fois en 1965-1966 à l’occasion d’un match amical entre le MC Alger et le CRB à Bologhine (ex Saint Eugène).Ce jour là Lalmas n’a pas été aligné. Il était donc en tribune. A la mi-temps, le score était de 2-0 en faveur du Mouloudia (MCA). Les supporters mouloudéens ont commencé à chambrer Lalmas. Il est rentré au vestiaire.  Il a mis sa tenue et il est venu sur le terrain. Les supporters ont commencé à  scander : « Baa baa, le bélier a faim, donnez lui l’herbe à brouter ». Lalmas était affabulé du sobriquet de bélier à cause de sa calvitie précoce et de ses coups de tête. En 45 minutes, il a marqué des buts et renversé la vapeur.  Le CRB s’est imposé 4-3 (ou 5-3 ). A chaque but, il balayait du regard les tribunes qui subitement ressemblaient à une cathédrale vide et froide. Il a refait le même coup à Sétif en 1969-1970, lorsqu’il était entraîneur joueur. Sétif menait 3-0 à la mi-temps. Les sarcasmes qui pleuvaient sur Lalmas. Durant la pause, il a sermonné ses joueurs et coéquipiers qui ont marqué 3 buts en seconde période.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

Dans la deuxième partie que nous publierons demain, nous reviendrons sur le palmarès, l’image et le profil atypique du joueur.