A vingt quatre heures du match de barrage aller, qualificatif pour le mondial de football au Qatar, entre le Cameroun et l’Algérie, nous avons retrouvé la trace de Djilax, un supporter algérien qui était au Caire et à Omdurman – en novembre 2009 – lorsque les Fennecs ont arraché avec panache, face à l’Egypte, leur qualification pour le mondial sud-africain (2010). L’auteur du très plaisant ouvrage One, two, three viva l’Algirie – qui relate ses expériences égyptienne et soudanaise – a accepté de revenir sur ce moment particulier de l’histoire du sport algérien. Entretien avec un témoin oculaire !
L’Algérie s’apprête à rencontrer le Cameroun pour le match aller des barrages qualificatifs à la coupe du monde au Qatar. Comment le vivez vous?
Le fait de revivre un match de barrage nous fait constamment penser au pire, et donc à ce fameux match de 2009 au Caire. On pense aussi à ces moments glorieux en espérant le même sort final pour notre équipe nationale. Je n’irai pas au Cameroun car je me trouve actuellement à New York. Ce sera donc une toute autre ambiance.
L’envie de vous rendre à Douala vous a-t-elle traversé l’esprit?
Je n’ai pas pensé à aller à Douala pour ce match car le fait d’avoir vécu tous ces événements – et surtout une belle issue – a été une chance incroyable. Je suis hanté par le fait que ce ne sera pas forcément ce qui arrivera à Douala même si je pense que l’Algérie peut très bien s’en sortir.
Dans votre livre, vous dites qu’avec le recul c’était une folie d’aller au Caire et à Omdurman en 2009. Ne pensez vous pas que chaque supporter aurait aimé vivre des moments pareils ?
A postériori – et en lisant le livre – tout le monde aurait aimé vivre cette aventure. Cependant, les semaines précédant ce match ont créé une certaine tension car l’Egypte n’avait pas le droit à l’erreur, et l’Algérie était toute proche de se qualifier à une coupe du monde, après 24 ans d’absence. Un ami informé m’avait même clairement déconseillé d’y aller sous peine de danger de mort. Cela s’est vérifié au cours de nos péripéties. En effet, plus le match approchait, plus l’atmosphère s’envenimait. Je ne sais pas si nous risquions d’y rester mais la probabilité d’être blessé était plus que probable. Cette incroyable épopée n’était pas faite que de bons moments.
Pourtant vous expliquez que cette expérience a changé votre vie.
Il y a un avant et un après Omdurman. Cette expérience a clairement changé ma vie, et notamment dans la prise de confiance. Lorsque qu’on est face à des situations terribles telles que des confrontations entre supporters, le manque de moyen au Soudan ou des personnes démunies à Khartoum, la seule phrase qui me revenait était : « Pourquoi nous plaignons nous de nos vies en Europe, alors que la situation est bien plus délicate ici en Egypte et au Soudan ? ». Durant cette aventure, j’ai pu engranger beaucoup de confiance en moi, et de savoir faire. J’étais aussi accompagné d’un ami qui n’avait pas froid aux yeux. Il m’a aussi influencé dans cette évolution. De retour à Paris, je me sentais beaucoup plus fort pour affronter ce qui m’attendait.
A cette époque, vous étiez en recherche d’emploi et vous n’aviez jamais assisté à un match de foot. Qu’est ce qui s’est finalement passé dans votre tête pour plonger dans cette aventure?
La période 2008-2010, d’un point de vue économique, a été très compliquée en raison de l’énorme crise financière qui se déroulait sous nos yeux. Personnellement, cela a été bien pire que l’actuelle période « Covid ». J’étais au chômage. Il était extrêmement difficile de trouver un boulot malgré mes diplômes.Ma famille habitait à 500km, et le premier hiver sans travailler approchait. Clairement une dépression se profilait pour moi. Lorsque Belka, mon ami, m’a contacté pour participer à cet évènement, cela a été un des coups de fil les plus importants de ma vie. Surtout que j’ai failli ne pas y répondre (Rires). Il fallait que je sorte rapidement de cette routine « sans emploi », et que j’apporte quelque chose de positif. Je ne pouvais pas trouver mieux, je pense.
Pour quelles raison avez vous attendu 10 ans pour écrire ce livre?
A l’origine – dès 2009 – je pensais à un film plutôt qu’un livre. J’ai voulu contacter des producteurs et/ou réalisateurs, mais il était très compliqué de présenter ce projet sans l’avoir réellement travaillé. J’ai donc pensé à un écrit qui rendrait compte de l’intérieur ce que les supporters algériens ont vécu. Malheureusement durant cette période, ma vie personnelle (recherche de travail, mariage…) ne me permettait pas de me consacrer à ce projet que j’ai du mettre en stand-by.Avec les années qui passaient, j’ai beaucoup parlé de cette aventure, avec moult anecdotes, à des amis, à des collègues ou à des passants. A chaque discours, je voyais les yeux des personnes briller. Elles me demandaient des détails, et la suite. Chaque fois que je narrais l’histoire, je me murmurais : « Ah zut ! j’ai oublié cette anecdote ! ». Même 12 ans après, je revivais les moments à chaque fois. C’est assez fou. C’est ainsi que l’histoire s’est construite. La maturité m’a aussi permis de relater les événements avec plus de recul, ce qui est un gros point positif. Aujourd’hui, le livre existe. l a déjà plu à des centaines de lecteurs.
Vous racontez que ce sont les supporters, plutôt aisés, qui ont débarqué des quatre coins du pays pour suivre l’équipe nationale. Mais vous évoquez aussi ce personnage qui dit avoir parcouru à pied 3000km jusqu’au Caire.Cette passion pour les Fennecs est incroyable !
Bien avant d’arriver à l’ambassade, une rumeur disait qu’un supporter était parti, dès septembre, d’Alger pour rejoindre à pied le Caire. Je pensais que c’était infondé et que cela provenait de nos histoires algériennes toujours spectaculaires. Pourtant, le premier jour – à l’ambassade -, une ronde s’est formée autour d’un homme qui se faisait acclamer. Il était porté par tous les badauds. Tout le monde discutait de ce jeune garçon venu d’Algérie après avoir traversé la Libye puis l’Egypte. Je sais juste qu’il a dû par exemple être caché quelques heures dans un camion pour gagner une centaine de kilomètres en Libye. Lorsque j’ai vu son visage et son corps très marqué, j’ai compris que c’était réel. Il avait bien fait 3300 Km à pied. Quel courage !
Vous décrivez aussi des scènes croquignolesques au moment de récupérer la veille du match vos billets. Vous attendiez vous à vivre de tels moments de liesse et communion ?
Vous êtes en train de parler de souvenirs incroyables. A l’origine, nous pensions venir à l’ambassade et récupérer nos billets en quelques minutes. Cela c’était sans compter avec la bureaucratie algérienne. L’attente à l’ambassade fut très longue. Cela a donné lieu à des scènes auxquelles je n’avais jamais assistées. Chacun s’occupait à sa manière.Des spectacles s’improvisaient comme ce jeune qui prenait la voix de Hafid Derradji (ndlr, célèbre journaliste algérien qui officie sur BeIn Sports) pour commenter le match à venir. Ou encore notre fameux chibani qui nous parlait de la guerre d’Algérie. Nous ne nous attendions pas à vivre cela.
Il y a également Suzanne ou Sofia qui vous ont également bluffé? Pourriez vous nous en dire plus?
Ah la Suzanne (songeur) ! Cette dame, qui avait dépassé la soixantaine, prend une grande place dans le livre, alors que nous avons dû la croiser que 5 fois, dont une fois au stade, dans un taxi, et le reste du temps à l’hôtel. Initialement, nous avions un regard négatif sur sa façon de faire. Elle n’hésitait pas à être agressive. Avec le temps, nous avons compris sa démarche, et le pourquoi, notamment dans ce pays qu’est l’Egypte. Elle nous a épatés par son caractère, par sa débrouillardise et par sa fougue malgré son âge. Les Egyptiens ne lui faisait clairement pas peur. Elle est venue supporter avec nous l’équipe d’Algérie le 14 novembre. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas ce qu’elle faisait au Caire… J’ai appris récemment que la femme de Moubarak s’appelait Suzanne (Rires). Quant à Sofia, elle était une des mascottes d’un groupe de supporters avec lequel elle s’était déplacée. Elle faisait incontestablement partie des leaders. Dans le stade, notamment en Égypte, elle était très tendue et n’acceptait pas les attaques venues des supporters égyptiens.Elle a notamment bravé toutes les caméras égyptiennes par un doigt d honneur. Cela a fait la Une des journaux le lendemain.Tout le monde la respectait. D’autres supporters m’ont marqué comme ce chibani qui se trimbalait avec lui le portrait de Boumediene.
Vous expliquez que les premiers jours au Caire se sont bien passés avec la population mais qu’à mesure que le match approchait, le climat a viré à l’animosité. Quel a été le point de bascule?
Avant de débarquer en Egypte, on pouvait se douter qu’il y’aurait certaines tensions, au moins sportives. On ne s’attendait pas à un climat aussi tendu, après-coup.Cependant, en arrivant au Caire une dizaine de jours avant le match, tous mes doutes se sont dissipés.Je n’ai ressenti aucune agitation. Nous nous sommes totalement mêlés au peuple égyptien. Le gros point de bascule fut le caillassage des joueurs (ndlr, le bus de la sélection algérienne a été attaqué faisant plusieurs blessés) deux jours avant le match. A ce moment là, plus rien n’a été comparable. Nous sommes devenus des pestiférés. Il était très compliqué de nous balader dans les rues du Caire.
Quelle était l’ambiance dans le stade le jour du match ?
Le jour de match au Caire n’était pas très joyeux pour nous. Une tension énorme se faisait ressentir. Les égyptiens nous en voulait alors que c’est le bus de nos joueurs qui avait été caillassé. Nous devions nous faire petits jusqu’à l’issue du match. Lorsque nous sommes arrivés au stade, c’était comme une délivrance de retrouver nos compatriotes.
Que se serait-il passé si l’Algérie n’avait pas encaissé le second but en fin de rencontre?
L’ Égypte a gagné 2-0 de façon surréaliste, ce soir du 14 novembre. Nous pensions que cela suffirait à calmer leurs ardeurs. Les agressions commises après le match sont inexplicables, pour un peuple qui aurait du s’occuper à faire la fête. Si nous avions gagné ou perdu d’un but d’écart, la situation aurait pu être dramatique. Nous avons été protégés par Dieu ce soir là, c’est certain!
Le contexte à Omdurman était complètement différent. Vous dites que le peuple soudanais a pris fait et cause pour l’Algérie. Comment?
A l’origine tout le monde pensait que le Soudan se rangerait du côté égyptien pour des raisons géographiques. Mais la situation autour du match a tout bouleversée. En effet, les soudanais nous ont accueillis comme des frères. Ils se sont directement rangés de notre côté. Selon eux, les événements du Caire nous ont fait beaucoup de mal. Ils souhaitaient « rattraper » ce que les frères égyptiens ont fait. Ils l’ont fait de la plus belle des manières car cela a mis en confiance notre équipe. En revanche, les conditions matérielles ont été très difficiles pour nous en tant que supporters. La qualité des hôtels n’était pas au rendez vous et nous étions fatigués.
Si vous deviez conserver une seule image de la qualification de l’Algérie, le soir du 18 novembre 2009 ?
La plus belle image du 18 Novembre 2009, ce sont les interviews surréalistes d’après match de nos joueurs qui parlaient de guerre, de chouhadas…mais aussi la communion des supporters algériens de tous âges qui se prenaient dans les bras les uns des autres, entre compatriotes, et avec les Soudanais. Ces images resteront gravées a jamais dans nos mémoires car les conditions autour de ce match étaient totalement inédites.
Par Nasser Mabrouk