
A 39 ans Farid Moulgada est devenu, en avril dernier en Pologne, Champion du monde 2023 de lecture rapide. Une performance que le franco-algérien a réalisée en avalant un ouvrage de 45 000 mots en seulement vingt minutes. Pour dzairworld, l’enseignant en arts graphiques et en métiers du livre nous explique comment il s’est hissé au sommet de la hiérarchie mondiale des lecteurs.
Un titre de Champion du monde de lecture rapide décroché en avril dernier en Pologne. Surpris du résultat?
J’ai été surpris à moitié car je travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Je n’y suis pas allé pour gagner mais en tant que compétiteur, face à moi même. Je me suis défié pour mesurer ma progression.Il s’est avéré que j’ai décroché ce titre. Je suis content d’être Champion car cela prouve que le travail paie.
Quelle performance avez vous réalisée?
La compétition consistait à lire un livre, jamais paru, pendant deux heures maximum sur une plateforme numérique. En ce qui me concerne le livre était en français et il était également traduit dans la langue de tous les participants. On devait répondre à une vingtaine de questions pour vérifier la compréhension du lecteur.J’ai lu en une vingtaine de minutes 45 000 mots, soit 170 à 200 pages. J’ai eu 66% de bonnes réponses.
Vous parliez de progression. Pourriez vous déjà nous raconter votre première tentative à ces Championnats du monde de lecture rapide?
Après le confinement, j’ai découvert la lecture rapide. Je me suis formé à la MK Académie auprès de Mohamed Koussa qui est le premier Champion du monde français – d’origine algérienne – de lecture rapide. Grâce à mon sens de la pédagogie, je suis aussi devenu formateur en accompagnant une équipe aux Championnats du monde de 2022.Sans réelle préparation, et en distanciel, j’ai réussi à me classer 50ème sur 200 compétiteurs. C’était déjà incroyable !
Contrairement à d’autres participants, vous avez tenu en 2023 à vous rendre sur place. Pour quelles raisons?
C’est psychologique. La compétition n’a pas la même saveur quand on est sur place.Il y a une préparation mentale qui est très importante. C’est cette adrénaline qui influe sur le résultat.
Comment se prépare-t-on alors à un tel événement?
Premièrement, par le bon accompagnement de la MK Académie, par le travail et par l’investissement. Il y a aussi la préparation mentale. On est sur du sport de haut niveau cérébral.
Pourriez-vous nous décrire une Journée type d’un futur Champion du monde?
Après la prière du matin, je me donne un peu de temps pour lire. Je m’exerce sur les différentes techniques de lecture (en zigzag, en S, par saut…). Ensuite, je travaille sur l’aspect « compréhension ».Le soir, je répète en moins intense les exercices matinaux. En général, j’essaie de lire un, deux voire trois livres par jour. Il faut vraiment être assidu.
En parlant de sport de haut niveau, cela nécessite-t-il d’avoir une certaine hygiène de vie?
Complètement. Les performances dépendent de l’équilibre global. Pour obtenir des résultats, il faut être équilibré au niveau de la tête, du corps et de l’esprit. Il faut bien se connaitre, s’alimenter et respecter son temps de sommeil.
Est-ce que cela vous a aidé d’être d’avoir participé une première fois à l’épreuve?
Tout à fait. Cela m’a permis de mettre l’énergie au bon endroit en agissant de manière efficace et en réduisant le stress lié à l’épreuve.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour votre deuxième participation?
Le fait d’être à l’étranger, de ne pas maitriser la langue, d’être dans un environnement inconnu et d’être soumis à la pression inhérente à la compétition. A titre d’anecdote, je suis tombé malade le premier jour de mon séjour en Pologne.
Dans quel domaine pensez vous avoir progressé entre les deux compétitions ?
En 2022, j’avais la casquette du coach accompagnateur. J’étais accaparé par une charge de travail parce qu’il fallait que je fasse les questions et les réponses pour les membres de l’équipe. Je suis sorti de ma zone de confort pour aborder les livres d’une autre façon. J’ai développé des techniques qui m’ont permis d’augmenter mon taux de compréhension en allant chercher des informations plus pertinentes.J’ai beaucoup progressé car c’était un travail très difficile.
Auriez-vous un exemple d’un type d’information pertinente à aller chercher dans une lecture?
A force de lire des livres, on finit par en connaître le schéma narratif.Si on veut comparer avec le cinéma, on a une introduction – le contexte et quelques émotions -, puis un élément déclencheur qui vient tout bousculer. On passe ensuite au développement (comment résoudre l’énigme?) en mettant les personnages en situation.Et il y a une conclusion avec le héros qui a résolu ou pas l’énigme. Un lecteur efficace va tout de suite récupérer l’élément déclencheur (quel est le sujet principal?, quel est le message de l’auteur ?). Une fois qu’on a l’habitude du schéma narratif, on sait où se situe l’information. L’auteur a un message à passer. Une fois qu’il l’a fait, il va le répéter d’une autre façon avec des arguments et des exemples.En prenant goût à la lecture, on repère l’essence d’un texte.
Quels sont les outils du lecteur efficace?
Les outils sont un bon questionnement sur le livre, les différentes techniques de lecture rapide (guide visuel, lecture par saut, en S, en zigzag..), la concentration, la prise de note, et l’organisation du temps de lecture (méthode Pomodoro).
La lecture rapide est donc à portée de tous..
Oui. L’idée n’est pas de devenir un Champion du monde. Je veux donner envie aux gens de lire.C’est important de garder une connexion avec la lecture. A ce propos, « Iqraa » (« lis », référence coranique) fait aussi partie de nos racines. Il n’y a pas que les réseaux sociaux, la télé ou Netflix.
Vous évoquez l’importance de la lecture.Vous êtes pourtant devenu lecteur sur le tard. Comment cela se fait-il?
Ce qui m’a fait grandir dans mes lectures, c’est de me dire que j’avais un outil efficace pour pouvoir lire.J’ai donc dévoré les livres grâce à la lecture rapide. Plus je lis, plus j’aime lire.
Vous préférez l’expression « lecture efficace » à celle de « rapide ». Pour quelles raisons?
La lecture efficace obéit à un ensemble de stratégies comme interroger le livre, analyser le sommaire, aller chercher les mots clés. Pour info, le cerveau d’un lecteur lent s’ennuie. Il a le temps de s’évader. Il perd l’information et oublie ce qu’il lit.Il sera donc obligé de revenir en arrière. En fait, plus on est concentré, plus on lit vite, plus on comprend et plus on gagne du temps.
Les qualités acquises avec la lecture rapide sont-elles transposables dans d’autres domaines?
Oui. J’ai appris à me concentrer, à prendre du recul sur les choses de la vie, à ne pas me précipiter et à me dépasser.Plus je lis, plus je comprends certaines choses. La lecture m’apaise.Elle me permet aussi de développer une meilleure mémorisation et une prise de notes plus efficace.
Qu’entendez vous par « prise de notes »?
Je fais référence au mind-mapping (la carte mentale) qui retrace le schéma de la pensée neuronale. C’est ce qui permet de retransmettre ses idées d’une façon plus précise. On associe des mots-clés et des images qui font sens. On va dès lors retenir beaucoup plus vite l’information qui sera plus ludique et agréable.
Que vous a apporté ce que ce titre de Champion du monde depuis le mois d’avril ?
Il m’a permis de me révéler, de me dépasser et de faire de nouvelles rencontres.
Qu’aimeriez vous faire de cette couronne?
J’aimerais partager mon expérience à travers des conférences, des ateliers, des rencontres avec des collégiens, des lycéens et le monde de l’entreprise.Pour moi, c’est très important de transmettre.A ce sujet, je prépare une formation innovante et qualitative.
En quoi votre formation sera-t-elle différente des autres?
Pour différentes raisons : je suis enseignant depuis plus de 12 ans, j’ai été formateur et coach, je suis Champion du monde en titre. Cette formation va à l’essentiel, sous forme de capsules videos de 2 à 3 minutes, avec une progression pédagogique. J’ai par ailleurs mis un point d’honneur à proposer un enseignement plus poussé et à mettre au service de l’apprenant des outils confortables et modernes.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk