Premier Adjoint de la Maire du 14ème arrondissement de Paris, chargé de l’éducation, des nouveaux apprentissages, de la petite enfance et des familles, Amine Bouabbas est un homme de terrain qui ne compte pas ses heures. Le franco-algérien, qui est par ailleurs historien de formation, milite aussi pour la création d’un musée de la colonisation. Pour dzairworld.com, ce père de famille, qui fêtera bientôt ses 43 printemps, a accepté de nous parler de son rôle d’élu, de ses combats et de son lien intime avec l’Algérie.
Pourriez vous vous présenter à nos lecteurs?
Amine Bouabbas : Je suis premier Adjoint à la Maire du 14ème arrondissement en charge de l’éducation, des nouveaux apprentissages, de la petite enfance et des familles.Je suis élu sur ce mandat depuis 2020. Auparavant (2014-2020), toujours dans le 14ème et auprès de Madame Carine Petit (ndlr, la Maire), je m’occupais du logement et du sport. Je suis aussi un militant politique depuis 2002 au sein de différentes formations politiques de gauche.
Quel est votre parcours scolaire et universitaire?
J’ai obtenu un Baccalauréat économique et social en France et un DEA d’histoire de l’université de Paris 12 Créteil. Je suis Professeur d’histoire et géographie en détachement de l’Education Nationale.
Vous avez par ailleurs une autre fonction qui est celle de Directeur des politiques locatives de l’Office communautaire de Plaine Commune.
Effectivement, je travaille chez un bailleur social, l’Office communautaire de Plaine Commune. Je m’occupe des politiques en lien avec les attributions, le relogement urbain, l’habitat spécifique des personnes âgées ou handicapées.
Vous parlez de votre réalité en banlieue, qu’en est-il sur Paris?
Ce n’est pas simple dans un contexte où les collectivités sont pressurées, au niveau des finances publiques, par l’Etat. Cela dit, on a la chance à Paris de beaucoup d’investir. On essaie de construire des logements sociaux, de conventionner un maximum de logements, de rénover nos écoles dans le cadre du défi climatique pour que les enfants et les maitres et maitresses travaillent dans de meilleures conditions. On végétalise les cours. On a aussi des politiques de solidarité extrêmement importantes malgré la réalité du marché parisien où le prix du logement privé est très cher. Il y a donc une pression sur le logement social mais on fait tout pour faire face avec des politiques publiques très ambitieuses.
Pour ceux qui ne connaissent pas votre arrondissement, pourriez vous nous fournir quelques données ?
C’est un arrondissement de 142 000 habitants. Les 13ème et 15ème, ce sont respectivement 180 000 et 220 000 habitants. Nous sommes très mélangés socialement puisque nous avons des quartiers aisés (Denfert-Rochereau, Montsouris), populaires et mixtes (Pernetty, Porte de Vanves, Porte d’Orléans). Nous sommes le quatrième arrondissement pour le taux de logement sociaux et nous avons été le sixième pour le paiement de l’Impôt sur la fortune (ISF) du temps où il existait. Cela montre un certain équilibre.
Pour en revenir à votre rôle d’élu parisien, quel est-il concrètement?
J’ai la tutelle sur les crèches et les haltes garderies, une vingtaine, et sur les écoles maternelle et élémentaire et les collèges en tant que collectivité. Il y en a 37 en tout. Je gère à la fois l’aspect bâtimentaire mais aussi les personnels périscolaires et extra-scolaires. Par exemple, on développe des partenariats pour créer en extérieur les cours Oasis. Pour les périscolaires, on a mis en place le Plan Educatif de Territoire (PEDT). On propose aux enfants le programme Déclic Langues avec des ateliers en anglais, espagnol, arabe ou autres.
A quoi ressemble la semaine type d’Amine Bouabbas?
Avec la Maire, nous avons un bon nombre de réunions le matin avec les parents d’élèves. Le soir, on peut avoir des conseils d’écoles, des conseils de parents pour les crèches. Le week-end, il y a des fêtes de quartier, des journées portes ouvertes…
Peut-on dire que le 1er adjoint de la maire du 14è est une espèce de Premier Ministre municipal ?
En terme de rang, c’est le premier après celui de Maire. Mon rôle est aussi de l’aider dans sa tâche. Je peux parfois la représenter en cas d’absence à des cérémonies par exemple.
Comment devient-on Premier Adjoint?
Aux élections municipales, la population élit une liste avec une tête de liste. Carine Petit l’était en 2014 et 2020. Suite à cette élection, il y a un Conseil d’arrondissement où les élus élisent formellement la Maire, laquelle désigne ses adjointes et ses adjoints.
On suppose que vous avez accepté cette charge avec plaisir.
Avec beaucoup de motivation et d’enthousiasme, j’ai accepté cette mission. J’avais été directeur de campagne en 2020.Je suis en outre engagé dans la vie politique depuis très longtemps.
Le choix de l’éducation, de la petite enfance, des familles et des nouveaux apprentissages, est-ce une manière de poursuivre, sous une autre forme, votre passion pour l’enseignement ?
Quand la Maire est élue, on discute entre nous pour savoir qui veut faire quoi. Je m’ étais porté candidat pour m’occuper d’éducation parce que c’est un sujet qui me tient à coeur par rapport à mon métier, à ma formation et en tant que père de famille. C’était une adéquation entre une opportunité et ma volonté du moment.
Votre métier d’enseignement vous aide-t-il dans votre quotidien?
Oui. Cela me permet d’avoir une connaissance plus importante que d’autres du monde de l’éducation.Il y a une compréhension peut être plus fine. Je suis encore un collègue des enseignants.
En tant qu’historien, vous vous battez pour la création d’un musée de la colonisation. Où en est le projet ?
En tant qu’élu Franco-Algérien, notre rôle est aussi de rapprocher nos deux peuples. La mémoire coloniale reste aujourd’hui très prégnante en France. On essaie localement d’y contribuer même si c’est modeste. Hier, il y avait la cérémonie du 19 mars 1962 (ndlr, entretien réalisé le 20 mars) qui est une commémoration officielle même si beaucoup de municipalités refusent de la faire. Avec ma collaboratrice, et en accord avec la Maire, on a eu à coeur d’inviter des élèves de 3ème de deux collèges de l’arrondissement – Jean Moulin et Alphonse Daudet – qui sont venus lire des textes de René Char, Jean Sénac – qui était Algérien – et d’Albert Camus. On a des historiens et d’historiennes de qualité en France et en Algérie qui ont écrit sur la colonisation de territoires par les Européens ou les Français.Sur ces sujets, il faut faire connaitre l’histoire par l’école, par les médias ou via les cérémonies. Contrairement aux pays anglo-saxons, ce n’est pas normal qu’on n’ait pas de musée de la colonisation.Même s’il y a eu des avancées, la décolonisation des esprits doit aller au bout.
Pourquoi cela bloque-t-il, selon vous?
Il y a malheureusement le retour ces dernières années, à l’extrême droite mais aussi à droite, de discours nostalgiques de l’Algérie française.On a beaucoup d’attaques de certains partis politiques contre l’Algérie et les Algériens avec des fantasmes comme la récente polémique autour de l’accord de 1968 qui règlemente la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. Le parti des Républicains, c’est celui du Général De Gaulle qui a accepté l’indépendance. Quand je vois beaucoup de leurs dirigeants avoir la même position que le Rassemblement National, c’est extrêmement inquiétant.Le combat que l’on mène autour du musée national de la colonisation, c’est très important car c’est par les musées que la connaissance se transmet. En tant qu’élu et militant, c’est important de resserrer au maximum les liens entre les deux peuples.
Y a t-il des retours favorables du coté de l’Elysée ou du ministère de la Culture?
Il y avait un moment un projet qui semblait avancer du coté de Montpellier. Un musée, c’est un contenu. C’est un projet pédagogique et scientifique.Ce n’est jamais neutre. C’est là où c’est complexe. Il y a des résistances qui ne sont pas claires.
La conséquence d’une colonisation, c’est souvent une émigration vers le pays colonisateur. A ce propos, le 14ème arrondissement a toujours été une terre d’accueil pour les Algériens.
Effectivement, il y à la présence d’une communauté algérienne depuis plus d’un siècle. Pour l’anecdote, il y avait rue Daguerre le siège de l’Etoile Nord Africaine de Messali Hadj, le père du nationalisme algérien.Il y avait aussi énormément d’ouvriers dans l’arrondissement car on n’était pas loin des usines situées dans le 13ème et le 15ème. Historiquement, il y a donc eu beaucoup d’Algériens et notamment ceux venant de Kabylie qui ont ouvert des cafés. On a d’ailleurs fait une place au nom du chanteur Slimane Azem et un square à celui de la chanteuse Chérifa. La culture algérienne a toujours été présente dans l’arrondissement.On est fiers quand on peut la mettre en valeur.
A titre personnel, quels sont vos rapports avec l’Algérie?
L’Algérie est également mon pays. J’y suis né dans le quartier de Hussein Dey, à Alger. On est arrivés en France en 1994 avec mes parents et ma soeur. J’y vais deux à trois fois par an. J’en ai une connaissance et un lien intimes. J’y ai de la famille ainsi que ma belle-famille.
Y a-t-il des particularités que vous aimez retrouver quand vous vous y rendez?
Je dirais la lumière qu’on ne trouve pas à Paris. Je suis aussi un amoureux de la mer méditerranéen, à Alger, ou quand je suis chez mon père à Béjaïa.
Je crois savoir que vous faites partie du Cercle de l’Emir Abdelkader. Pouvez vous nous en dire plus sur cette association de création récente?
C’est une association d’élus franco-algériens et de membres de la société civile (scientifiques, entrepreneurs…). On a choisi ce personnage car c’était un résistant contre l’occupation de l’Algérie par la France.Il était aussi très respecté par les Européens et les Français pour avoir sauvé des Chrétiens en Syrie lors des émeutes de 1860.L’idée de ce Cercle est d’essayer d’apporter ici notre pierre à l’édifice et de resserrer les liens entre l’Algérie et la France. Dans un second temps, on aimerait mettre en place des coopérations avec des élus en Algérie.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk