Témoin privilégie des Accords d’Evian en 1961, Raymond Depardon a débuté son métier de photographe en effectuant sa première mission dans le sud de l’Algérie. Dans un entretien accordé au journal Liberté, le Français est revenu sur sa rencontre avec la délégation officielle du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) conduite par Krim Belkacem et sur son rapport à l’Algérie. Morceaux choisis :
« Pour les besoins des négociations en vue des Accords d’Évian, la délégation algérienne était hébergée par les Suisses dans une villa située en face d’Évian, sur la commune de Bellevue, qui s’appelait Bois d’Avault. Au début, nous avions beaucoup de difficultés car ni les Algériens ni les Suisses ne voulaient de photos ».
« Le premier jour, ils nous ont tous fait entrer dans le jardin de la maison. Il y a eu l’hymne national, tout le monde était au garde-à-vous, avec le drapeau algérien aux fenêtres. Après, beaucoup de photographes se sont retirés car la suite ne les intéressait plus. Mais moi, je suis revenu et je me suis présenté à la délégation et on m’a dit : “Vous pouvez faire toutes les photos que vous voulez.” »
« J’ai donc commencé à déambuler dans la maison, les gens revenaient d’Évian par hélicoptère, ils repartaient. Tout cela a duré une dizaine de jours où j’ai fait toutes les photos que je voulais. J’ai pris des photos qui surprennent aujourd’hui car on y voit des gens très joyeux. Tous les soirs, il y avait une conférence de presse sur la progression des négociations, les représentants de deux délégations s’exprimaient ».
« Elle impressionnait (ndlr, la délégation) par sa décontraction et le port vestimentaire très élégant de ses membres. En voyant les photos, nous étions attirés par le sourire et l’élégance de ces jeunes négociateurs. Je me faisais un plaisir de les prendre en photo. Cela tranchait avec l’image qu’on se faisait du FLN dans le maquis, en tenue militaire ».
« Profitant de la présence de la presse internationale, les autorités françaises organisaient des déplacements de journalistes en Algérie, pour se justifier, en quelque sorte.Il faut préciser que nous n’avions pas la possibilité de faire des photos en Algérie, c’était du domaine très contrôlé des services gouvernementaux. Il y avait des villages récemment construits en pleine campagne, avec des appelés qui jouaient aux cartes. Je peux citer une photo que j’ai prise d’un officier de SAS discutant avec un chef de village. C’était de la propagande sur les “bonnes œuvres” en Algérie ».
« Les gens étaient fatigués, ils en avaient marre de cette guerre. Ils en avaient marre de partir au service militaire ».
« Ma femme Claudine et moi, nous aimons l’Algérie où nous sommes très bien accueillis. Être considéré comme un ami de l’Algérie me fait grand plaisir. J’aimerais bien retourner en Algérie, me balader, visiter les villages et les quartiers, parler avec les gens, prendre quelques photos, venir dans ce beau et grand pays… Les gens sont surpris, mais c’est l’un des plus beaux pays avec sa diversité. Il y a des gens qui le savent, d’autres doivent le découvrir ».
Mansouria Fodeili