Algérie- Culture - Littérature -Théâtre -Kateb Yacine

Rahma Benhamou El Madani est réalisatrice de documentaire depuis 1996. Unis vers Kateb est son dixième opus. Un court-métrage, présenté au festival du panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen Orient,  qui rend hommage à la grande figure littéraire qu’était Kateb Yacine. En attendant la version longue, nous sommes partis à sa rencontre pour en savoir plus sur ce grand intellectuel algérien. 

Comment est né ce projet de film « Unis vers Kateb, ça ne fait que commencer »?

Rahma Benhamou El Madani :  A la base, c’était des images de repérages car il y a un long métrage qui est en production. C’est un court-métrage que j’ai monté assez rapidement pour le présenter en 2019 à un événement qui s’appelle le Sommet des deux rives. J’avais été invitée à Malte, Montpellier et à Marseille où j’ai décidé de montrer le travail qui se faisait. J’ai présenté Unis vers Kateb avec des jeunes qui sont venus de Béjaia pour présenter ce film.

Pourquoi avoir voulu « réhabiliter » la figure Kateb Yacine?

Je ne sais pas si le terme « réhabiliter » est le bon. Pour moi, c’est davantage un hommage qu’une réhabilitation. Je suis née en Algérie. Ma famille a vécu dans l’Oranie pendant longtemps. Elle a participé à la guerre d’indépendance. La particularité de mon histoire, c’est que mes parents sont Marocains. Nous avons quitté l’Algérie en 1972. J’ai grandi en France avec l’absence de ce pays. Dans mon parcours, j’ai toujours essayé de recoller les morceaux et de connaitre un peu mieux ce pays natal.Dès mes premières années de lycée, j’ai beaucoup lu Kateb Yacine, et notamment Nedjma. Cela a toujours été le lien avec le pays d’origine. Mes parents racontaient énormément de choses autour de l’Algérie avec un univers et une mémoire qui étaient frais et nostalgiques. Je retrouvais toute cette richesse dans l’oeuvre de Kateb Yacine. Les personnages dont il parle sont ceux de la vie courante.Ce n’était pas la bourgeoisie. En 2007, je suis allée au théâtre de Sidi Bel Abbes où j’ai rencontré les anciens comédiens de la troupe de Kateb Yacine dont Mahfoud Lakroune. J’entendais des anecdotes sur cette partie de son oeuvre que je ne connaissais pas . Je suis réalisatrice.J’ai voulu faire un film pour ne pas garder ça que pour moi. De fil en aiguille, on a décidé de travailler avec des jeunes autour de la pièce Mohamed prend sa valise. Je voulais voir comment ils comprendraient cet univers lié à l’émigration. 

Pensez vous que cette jeunesse soit avide de connaitre l’oeuvre de Kateb Yacine?

Le théâtre populaire de Kateb Yacine, c’est de la comédie et de la parodie. C’est une farce. C’est léger. Cela répond à la jeunesse parce qu’il y a des choses qui se disent librement. Avec sa troupe Kateb Yacine réactualisait, lors des répétitions, tout le temps son texte. Il se référait sans arrêt à l’actualité.Son théâtre s’ancre dans la société. Il n’est pas en décalage. C’est pour cette raison qu’il a fait du théâtre et des romans. Il est populaire, social et ne se prend pas au sérieux. C’est cette légèreté et cette relation proche de la société algérienne qui intéresse les jeunes.

crédit photo/ Rahma Benhamou El Madani

Son oeuvre parle au peuple car l’Algérien est ainsi

C’est ce que je voulais dire.Il y a cette légèreté et cette auto-dérision qui sont toujours présentes. C’est un théâtre vivant à la Molière qui est en plus en derija (arabe populaire). 

Est-ce pour cette raison qu’il a été mis à l’écart du monde de la culture?

Kateb Yacine est un écrivain. C’est un dramaturge engagé dans la vie de son pays. Il était libre. Tous les poètes engagés dérangent.C’est dommage car c’est un grand auteur important pour l’histoire et la mémoire algériennes. Il faut le réintégrer dans la scolarité des jeunes. Nedjma est enseigné partout dans le monde. Il a été intégré au répertoire de la Comédie Française. 

Dans le film un ancien camarade dit que Kateb Yacine a « semé les germes ». De quels germes s’agit il?

Je trouvais intéressant de voir Mahfoud Lakroune et Béza qui ont connu une autre histoire de l’Algérie des années 70 et 80. Ils regrettent la culture de l’époque et notamment la littérature qu’on trouvait plus facilement qu’aujourd’hui. Il y a la nostalgie d’un monde face à la fraicheur de la jeunesse qui demande à ce qu’on lui transmette son passé.Elle a envie de retrouver cette mémoire. Les germes, ce sont les thèmes que défendaient Kateb Yacine comme la défense des opprimés. Il était proche du petit peuple.Il refusait qu’on l’enferme dans un monde d’intellectuels. 

Pensez vous que le Hirak soit une forme de prolongement de sa personnalité d’homme libre?

Dans le Hirak, il y a cette volonté chez les jeunes de rompre avec un monde ancien. Ce sont des revendications, des envies d’une société égalitaire. Il y a des similitudes car Kateb Yacine était au coté du peuple opprimé. Ses mots répondent à ce qui se passe dans la société actuelle. C’était une voix du peuple.Quand il était journaliste, ses collègues l’appelaient « Le Peuple ». Dans sa poésie, il y a un fond, un engagement social et humain.Ce n’est pas uniquement de la littérature.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk