©crédit photo/Maison Marquise
Le roi de la galette à la crème d’amande s’appelle Akim Bouhadda. Un franco-algérien de 35 ans qui baigne dans l’univers de la pâtisserie depuis près de vingt ans. A la tête de la boulangerie Maison Marquise à Chevilly-Larue – symbole de « la noblesse et le raffinement français », selon son fondateur -, le jeune entrepreneur a coiffé en décembre dernier 120 adversaires en remportant le Prix de la meilleure galette 2023 en Ile de France, pour sa première participation au concours francilien. Pour Dzairworld, celui qui fait également du conseil à l’étranger, après avoir ouvert 5 établissements en Chine, a accepté de nous recevoir, entre deux fournées, pour se dévoiler. Entretien avec un chef d’entreprise heureux.
Vous avez remporté le concours de la meilleure galette des rois en Ile de France. Une belle réussite pour une première tentative. Qu’est ce qui t’a motivé à tenter le challenge?
Akim Bouhadda : Depuis que j’ai l’âge de 16 ans, je fais la même recette de pâte feuilletée et de crème d’amande. Les clients adorent nos galettes. Je me suis dit que cette année qu’il fallait y aller. On s’est inscrits et on a réussi.
Face à une centaine de concurrents…
Il y a en 120 qui se sont présentés donc 2 Japonais qui sont arrivés 5ème et 8ème.
Vous étiez pourtant réticent à y aller. Pour quelles raisons?
En fait, on a un peu l’impression que c’est un petit clan avec des grosses boulangeries franco-françaises qui gagnent le concours. Je n’ai aucune preuve de cela. C’est peut être nous qui nous faisons des films même si en remontant le palmarès dans le temps, je n’ai jamais vu de personnes d’origine maghrébine gagner ce prix. Ce sont des facteurs qui m’ont fait penser que ce n’était pas pour moi. C’est la raison principale qui a fait que j’ai mis du temps.
Etiez vous parti avec l’idée de gagner ou de participer comme dirait le Baron de Coubertin?
Quand je fais quelque chose, c’est pour gagner. Un des concurrents disait que le premier – moi en l’occurrence – s’était entrainé (rires). Quel est l’imbécile qui va faire un 100 mètres sans s’entrainer? J’étais parti pour être sur le podium.On espère être premier mais on n’y croit jamais.Plus le jury déclinait les noms…20è, 19è, 18ème…, plus la pression montait.
Quand ils sont parvenus aux trois derniers, vous êtes vous dit que c’était fichu ou que cela sentait bon?
Je pensais qu’ils avaient oublié mon nom (rires).Honnêtement, quand ils sont arrivés aux cinq derniers, je connaissais les maisons qui restaient.Je me suis alors dit que j’avais toutes mes chances.
Qu’est ce qui a fait la différence?
Le feuilletage. Il y a mille et une recette contrairement à la crème d’amande. Je fais un feuilletage long qui se repose pendant 6 jours.On peut aussi le faire en 24 ou 48 heures. Ils m’ont aussi dit qu’ils ont beaucoup aimé le dessin. J’étais au coude à coude avec un autre candidat mais que ce qui a le plus marqué leur esprit, c’est le goût.
Qu’apporte cette technique?
Le feuilletage a un meilleur maintien. La galette est moins friable et se conserve beaucoup mieux.
L’esthétique joue-t-elle aussi?
Tout à fait. On a fait des dessins en demi-arc de cercle.On est aussi notés sur la taille, le poids, l’esthétique, la cuisson et ensuite sur le goût.
D’où vient cette passion pour le métier de boulanger?
Je suis fils de restaurateur.Vers l’âge de 16 ans, je voulais m’orienter vers quelque chose où je pourrais me développer personnellement. Ma mère qui était vendeuse en boulangerie m’a conseillé de faire cela. Elle a bien fait.
Il parait que vous vous leviez tôt pour aller apprendre le métier.
Oui. Je marchais 6 à 7 km tous les jours. A l’époque, à 6 heures du matin, il n’y avait pas de transport, entre Choisy le Roi, où j’habitais, et Créteil où je devais me rendre. Je croisais souvent des jeunes qui revenaient de boite de nuit. Ils me disaient ce que je faisais. Je leur disais que j’allais travailler. Ils me répondaient qu’il fallait que j’aille plutôt dormir.
Ce titre a-t-il changé quelque chose dans votre quotidien?
Mon équipe et moi même sommes contents. En termes de chiffres, on faisait en moyenne 3000 galettes pendant le mois de janvier. Je pensais doubler cette année. On a finalement prévu d’en faire cette fois-ci 12 000. Mi janvier, on avait déjà atteint ce résultat.
En arrivant, j’ai constaté qu’il y avait une file d’attente pour acheter vos pâtisseries. Est ce que cela est apparu depuis ce titre?
On draine 1800-2000 clients par jour depuis très longtemps. Depuis le concours, on voit apparaitre des pointes à 2300-2500.Le jour de l’épiphanie, on a fait un pic à 4000 clients. C’était de la folie. Il y avait deux files d’attente. La police a fait la circulation de 8 heures du matin à 20 heures.
Médiatiquement, vous avez dû être très sollicité…
J’ai fait France 2, Le Parisien, Le Figaro, certains réseaux sociaux, des radios…Cela me plait car cela donne de la visibilité à la Boulangerie.
C’est assez symbolique qu’un enfant d’Algériens gagne le gâteau le plus emblématique de France.
Je disais à RTL que la différence, c’est que le croissant ou la baguette, c’est tous les jours. En France, la bûche de Noel et la galette des rois sont sacrées. On se réunit, on en discute, on goûte, on choisit où on va l’acheter. Ce n’est pas anodin.Il y a également toute une tradition historique autour qui remonte à la période romaine et à la chrétienté. Le Président de la république dédie un jour où il coupe la galette.Il y a tout un rituel autour. C’est fort d’avoir remporté ce prix.
Avez-vous été contacté par des élus ou par le monde politique?
Théoriquement, j’aurais dû livrer beaucoup de préfectures et le Président de l’Assemblée Nationale. C’est ce que m’a dit le président du syndicat de la boulangerie. Il m’a dit de me préparer à acheter des plateaux de 1 mètre.Je l’ai acheté mais je n’ai pas eu mes commandes (rires). Qui d’autre que moi peut livrer l’Assemblée? C’est le numéro 1. N’en déplaise à certains, j’ai été le meilleur. Il y a un petit boycott qui s’est mis en place.
L’ambassadeur de France à Alger à salué cette performance…
Je ne savais pas.C’est super ! Je regrette seulement que certains médias n’aient pas développé le truc. Pas pour moi car mon business marche. Il faudrait vendre de la drogue et ensuite des galettes pour qu’on dise qu’il s’est reconverti avec l’argent du crime (rires).
Vous êtes Franco-Algérien. Quel rapport avez vous avec l’Algérie?
L’Algérie, on aime ou on n’aime pas. On y va, on n’a pas envie. Et dès qu’on est là bas, on n’a plus envie de rentrer. C’est comme l’harissa, ça pique mais on y retourne. Mon père est Kabyle de Kherrata. J’ai rarement été en Kabylie. En revanche, je passe beaucoup de temps à Guelma ou à Khenchela qui sont les villes d’origine de ma mère. Des fois je vais à Annaba ou je visite d’autres villes.
Comment la famille a-t-elle réagi en Algérie?
J’étais le héros national (rires). Ils sont très heureux et fiers. Il y a la télé qui m’a contacté. Ils ont racheté les droits d’une émission sur la pâtisserie. Ils veulent que j’en fasse partie l’année prochaine. Si cela peut mettre en valeur l’Algérie, c’est tout ce qui m’intéresse.
Un certain nombre de bi-nationaux ont choisi de tenter l’aventure au pays en créant une entreprise sur place. Est ce que cela peut être envisageable pour vous?
S’il y a un pays en Afrique où je devrais m’installer, c’est là bas. Pas pour le moment toutefois. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Le problème, c’est que l’euro est trop fort. Importer du beurre de France pour faire un croissant à 300 dinars et que 90% de la population ne pourra pas se le payer, cela n’est pas faisable. Il faut attendre qu’ils aient des produits locaux de bonne qualité. Ils en ont mais pas au niveau laitier.
Un mot de conclusion?
Il y a beaucoup de jeunes qui ont des boulangeries ou des restaurants et qui excellent. On ne les voit pas parce qu’on ne les montre pas. Il faudrait juste les inciter à participer à des concours.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk