Politologue algérien Mohamed Hennad dresse le bilan du Hirak qui célèbre ce mardi le troisième anniversaire de son déclenchement. L’ancien professeur de science politique à la faculté et à l’Ecole nationale Supérieure de science politique estime que le mouvement populaire se poursuit dorénavant sur les réseaux sociaux.

Le Hirak célèbre ce mardi ses 3 ans. Quel bilan en tirez vous ?

C’est difficile d’établir un bilan du Hirak mais celui-ci fête bien son troisième anniversaire ! Pas dans les rues, bien sûr, mais dans le cœur des gens, voire dans leurs comportements quotidiens ! Il suffit d’y faire attention pour s’en apercevoir. Qui plus est, le fait que le Hirak continue de faire son effet se mesure par les poursuites judiciaires et les restrictions de toutes sortes qui perdurent pour des motifs aussi ridicules que « incitation à attroupement non armé » ou encore « atteinte à l’unité nationale », comme si cette unité était un matériau friable à volonté ! 

Pourquoi le mouvement n’a-t-il pas pu ou su dépasser le stade des manifestations pacifiques ?

Justement parce qu’il a choisi, dès l’entame, la voie pacifique. Les Algériens ont tenu à méditer les expériences douloureuses que le pays avait connues, notamment durant la décennie rouge (ndlr, les années 90). N’oublions pas aussi, qu’avant le Hirak, les autorités ne cessaient d’avertir les citoyens contre un possible retour de ces années-là – une menace à peine déguisée – ou contre le sort que connaissait la Syrie. C’est vrai que les marches du Hirak ont fini pas donner l’impression de marquer le pas. D’aucuns pensaient qu’il fallait passer à l’étape supérieure, celle de la désobéissance civile. Mais le saut n’a pas été fait parce que cette désobéissance nécessitait une organisation ardue. Et c’est sûrement parce que les citoyens ne voulaient pas donner l’occasion aux tenants du pouvoir de sévir, car ils savaient, dans en leur for intérieur, de quoi « les autorités » étaient capables ! 

La Covid peut-elle aussi expliquer que tout soit gelé pour le moment ?

En effet, la pandémie a imposé des mesures sanitaires indispensables, mais pour un temps puisque les marches du Hirak ont pu reprendre quand-même pendant quelques mois, notamment en Kabylie, avant que le Pouvoir n’y mette fin par une répression tous azimuts. À vrai dire, le Hirak a continué sous d’autres formes, dans les comportements défiants des gens – ce qui n’est pas sans présenter des dangers à long terme – et à travers les réseaux sociaux qui sont devenus plus réactifs.

Croyez-vous à une reprise? Si oui, sous quelles formes ?

Peut-être une certaine reprise, mais jamais comme avant où on a vu manifester, à tue-tête et à toutes épreuves, des millions de citoyens à travers tout le pays à tel point qu’on a le frisson en se remémorant les images. Je pense qu’on est déjà passé à une étape supérieure même si les marches restent toujours nécessaires pour venir en renfort, le cas échéant, aux revendications citoyennes. Maintenant, le travail se fait au quotidien par le refus de la hogra (le mépris) du Pouvoir et à travers les réseaux sociaux qui dénoncent, systématiquement, les méfaits du système, contribuant par là-même au relèvement du niveau de conscience et de militance des citoyens. Il y a aussi les ONG qui font leur travail. Je pense qu’on aurait pu mieux faire si ce n’était cette religiosité pesante qui empêche le pays d’aller de l’avant d’une manière résolue.  

Abdelmadjid Tebboune a souvent parlé de « Hirak béni ». Que recouvre concrètement cette expression?

Cette formule perverse veut tout simplement dire que le Pouvoir ne reconnait que le Hirak ayant donné lieu à la démission du président déchu (ndlr, Abdelaziz Bouteflika), puis à « l’élection » de A. Tebboune. Après cela, tout est « complot ourdi par des ennemis intérieurs complices avec des ennemis étrangers… France, Maroc, Israël » !

Comment analysez-vous la pression mise sur certains opposants – dont certains sont en prison – à ce qu’on appelle le « régime » ou le « système »?

Les arrestations et restrictions de toutes sortes sont de l’ordre du ridicule. A court d’arguments, le Pouvoir recourt aux accusations contre l’unité nationale pour réduire au silence toutes voix le mettant en cause et aspirant à la dignité que la citoyenneté est censée procurer. 

Est-ce compatible avec la « nouvelle Algérie » prônée par le Président de la république ?

Absolument, dans la mesure où la « nouvelle Algérie », pour eux, veut dire la même Algérie que les Algériens ont connue depuis l’indépendance. On voit bien la manière dont le long processus électoral a eu lieu depuis la démission du président déchu et les résultats auxquels il a donné lieu. Aujourd’hui, le FLN et ses acolytes font, comme toujours, main basse sur toutes les institutions électives du pays. Néanmoins, les tenants du pouvoir actuels doivent savoir que rien ne sera comme avant et que la « nouvelle Algérie », c’est tout-à-fait autre chose !

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk