© crédit photo/ Sonia Franco

Sonia Franco est réalisatrice. Après des études de cinéma à la fac, elle complète sa formation en intégrant la section Montage de la Fémis. Depuis 2013, la jeune femme de 31 ans s’est lancée dans le genre documentaire avec des créations sonores. Elle anime par ailleurs, au sein de l’association Les Yeux de l’Ouïe, des ateliers audiovisuels auprès de publics marginalisés. Mes Voix est son tout premier film. Un court-métrage qui traite de la question de l’identité et de la transmission à travers la relation complice entre Anissa et sa grand-mère. Entretien avec une documentariste empathique.

Comment vous est venue l’idée de faire ce film? 

Sonia Franco : J’ai rencontré Anissa un an avant de faire le film. Elle était ma colocataire.On est devenues amies. On s’est confiées l’une à l’autre. Elle m’a très vite parlé de sa grand-mère et de la place qu’elle occupait. C’est quelqu’un de très important pour elle. C’est son pilier affectif. La façon dont elle en parlait m’a intriguée. Cela m’a émue. Cela m’a donné envie d’en savoir plus sur cette relation qui me fascinait. J’ai commencé à l’accompagner à Sartrouville chez Takia. J’ai d’abord réalisé une petite pastille sonore avec Anissa qui faisait un couscous en suivant les instructions de sa « Mamie ». Rapidement, je me suis dit qu’il y avait matière à faire un film. L’idée première était d’explorer cette question de la transmission. La question de l’identité m’intéressait également. Anissa jongle entre plusieurs identités. Ce sont deux générations. Sa grand-mère est très croyante. Anissa ne l’est pas. Il y a des visions de vie différentes mais il y a beaucoup d’amour entre elles. Elle n’a pas envie de choisir entre la façon dont elle a envie de vivre sa vie et la vision de sa grand-mère. Elle n’est pas dans la rupture. C’est cet équilibre là que je trouvais intéressant. 

Le film porte le titre  : « Mes Voix ». Est-ce la voix intérieure d’Anissa qui lui dit des choses et celles extérieures de sa famille qui lui en suggèrent d’autres?

Cela peut être interprété comme cela. Je crois qu’on porte tous plusieurs voix en nous. Il y a aussi cette pluralité de voix et d’identités. Le possessif « Mes », c’est pour qu’on se mette à la place d’Anissa et qu’on soit avec elle.

En finissant le visionnage du film, je me suis demandé si c’était une fiction ou un documentaire. Comment le définiriez vous?

On me le dit souvent. C’est un documentaire dans le sens où je n’ai jamais mis en scène de discussions entre Anissa et sa grand-mère.Comme je ne parle pas arabe, je ne savais pas ce qu’elles se disaient quand je filmais. Ce qui donne aussi cette sensation, c’est qu’on est dans leurs intimités. On m’a oubliée parce qu’Anissa et Takia me faisaient vraiment confiance. Je parlais beaucoup avec Anissa, du film, de ce qui me touchait, ce qui m’intéressait. Elle était dans un moment où elle avait très envie qu’on la regarde comme cela avec sa grand-mère.Il y a des choses de son quotidien qu’elle avait envie de lui dire. Elle voulait que le film garde une trace de cette relation.C’était un peu comme une convergence implicite d’intérêts.Au final, elle a participé à la construction du documentaire.

© crédit photo/ Sonia Franco

Son mariage, c’est un peu un tiraillement. Elle dit dans le film : « je vais devenir une femme à leurs yeux, mais à ma sauce ».

C’était un moment un peu compliqué parce qu’elle était prise dans tout un truc de famille. Elle n’a pas choisi sa tenue par exemple. Il y a plein de choses qui relèvent du rituel familial. Elle a par ailleurs un rapport qui n’est pas simple, émotionnellement parlant, avec sa famille. Le mariage, c’est presque une façon de se rapprocher de sa « Mamie ».Elle veut faire ce cadeau à une personne qui est âgée

Le père est évoqué mais on ne le voit pas. Pour quelles raisons?

Anissa a des contacts sporadiques avec son père.J’avais filmé des entretiens où elle parlait de lui. Je les ai finalement enlevés au montage car il n’y avait pas assez de matière. Il valait mieux qu’il soit à peine évoqué et qu’on se focalise sur sa relation avec sa grand-mère. Je n’ai par ailleurs jamais filmé son père.

D’après vous quel héritage gardera Anissa de sa grand-mère?

Une certaine forme de rapport à l’autre, de générosité. Sa grand-mère m’a toujours accueillie à bras ouverts.Anissa est comme cela avec les autres. Elle est curieuse et ouverte. Le lien entre elles deux est tellement fort. L’amour qu’elle lui a apporté est structurant pour elle. C’est son ancrage. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk