Mehdi Omarouayache est une des personnalités qui compte dans le monde des startups algériennes. Président d’Algeria Digital Cluster, il nous dresse, dans cette première partie, un état des lieux du secteur du numérique en Algérie.

Comment réagissez vous aux dernières mesures annoncées du gouvernement pour structurer le secteur du numérique?

Mehdi Omarouayache Cela fait quelques temps que nous construisons le réseau RALIAI (Réseau Algérien des Incubateurs et Accélérateurs de l’Innovation).Monsieur Yacine Djeridene ministre des  micro-entreprises , des startups et de l’économie de la connaissance était – avant sa prise de fonction –  avec nous en sa qualité de responsable de l’incubateur privé Habba Institut.Il est donc au centre de cette dynamique. Il est resté très accessible aux membres du réseau et beaucoup de nos propositions se sont retrouvées dans la feuille de route du gouvernement.

Vous êtes une personnalité qui compte dans l’univers du numérique algérien. Pouvez vous nous expliquer quelles sont vos activités?

Après des études d’ingénieur en informatique j’ai eu un jour l’inspiration d’entreprendre et de créer de la valeur, de l’emploi pour moi, pour mes concitoyens et pour mon pays. J’ai créé ma société Coofa dans le cadre de l’ANSEJ  (dispositif d’aides publiques à la création d’entreprise pour les jeunes). Je fais aussi partie de la première promotion des startups qui ont intégré l’incubateur public de Sidi Abdallah.

Vous avez également initié des événements autour du numérique. Quels sont ils?

Avec des amis, on a créé dans le domaine du digital le premier mouvement pédagogique sur l’innovation. On a initié un événement qu’on a baptisé Webdays. C’était en 2011 au cyber parc de Sidi Abdallah.Autour des Webdays, on a bâti une communauté qu’on a appelé la founder family qui regroupe des Algériens des deux rives de la Méditerranée. Depuis cette date, on a organisé des manifestations dans une quinzaine de villes algériennes. Aujourd’hui, cette fondation s’étale sur 22 pays. A travers cette expérience, j’ai compris  l’intérêt des réseaux pour le business et pour le développement du pays. C’est à ce moment là que j’ai voulu regrouper tous les acteurs nationaux, les grands groupes, les intégrateurs et les startups du digital. Grâce à ce travail d’équipe, on a créé le premier cluster algérien, Algeria Digital Cluster

Qui compose Algeria Digital Cluster?

C’est un groupement à but non lucratif et sans capital d’une trentaine d’entreprises. Cette forme juridique nous permet d’avoir une certaine souplesse. On travaille dessus avec les pouvoirs publics pour améliorer ce statut. Officiellement elle n’accepte comme membre que des personnes morales alors que dans le secteur du digital, il y a une grosse proportion de startups, de tpe (très petite entreprise) qui sont davantage des personnes physiques. Sur le papier ils ne sont pas membres mais nous sommes ouverts à tous ceux qui veulent agir dans le sens du développement de l’économie numérique.

Quel est le but de ce collectif?

Il s’agit d’un regroupement d’entreprises qui a pour but de défendre les intérêts de la filière et de ses membres. Je préside ce cluster qui a pour principale action de faire remonter les réalités du terrain aux décideurs afin de mieux gérer notre secteur, de donner de la visibilité et une image positive de l’écosystème algérien sur le territoire et à l’international. On a commencé à tisser des liens étroits avec les pouvoirs publics qui sont proches de notre activité.

Justement, quid de vos rapports avec les pouvoirs publics?

Dans l’adn du cluster, on ne voulait pas se mettre dans une posture de face à face mais de cote à cote en faisant de la pédagogie. Cela a pris du temps mais aujourd’hui, cela a porté ses fruits. On collabore sur des projets avec plusieurs ministères. On est proche du ministère du commerce. On a été consultés sur la loi sur le e-commerce qui est en cours d’amélioration. On a lancé Algeria Innove pour faire rayonner les startups algériennes à l’international. Avec l’aide de la diaspora, on a participé officiellement au salon Viva Tech de Paris 2019 et au forum de la diaspora africaine. Tout cela s’est fait avec le soutien des autorités publiques.

Quel état du secteur du digital en Algérie?

Il est clair que l’Algérie bénéficie d’un nombre important d’ingénieurs, de techniciens, de ressource humaines. Il y a aussi des Algériens qui ont été formés dans des grandes écoles ou qui ont travaillé dans des multinationales. Ils s’intéressent au développement de ce secteur en revenant ici ou en le soutenant depuis l’étranger. On est en revanche loin d’avoir exploité tout le potentiel que représente le digital. Il y a eu absence de vision, de concertation entre les différentes parties prenantes, privé ou public. Que ce soit dans la relation entreprise-gouvernement, entreprise-startup, startup-administration. Aujourd’hui, on essaie d’améliorer cela dans le contexte particulier que connait le pays. Avec une très forte mobilisation, on peut reprendre en main l’avenir de l’Algérie dans le domaine de l’économie et de l’innovation.

Savez vous combien il y a de startups en Algérie?

Je ne crois pas qu’un pays puisse dire de manière exhaustive combien il y a de startups. Tous les ans,  il y en a qui se créent ou qui meurent. Je ne pourrai pas donner de chiffres exacts. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il y a un réel engouement de la jeunesse pour entreprendre et capitaliser sur leurs connaissances afin de participer au développement de leurs pays. 

Dans quels domaines évoluent-elles?

Elles sont davantage dans les domaines où il y a un besoin local comme la logistique, l’éducation, l’emploi ou les applications liées à la santé.

Connait-on le profil de ces créateurs d’ entreprises?

Il y a un peu de tout. Je reçois même des personnes de 50 ou 60 ans. Il faut sortir du cliché de l’étudiant dans sa chambre de cité universitaire. Beaucoup sont diplômés de l’université. La majorité sont des startups dans le domaine de la technologie, de l’informatique…mais il y en a dans la biologie, dans le juridique..A l’instar de la tendance mondiale, les plus successful sont des entreprises fondées par des personnes qui ont une expérience professionnelle dans des grands groupes ou dans des multinationales. Ils capitalisent pour créer une startup.

Et quelles sont leurs attentes?

Chaque startup a des besoins spécifiques par rapport à son domaine d’activité, sa taille, sa région. Ceux d’une entreprise dans le sud ne sont pas les mêmes que ceux d’Alger. Celles qui sont dans le retail n’ont pas les mêmes besoins que celles qui sont dans la Legal Tech (domaine du juridique). Globalement, il y a les problématiques qui sont propres à toutes les startups du monde à savoir l’accès au premier financement, au marché, aux ressources humaines qualifiées, au financement pour la croissance. Le contexte gagnerait à s’améliorer pour permettre aux entreprises d’émerger mais surtout de croitre. Malgré cet état des lieux, il y en a certaines qui réussissent à devenir des champions et qui s’internationalisent. On était au forum continental sur les startups à Tunis, organisé par la fondation Smart Africa. La meilleure Legal Tech, Legal Doctrine, a été algérienne. On a des réussites locales comme Emploitic ou Yassir qui arrivent à s’exporterAinsi Legal Doctrine  va Tunisie,  Leader Soft se positionne en Afrique. Malgré nos manquements, on a certaines startups qui arrivent à s’internationaliser. Si on met en place un cadre plus incitatif et des aides plus ciblées pour aller sur des marchés internationaux, on aura  beaucoup plus que ces dizaines d’entreprises qui ont pu s’exporter. 

Comment essayez vous d’améliorer cet écosystème?`

De plusieurs manières.En le rendant plus visible. Par définition, l’économie est mondiale et connectée, et encore plus dans notre secteur. Un des axes est d’ouvrir l’Algérie à ce qui se fait dans le monde. Il s’agit d’avoir une vision pour permettre à nos entreprises et nos startups, à nos champions du numérique d’émerger dans un contexte local mais avec l’ambition d’avoir au moins une envergure continentale et pourquoi pas internationale.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

Dans la deuxième partie de l’entretien, Mehdi Oumarouayache nous expliquera le positionnement de l’Algérie par rapport à ses voisins géographique et la stratégie d’internationalisation des startups algériennes.