Après avoir fait un état des lieux du secteur du numérique algérien, Mehdi Omarouayache nous explique, dans cette seconde partie, où doit se situer l’Algérie au niveau international.
Estimez vous que les infrastructures sont suffisantes aujourd’hui en Algérie?
Globalement si on compare avec le reste de l’Afrique, l’Algérie n’est pas trop mal. Si on en revient aux moyens mis toutes ces années dans ce secteur, je pense qu’on aurait pu un peu mieux faire avec plus de concurrence dans l’accès à l’internet et aux services. Cela aurait donné un peu plus d’élan à nos startups. Il y a aussi le sujet de la modernisation du système de paiement. En l’absence des moyens de règlement , c’est une bonne partie des modèles économiques qui se trouvent pénalisés.
L’Algérien a l’habitude de régler en liquide. Est ce que le problème n’est pas d’ordre culturel?
Dans tous les pays, il y a une phase d’apprentissage plus ou moins longue.En Algérie, le gros de la population est jeune et connecté. Je pense qu’on est prêts pour le numérique. Quand les entreprises ont proposé des services comme le VTC ou le e-commerce, l’adoption a été très rapide. On aura vite fait de régler ce souci étant donné que c’est une innovation qui répond à un besoin réel.
On estime à 110% le taux de pénétration du mobile en Algérie. Quels sont les usages que la jeunesse fait avec son portable?
On est longtemps restés des consommateurs passifs de cet internet mobile. Heureusement que certains entrepreneurs ont pris à bras le corps cette problématique en développant des solutions pour faciliter la vie au quotidien. Les usages sont proches de ceux qui se font dans le monde. On utilise internet pour prendre un VTC, commander une pizza, acheter un billet d’avion, pour vendre, pour trouver un emploi. Les usages se développent et se diversifient.
Avec un taux de pénétration aussi important, le gisement est énorme…
Exactement. Avec une population aussi jeune qui ne trouve pas totalement de réponses à ses besoins. Je pense qu’en enlevant juste quelques freins règlementaires, en encourageant quelques facilitations administratives on peut espérer qu’il y ait beaucoup plus de services digitaux, de startups, d’entreprises qui s’investissent dans ce domaine.
Vous étiez en Tunisie en septembre pour un salon international. Comment se situe l’Algérie par rapport à ses voisins du Maghreb?
On a un gros potentiel mais il n’est pas encore exploité. On dispose d’une population formée et d’un nombre important d’ingénieurs. Avec ce gisement de compétences, on gagnerait à un meilleur rapprochement entre l’université et l’entreprise. L’un des atouts de l’Algérie, c’est aussi sa diaspora qui est bien formée, qui connait les codes, qui a du réseau dans des pays où l’Algérie pourrait avoir des marchés. On a aussi une profondeur naturelle qui est l’Afrique.
En tant que président d’Algeria Digital Cluster entreprenez vous des rapprochements aves la diaspora?
La Founder Family, c’est 50 % d’Algériens et 50% de bi-nationaux. C’est aussi quelques étrangers qui à travers leurs amis en France ou en Espagne sont tombés amoureux de l’Algérie. Ils sont aussi membres actifs du réseau. L’internationalisation passe obligatoirement par un lien fort avec la diaspora.
Les atouts que vous avez cités sont identiques pour le Maroc ou la Tunisie
C’est comme quand on va à la recherche du pétrole. Là où on a déjà découvert, on a moins de chance d’en découvrir. Certes ce sont les mêmes atouts mais ne serait ce que par rapport à la population, au niveau des salaires, on a quand même plus de marge. Si on prend le cas des centre d’appels, dans ces pays il est très difficile de trouver des personnes qui ont un niveau de français sans accent. Depuis l’indépendance, l’Algérie a investi énormément sur la gratuité de l’école et de l’université. Aujourd’hui, on trouve plus d’ingénieurs disponibles et avec un français impeccable qu’on pourrait en trouver dans ces deux pays.
En juin dernier, vous avez participé pour la première fois dernier au salon Viva Tech. Combien y avait il d’entreprises algériennes. Quels étaient les objectifs en venant à Paris?
C’était la première fois qu’on participait officiellement avec un pavillon de l’Algérie. En revanche, avec la diaspora, c’était notre quatrième participation algérienne.Pendant trois années, on a pu y aller avec trente entreprises en immersion pour les connecter avec ce qui se fait dans le monde. Pour l’édition 2019, on a été aidés par le ministère du commerce à travers le fonds de soutien aux exportations. L’idée n’était pas d’être seulement présents. On avait une vingtaine de stands avec pour moitié des PME potentiellement exportatrices et des startups. Dans la délégation, il y avait aussi une quarantaine de startups qui n’étaient pas exposantes mais qui étaient là pour faire de la veille, pour rechercher des marchés, des partenariats et donner une image réelle de ce qu’est l’écosystème algérien en matière d’innovation. On a fait plusieurs plateaux télé et radio. Ils étaient surpris de savoir qu’il y avait des startups innovantes en Algérie. Il était important qu’on repositionne le pays.
Quelques mois après ce salon, quel bilan faites vous de cette participation ?
On était partis avec deux objectifs. Chacun était présent pour son produit ou service et collectivement pour donner une vision réaliste de l’écosystème et du dynamisme algériens. Il y a eu un grand impact médiatique.Nous avons opéré un rapprochement entre acteurs locaux et la diaspora en Europe. A titre personnel, ma startup, Coofa, a été élue par E-commerce Mag et par les étudiants de l’école Leonard de Vinci comme startup retail la plus prometteuse du salon. On a aussi eu un prix décerné à Legal Doctrine. Je pense que certaines entreprises continuent de discuter avec des investisseurs, des clients, des partenaires. Ces résultats pourront être évalués dans le temps.
Le bilan semble donc très positif
Il est positif. Il y a encore des choses à améliorer mais on espère faire mieux l’année prochaine. On vise aussi d’autres salons internationaux en Asie, aux Etats Unis ou en Europe où il est important que l’Algérie soit visible.
Dans quels domaines les améliorations doivent être apportées ?
Il faut être honnête. C’était notre première expérience.Il faut aussi souligner que c’était un partenariat public-privé. Il y avait un apprentissage mutuel dans un timing serré. Je pense qu’on a fait du bon boulot. On peut faire mieux dans l’organisation de rendez vous B to B, dans l’implication plus effective de la diaspora.
Vous disiez que vos interlocuteurs étaient surpris de savoir que des startups se créaient en Algérie. Est ce que vous comptez travailler sur une meilleure visibilité de celles ci?
C’est l’objectif principal de notre présence sur ce salon ou sur Africup Tunis. Aujourd’hui, l’Algérie recherche un nouveau modèle économique. On est invisibles. Cette économie est mondiale. Les investisseurs, les partenaires, les acheteurs sont mondiaux. Il est impératif pour nous d’être connectés à cet écosystème et de trouver notre place dans la chaine de valeurs mondiales.
Les pouvoirs publics en sont ils conscients? De quelle manière vous aident ils dans la poursuite de cet objectif?
Notre premier chantier était de mettre l’accent sur la pédagogie envers les pouvoirs publics. Avant Viva Tech, il n’y avait aucun salon digital dans le programme officiel des événements soutenus par l’Etat algérien. On avait que des manifestations agro-alimentaire ou énergétique. Aujourd’hui, on a pu inscrire trois événements en Afrique, en Europe et en Asie avec l’espoir de le faire aussi pour Las Vegas. Cette posture de cote à cote commence à porter ses fruits. Nous sommes conscients que nous pourrions aller beaucoup plus loin.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk