Alors que le parlement algérien a adopté jeudi à l’unanimité le projet de révision de la Constitution voulu par le Président de la république, Abdelmadjid Tebboune, Maitre Mustapha Bouchachi a interpellé – le même jour – dans une lettre le chef de l’Etat algérien sur les conséquences de sa réforme constitutionnelle. 

C’est une missive de trois pages, publiée en arabe sur son compte Facebook, qu’a adressé jeudi le célèbre avocat algérien au Premier magistrat du pays. Un courrier dans lequel, il commence par remercier son interlocuteur de lui avoir proposé, le 21 mai 2020, de participer « à l’enrichissement de l’avant-projet d’amendement de la constitution », avant d’émettre toute une série de réserves – sur le fond, la forme et les garanties – sur le document devant instaurer une nouvelle Constitution pour l’Algérie. 

« Notre expérience en matière de rédaction et d’amendement des constitutions a toujours été à l’initiative du régime ou des présidents qui sont à l’avant-garde du système. Elle a toujours pris en compte un objectif fondamental qui est la continuation du système….cette méthode n’est pas démocratique. La constitution est par le peuple algérien à travers un organe élu, quel que soit son nom », pose d’emblée M.Bouchachi.

Pointant ensuite du doigt le timing choisi pour susciter le débat autour de la future révision constitutionnelle, l’ex-ministre de la Justice reproche au chef de l’Etat d’imposer son programme nonobstant le contexte épidémiologique et les restrictions qui en découlent

« Votre proposition de discuter et d’enrichir le projet est inappropriée et inopportune compte tenu de la crise sanitaire et des conditions du confinement. Nous ne pouvons assurer un large débat au cours duquel participeront tous les Algériens, les partis, la société civile, les militants, les étudiants et les universitaires », tempête l’homme de loi.

Et d’ajouter : « Lors de votre campagne électorale, vous avez promis de modifier la constitution et d’en élaborer une qui réponde aux aspirations du peuple algérien, à la démocratie et à la liberté.J’ai cru de que vous auriez recours à une conférence nationale à laquelle participeraient toutes les sensibilités politiques et la société civile afin d’élaborer un document de consensus dont les résultats seraient rédigés par un comité technique. Mais ce qui s’est passé, c’est que vous avez formé un comité pour formuler les souhaits et les orientations du système et donner l’impression que le brouillon du projet de constitution était l’émanation du comité d’experts ».

Dans la deuxième partie de sa lettre, l’ex-député du Front des Forces Socialistes (FFS) aborde les arguments de fond. Il commence par souligner le flou qui entoure le système politique que le locataire d’El Mouradia souhaite mettre en place : « Le projet ne met pas en évidence un système spécifique, ni parlementaire, ni présidentiel, ni semi-présidentiel. Tel qu’il apparaît dans le document, il contredit tous les principes contenus dans les constitutions qui établissent la démocratie ».

Puis, il poursuit en s’inquiétant de la potentielle dérive autoritaire et liberticide du Président, et de l’impunité – issues de ses nouvelles prérogatives  – dont il disposerait.  

« J’ai été surpris par le contenu du projet qui a fini par établir un régime individuel faisant du poste du Président de la république un empereur qui s’immisce dans le travail de tous les pouvoirs législatif et judiciaire – sans parler des organes de contrôle qu’il a sous son joug par le biais des nominations -, et surtout qui n’est responsable ni politiquement, ni judiciairement », s’alarme l’ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme.

Celui qui est apparu comme l’un des fers de lance du mouvement du Hirak regrette par ailleurs que les propositions qui figurent dans le document provisoire ne tiennent pas compte des aspirations des citoyens.« Je ne pense pas qu’avec le contenu proposé pour la constitution, vous pourrez établir une nouvelle Algérie de la démocratie et de la liberté pour laquelle les Algériens sont sortis le 22 février 2019 », déplore-t-il.

Dans la dernière partie de son épître, le spécialiste en droit pénal rappelle que l’exécutif algérien a proposé que la plateforme soit enrichie et complétée par la population, puis s’interroge sur ce qui restera des propositions émanant de la société civile. « La question qui vient à l’esprit est de savoir quelles sont les garanties que les modifications, ajouts ou suppressions proposés par les participants à la discussion – à distance – seront pris en considération, compte tenu du mode de participation et du manque de transparence », se questionne le natif de Sidi Abdelaziz (Wilaya de Jijel).

En guise d’épilogue, Mustapha Bouchachi a tenu à marquer son scepticisme quant à l’ouverture démocratique affichée par Abdelmadjid Tebboune.

« J’ose espérer me tromper mais la manière dont le débat est mené tente de donner l’impression que plus de 1 800 contributeurs de partis, d’associations et de personnalités ont exprimé leur opinion.Le but de celui-ci est peut être de donner la légitimité qui manque car la constitution consensuelle nécessite un large débat de société », conclut, un brin fataliste, l’avocat.

Amale Hoummati