Zak Kedzi est un jeune réalisateur Franco-Algérien qui a choisi l’Algérie pour théâtre dans son premier long métrage. Dans Chroniques Algériennes, actuellement en post-production pour une sortie courant 2021, le cinéaste capte l’intensité et l’authenticité du Hirak à travers sa société civile. Pour dzairworld.com, l’auteur a accepté de nous parler de son film et de son rapport à son pays d’origine.
Quel a été votre parcours avant de réaliser Chroniques Algériennes?
Zak Kedzi : Mon parcours est animé par l’écriture. J’ai d’abord commencé avec le rap au lycée, certainement parce que j’ai grandi en banlieue et qu’il fait partie de ma culture. Comme je n’ai pas eu mon bac à 18 ans, j’ai arrêté l’école pour travailler et le rap pour me lancer dans les scénarios de bande dessinée. Puis, je me suis essayé aux nouvelles et à la poésie. Je me cherchais encore à l’époque. En parallèle, je travaillais dans l’événementiel. J’ai été amené à assister à un tournage de film. C’est à ce moment-là que j’ai compris. J’avais 25 ans. J’ai repassé mon bac et j’ai quitté ce travail pour une licence de cinéma à Paris 1, Panthéon Sorbonne. J’en suis finalement sorti avec un Master. Dans la foulée, j’ai signé mon premier court-métrage.Et aujourd’hui, ce premier long : Chroniques Algériennes.
Quel rapport entretenez vous avec l’Algérie?
C’est la grande question qui traverse mon travail et mon écriture. Mes parents sont nés en Algérie. Est-ce que je suis Français, Algérien ou les deux? Je creuse et je cherche. Je m’interroge sur ça dans Chroniques algériennes. Peut être qu’à travers mes films et l’écriture, je réussirais à répondre plus précisément à cette question. Pour le moment, ce que je peux dire c’est que l’Algérie est un pays que j’aime particulièrement.
Après12 ans d’absence, comment avez vous retrouvé votre pays?
Ce retour en Algérie a été assez intense. Tout s’est passé très vite. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’en profiter. L’Algérie, ma famille, ce Hirak, émotionnellement, c’était puissant. Je n’ai pas eu le temps de m’arrêter et de me soulager de toutes les questions qui me traversaient. Je dois y retourner.
Ce lien au pays, est-ce un questionnement?
Oui. Il est latent depuis trop longtemps.
Pourquoi cela vous tenait-il à cœur de réaliser un film sur le Hirak?
Depuis deux ans déjà, je travaille sur l’écriture d’un film documentaire Chaâbi, à travers lequel je tente de résoudre une quête identitaire. Les événements politiques qui ont eu lieu en Algérie ont tout bouleversé. Durant l’été 2019, ce Hirak, je l’ai perçu comme un appel. L’Algérie en finale de la coupe d’Afrique, c’était une évidence. J’ai mis de côté l’écriture. Je suis allé sur place avec une petite équipe. Au début, je partais simplement en repérage pour Chaâbi mais j’ai été saisi par les événements. Je vivais de l’intérieur un nouveau récit sans forcément le conceptualiser en tant que film.Ce n’était plus Chaâbi, c’était Chroniques Algériennes. On a démarré le micro et la caméra, et on s’est jetés dans la foule, sans savoir ce qui allait se passer. Un peu comme un Open Mic (ndlr, sans préparation), c’était sans filet. J’étais porté par le récit qui se dessinait de lui même.
Dans quelles conditions avez vous tourné?
Au premier voyage, on était encore dans une atmosphère très « silmya, silmya » (« paix, paix », un des slogans du Hirak). C’était l’été 2019, au moment de la finale du Championnat d’Afrique des nations (ndlr, l’Algérie a été championne en Egypte). Il y avait une effervescence très festive à ce moment là. On était dans le pic de l’espoir porté par le Hirak. Les gens étaient heureux. Il n’y avait pas encore de tensions et de rapports de force. On s’est sentis bien reçus. C’était très facile d’évoluer parmi les gens, et même vis à vis des autorités. Pour la petite histoire, on s’était fait arrêter par deux femmes d’une cinquantaine d’années. L’une d’elle portait le voile. Je pensais naïvement qu’elles voulaient témoigner face caméra. En réalité ,c’était des flics en civil. Elles ont essayé de comprendre qui on était, et ensuite elles nous ont souhaité la bienvenue.
Il y a une scène d’émeute dans votre film. Pouvez vous nous expliquer ce moment?
Cela s’est passé pendant le deuxième tournage de décembre durant les élections. Mon équipe n’a pas eu de visa. J’y suis retourné seul. J’ai travaillé avec des techniciens algériens. L’ambiance était totalement différente. Les tensions étaient palpables. Il ne fallait pas se faire remarquer. La séquence de l’émeute a été un peu compliquée à tourner. Elle nous a beaucoup fait réfléchir durant l’étape de montage. Sa puissance marque profondément le film. Elle affirme un cap passé dans cette lutte. On y aperçoit une rage qui prend à revers le reste du film. Il fallait que j’expose cette colère qui est réelle.
Comment avez vous choisi vos personnages?
Le choix des personnages a été un travail de recherche et de prise de contact presque journalistique, mais il a aussi su être burlesque. Certains se sont imposés alors que d’autres étaient issus d’une recherche préalable. C’est assez fou.Toutes les rencontres ont été très justes et tous les personnages ont amené des parts de vérité complémentaires. Ils avaient tous un désir d’affirmer leur réalité. Ils étaient beaux comme de vrais acteurs de Cinéma. Par moment, j’avais l’impression de vivre une fiction.
Pourquoi avoir décidé d’apparaitre à l’écran?
Il fallait que j’assume mon regard sur ce mouvement. Etre à l’image c’est dire d’où je viens et ce que je fais là. Cela a affirmé mon point de vue. En même temps, cela m’a permis d’amener une forme de poésie à travers mon errance dans les rues d’Alger. J’avais besoin d’être proche de mon film, de mes personnages et du Hirak.
Cette présence est-ce aussi une manière de dire que vous faites partie de ce mouvement?
J’en suis solidaire, mais le hirak appartient aux Algériens qui vivent sur place. Je ne peux pas me l’approprier sachant que je vis en France.
Votre documentaire s’ouvre sur la Casbah en ruine. Quelle en est l’intention?
Le film s’ouvre sur la Casbah mais aussi sur ces deux jeunes « harragas ». D’un côté, il y a ce lieu mythique en ruine, fort de son récit révolutionnaire dans l’histoire algérienne. Et de l’autre, il y a cette jeunesse abandonnée à son sort. C’est comme si le passé et l’avenir du pays étaient concentrés là, dans cette séquence d’ouverture. Tous deux liés et dénigrés.
« La vie en Algérie est plus difficile que l’exil », balance l’un des jeunes. C’est assez noir comme propos.
Le film commence par une des séquences les plus fortes. Dès les premières minutes, on prend un coup.On est sonnés. Ces deux jeunes sont extraordinaires. Malgré leur misère sociale, ils dégagent une force et un courage inspirant. Ils veulent partir. Pourquoi n’auraient-ils pas le droit de circuler ? Nous ici en Europe, on est libres de voyager. Pourquoi cette jeunesse devrait-elle rester enfermée et cantonnée à un seul lieu ?
La musique est omniprésente. Etait-ce pour contrebalancer la gravité du thème?
Lorsque j’étais plus jeune, mon père écoutait beaucoup de musique Chaâbi. C’est resté en moi. En Algérie, la musique est aussi profondément sociale, engagée et politique. Elle est présente dans l’histoire du Hirak avec les chants qui viennent des stades. Les Algériens ont un rapport particulier à la musique. On le perçoit dans le film. Durant mon errance, j’ai souvent été capté par des rencontres musicales. C’est très naturellement que la musique a pris une place prépondérante dans le film.
La femme est assez visible dans le film. Est-ce un des acquis du hirak?
L’indépendance s’est faite avec la femme algérienne. Elle est en lutte depuis toujours. Dans un combat national et populaire comme celui-ci, elle a sa place naturelle et ses revendications propres. Dans ce film, la femme algérienne s’est imposée d’elle même. J’ai été impressionné par sa force, par tout ce qu’elle soulève comme lutte dans une société en transformation.
Vous êtes issu de la diaspora. De quelle manière peut elle contribuer au destin de l’Algérie?
C’est une grande question. Peut être qu’à travers ce film, j’ai essayé de trouver ma place en Algérie et dans ce mouvement. Personnellement, je ne peux pas me dire que je lutte à travers le Hirak. On ne peut pas faire partie d’une lutte si on ne vit pas dans le pays en question. On ne vit pas les travers et les galères des gens sur place. On peut essayer de comprendre, de les soutenir, de les encourager. La diaspora peut avoir cette curiosité pour son pays d’origine, avoir le désir de voir ce qui s’y passe. En tant que cinéaste, j’essaie de me tenir au courant du cinéma qui se fait là bas. Chacun dans son domaine peut agir et essayer d’être constructif afin de s’investir d’une manière ou d’une autre.
A l’issue de votre film, qu’avez vous compris de la société algérienne?
J’ai encore tout à comprendre de la société algérienne. L’Algérie est grande, riche. D’une région à une autre, il y a des choses nouvelles à découvrir. Chroniques algériennes a posé les prémices du film suivant, Chaâbi. Ce road movie documentaire traversera plusieurs villes algériennes. Peut être que cela me permettra d’en savoir un peu plus.
Je reformule : qu’avez vous saisi de l’Algérie que vous ignoriez?
En tant que Franco-Algérien, lorsque j’ai posé ma caméra, j’ai senti une bienveillance et un amour issus des gens avec qui je dialoguais. Au delà du film, dans ce dialogue bienveillant et intime, j’ai trouvé une place. C’est le plus important pour moi. J’ai besoin d’y retourner pour faire d’autres films.
Y aura-t-il une suite à Chroniques algériennes?
La prochaine étape, c’est Chaâbi.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk