© crédit photo/Sonia Benhamiche

Sonia Benhamiche dirige à Boufarik (30 km d’Alger), en compagnie du Docteur Soumeya Tibhirt, le Centre ophtalmologique Nouveau Regard. Passionnée d’art, en dehors de son travail, la chirurgienne-ophtalmologue souhaite ouvrir son cabinet privé à de jeunes artistes et offrir à ses patients un rendez vous récréatif. Pour dzairworld.com, elle a accepté de nous parler de sa première exposition, l’Oeil artistique (https://bit.ly/3rz0Jfh) – le 22 avril prochain -, et de son combat pour la démocratisation de la chose artistique.

Comment vous est venue l’idée d’associer votre métier à l’art visuel en créant l’exposition l’Oeil artistique?

Sonia Benhamiche : Je me suis toujours beaucoup intéressée à l’art. J’ai un grand espace au sein de mon cabinet que je m’amuse à décorer.Dans toutes les pièces, il y a des mosaïques ou des peintures.Je mets aussi les dessins de mes enfants, les broderies de mes patients ou des tableaux. J’aime bien changer de déco.Personnellement, j’aime être entourée de toiles et de belles choses. Ces derniers temps, je suis tombée dans l’art grâce à mes filles. Je les ai inscrites à l’école d’art Crescendo de Blida et de fil en aiguille, j’ai moi même commencé à prendre des cours de dessin. J’adore cela mais je suis plus admirative des autres. Dernièrement Nour Ezzraimi (https://bit.ly/3JYQcQW) a visité mon cabinet. Elle a aimé l’espace qui fait 130 m2. L’idée de cette expo est venue d’elle. Elle a alors contacté ses amis artistes pour que cela se réalise. Elle est toujours dans l’optique de démocratiser l’art car c’est souvent intouchable et onéreux. Cela doit sortir dans la rue et être palpable par tout le monde. Elle voulait aussi faire un acte de charité aux patients de l’établissement en leur offrant une expo et en les invitant à une soirée. Il y aura donc des photographes, des peintres, une ou deux plasticiennes, un musicien et peut être une chanteuse.Ce sera pluridisciplinaire. Je vais aussi faire un petit coin pour montrer les créations de mes patients. Avec l’accord des artistes, on va essayer de faire une petite vente à but caritatif pour reverser une partie de la recette aux patients démunis.

Avez vous constaté des similitudes entre l’artiste et l’ophtalmologue que vous êtes

Je suis en train d’en découvrir. Je suis ophtalmologue-chirurgienne. La chirurgie est un travail très fin et très délicat avec des sutures à l’intérieur de l’oeil. Je suis dans l’infiniment petit avec le microscope. Ce que les gens voient à l’échelle microscopique, nous on le voit en macro. Ils voient l’oeil comme étant une toute petite entité mais moi à l’intérieur, avec mes instruments, c’est une immensité. Les petits coups de crayon, les nuances, les ombrages du dessinateur font qu’il y a beaucoup de gestes que je retrouve dans mon activité. Grace à la finesse de mon travail, je suis peut être en train d’évoluer en dessin. 

Qu’est ce que l’art vous apporte au quotidien?

De façon très terre à terre, cela m’aide à me concentrer, à me calmer, à réfléchir. Je prends aussi mon temps en finalisant les choses. Quand on fait un dessin avec les petites ombres, on apprend à ne pas se précipiter. Cela me rapproche de mes enfants, car je fais un maximum d’activités avec eux, de mon entourage, de mes collègues, de certains artistes et de mes patients.C’est une chose que je partage avec les gens qui m’entourent. 

L’oeil qui peut être témoin ou mémoire, est-il appréhendé de la même manière dans les deux pratiques ?

On s’est heurtés à un petit souci pour cette expo qu’on voulait à l’origine visuelle pour les patients. L’ennui, c’est qu’ils voient très peu. La question est : comment leur faire profiter de cet art?  Il y aura des sculptures ou des origami qui seront palpables. On a discuté avec les artistes pour qu’ils fassent des choses autour de l’oeil et pour les patients malvoyants. On va essayer de faire des peintures avec beaucoup de contrastes, assez grandes ou avec des couleurs éclatantes. Je vais leur demander de laisser l’exposition quelques jours supplémentaires. J’aimerais que ce soit un lieu qui mette en relation l’artiste et le patient. Une galerie gratuite pour ceux qui souhaitent s’exprimer. Je voudrais qu’ils aient à l’esprit que ce sont des gens très souvent malvoyants en face d’eux. 

C’est un défi pour l’artiste….

C’est un défi pour l’artiste et pour le médecin. Mon patient va me dire qu’il ne voit toujours pas et que mon travail est de l’aider à voir ce qui est collé aux murs. Je leur mets des choses qui sont belles et j’aimerais qu’ils les voient. Mon challenge est de les soigner pour qu’ils arrivent à voir la beauté du monde. Je dois y arriver. 

© crédit photo/Sonia Benhamiche

Ce genre d’initiative est peu courante en Algérie. Comment pensez vous que vos patients vont réagir

Heureusement que je n’ai pas trop de malvoyants profonds. Les gens me posent déjà des questions sur ce qui est collé aux murs. Cela rend l’espace plus chaleureux. Cela améliore le contact entre le patient et le médecin. Il y a des personnes qui demandent aux assistantes où je me suis procuré les tableaux ou les photos car elles veulent les mêmes pour chez elles. C’est un moyen de discuter et de me rapprocher de mes patients. Ce n’est pas juste un cabinet mais un lieu d’échange humain.

On ne le sait pas assez mais la wilaya de Blida regorge de talents artistiques. Comment expliquez vous cela ?

Je ne suis pas de Blida. Je la découvre et je tombe amoureuse de la ville. C’est Nour qui m’a fait découvrir des maisons mauresques, des petits palais. Il y a encore l’odeur du vieux souk. On se croirait dans certaines rues de Marrakech ou de Tunis. Certains quartiers ont gardé le parfum et le cachet anciens. La structure de la ville est plus aérée.On respire plus qu’a Alger. On a plus accès aux choses. Ce n’est pas compliqué d’aller vers une activité. Tout est disponible. 

La ville voisine aussi avec le parc national de Chréa

Oui, elle a un air pur, frais et vivifiant. 

C’est un air inspirateur…

Peut être.

C’est votre première exposition. Comment imaginez vous ce type d’événement dans les années à venir?

J’espère que cela se fera sur le long terme et que les gens sauront par le bouche à oreille qu’il y a un espace où les jeunes ou les moins jeunes pourront s’exprimer et montrer leur art. J’aimerais que les artistes sachent qu’ils peuvent être directement au contact du public et gratuitement. L’art n’est pas une chasse gardée. Tout le monde peut être artiste et a le droit de s’exprimer. Contrairement à cette première édition qui offre un volet caritatif, ce ne sera pas que pour les artistes reconnus.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk