Né à Ain-Mlila (Algérie) en 1950, Hamma Meliani a voué sa vie à la culture, sous tes ses formes, et au théâtre en particulier. Installé en France depuis le début des années 70, le dramaturge algérien a monté plusieurs projets autour des questions sociétales et internationales. Sensible à la question palestinienne, celui qui dirige aujourd’hui la Compagnie Théâtre Hamma Meliani (CTHM94) à Ivry sur Seine a écrit dans l’urgence, à l’automne dernier, L’Axe du monde, journal d’un génocide une pièce qui traite du sort injuste réservé aux Palestiniens par l’armée d’occupation israélienne. Pour Dzairworld, le metteur en scène de 74 ans a accepté de nous parler de sa passion pour les planches et de son dernier opus qu’il présentera à Avignon dans quelques semaines.
Avez vous toujours été attiré par la culture en général et par le théâtre en particulier ?
Hamma Meliani : Je suis attiré par la culture mais c’est dans le théâtre que je me sens le mieux. C’est une vocation. C’est aussi un métier par formation.
Vous êtes à la tête du Théâtre Hamma Meliani (THM) depuis plus de 20 ans. Pourriez vous décrire le métier de directeur de théâtre ?
Je suis plus un créateur et un animateur qu’un directeur. Ce quelqu’un qui donne vie et âme à un lieu.
Comment le dirige-t-on ?
Il faut de la patience, être à l’heure et veiller au règlement intérieur. Comme nous n’avons pas de moyens, les gens viennent en fonction de leur disponibilité. Pour la pièce L’axe du monde, il n’y a que trois professionnels. Les autres n’ont jamais fait de théâtre. Il faut les former dans la création du spectacle, parce que toutes et tous possèdent des capacités créatives de qualité et sont engagés dans cette œuvre poétique. Puis, il y a le plaisir de jouer et de porter la voix de ceux qui n’ont pas de voix. Ici il s’agit de l’occupation de la Palestine et du Génocide en cours. Il faut jongler avec tout cela.
Vous êtes également metteur en scène. Qu’est ce que la direction d’acteurs ?
La direction d’acteur consiste à donner la vie à un ou plusieurs personnages. Cela peut aller du burlesque au plus tragique. Il y a un accompagnement sur la manière de jouer, de poser la voix, de travailler avec les partenaires, et sur l‘appréhension de l’espace. C’est un travail complémentaire avec l’acteur pour parfaire son jeu et son interprétation.
Votre polyvalence vous permet-elle plus de flexibilité et de réactivité pour monter des projets ?
Les deux sont liés. Il faut que cela mûrisse et que l’on soit touché par ce qui nous préoccupe pour écrire. Ensuite, on jette cela sur le papier. Il y a un fil conducteur à respecter. Il faut développer, améliorer, rectifier. Il y a par ailleurs les lectures et les relectures. Pour la mise en scène par exemple de l’Axe du monde, il suffit que de bonnes vibrations et la bonne humeur irradient parmi nous pour que toutes et tous trouvent l’audace d’interpréter et de porter l’appel de ses personnages en plein désastre.
Votre théâtre a-t-il une couleur particulière ?
C’est un théâtre ouvert à tous les publics. Mon théâtre est engagé, il a une fonction sociale, culturelle, d’éveil et d‘émancipation. C’est pour cela que depuis quelques temps, je ne monte que mes textes. Ils parlent d’aujourd’hui et de l’état du monde.
Peut-on dire que le théâtre Hamma Meliani est iconoclaste, ou politiquement incorrect ?
Il est iconoclaste mais politiquement correct. C’est la lecture du pouvoir qui le taxe de subversif.
Quels sont les avantages d’avoir son propre théâtre ?
C’est de se sentir autonome. Nous n’avons aucune aide*, ni de la ville, ni de l’État. C’est une gageure de tenir le coup depuis des années. Lorsque l’on fait des choses qui parlent aux gens, qui les éveillent ou que l’on dénonce, on est tout de suite mis de coté. On ne s’intéresse pas à nous mais le public s’y intéresse. C’est cela notre force.
Vous avez également mis en place une école d’art dramatique. Qu’est ce qui la différencie des autres écoles ?
Les élèves sont en formation à l’intérieur d’une création. C’est l’une des méthodes de notre école. Ils apprennent toutes les formes d’art dramatique : le grec, l’anglais, le français, l’italien, le japonais, le Kechak Indonésien. Par exemple, le Hira Gasi malgache qui est un théâtre ouvert ressemble beaucoup à la Halka, ce théâtre populaire d’Afrique du nord représenté par les medah itinérants qui voyageaient de ville en ville pour animer les souks et les places publiques en chantant à l’aide d’un bendir, en déclamant poésie et ghazals, en racontant des contes ou des histoires du répertoire religieux. On chante avec le medah. On rit, parfois on pleure. C’est poétique. Cela parle de la vie sociale, et c’est spectaculaire.
Il y a d’ailleurs du chant dans L’axe du monde.
Oui. Il y a du chant. Cela permet d’adoucir la gravité des scènes de violence et d’accentuer la transmission émotive entre spectateurs. Dans un poème, on peut dire beaucoup de choses. Au lieu de dix pages de dialogue, un poème suffit. C’est pour cela que le chant est important. Ça parle au cœur et à la raison.
Une de vos pièces Le lait du père (2001) a remporté plusieurs distinctions (l’écriture théâtrale et Amnesty International Ecrire contre l’oubli). Quel était le sujet de la pièce ?
Le Lait du père est un ouvrage multi-primé qui présente des instantanés d’un monde moderne dystopique où prévaut la misère des faibles, les cruautés et les intérêts des puissants. C’est une pièce qui parle du croissant fertile et de ces guerres sans fin. Que ce soit pour les Kurdes, pour les Palestiniens ou pour les Arméniens, c’est toujours le même problème aujourd’hui avec l’injustice et la guerre. Cela se passe toujours autour d’une histoire d’amour parce que l’amour sert de fil conducteur et qu’on est bien accrochés du début à la fin. La pièce a été présentée pour la première fois en 2003 dans le cadre du Festival d’Avignon. En 2004, elle a été adaptée en scénario. C’est Raoul Sangla qui a réalisé le film qui a été présenté en 2005 au Festival Basque, Errobikofestibala à Itxassou.
En 2009, à Constantine, vous avez monté en arabe La rage des amants. Avez vous eu l’occasion de vous reproduire en Algérie ?
La rage des amants a été traduite pas Zoubeida Kadi qui est la doyenne de l’université d’Alep. C’est une pièce sur la Palestine et sur l’organisation du sionisme international La rage des amants (Ghadhab Elachikine) a été montée pour le Théâtre Régionale de Constantine. J’y ai à cette occasionformé des comédiennes et des comédiens sur place. C’était pour la première fois que je montais une pièce en arabe classique. La presse l’a décrite comme un petit chef d’œuvre. Après cela, le Théâtre d’Alger m’a demandé de monter en darija Le lait du père. Cela a été un succès total. Dans mon travail d’écriture théâtrale le souffle poétique l’emporte pour laisser place à la révolte et à l’indignation. Ainsi La rage des amants, Le Lait du père, Une perle dans le cosmos et L’Orange sont quatre tragédies mondiales qui font partie d’une quadrilogie dystopique où il est question de l’état du monde, du terrorisme spectaculaire, des guerres d’occupation insensées en Palestine, en Afghanistan, en Syrie et ailleurs. Des pays en proie à la guerre et à la destruction où les populations fuient vers d’autres existences pour devenir des réfugiés. Au milieu du ces bouleversements de la société, l’amour est toujours présent. Je tente de transmettre par le théâtre la souffrance de ces populations.
Votre dernière pièce, c’est donc L’axe du monde, journal d’un génocide qui traite du conflit entre la Palestine et Israel ? Quel angle avez vous voulu donner à ce sujet hautement inflammable ?
Dans cette pièce, il s’agit du drame de l’occupation de la Palestine par les Israéliens, de cette colonisation sans fin, et de l’insurrection du 7 octobre 2023 qui a ouvert les portes de l’enfer. J’essaie d’apporter une langue à la fois simple et poétique. Il faut dire les choses comme elles sont afin que les gens captent l’information, s’imprégnent de ces images, aient des émotions et comprennent ce que vit ce peuple.
A quel moment est née cette pièce ?
Le 7 octobre, c’était pour moi l’insurrection. Le lendemain, c’est le grand massacre qui a commencé. Le jour même, j’ai donc écrit un article qui a circulé sur les réseaux sociaux. Le 17 octobre, le journal algérien L’Expression a publié l’article où je dénonçais les crimes de guerre. Comme je savais que ça n’allait pas s’arrêter, j’ai commencé à écrire cette tragédie au jour le jour.
Dans votre mise en scène vous avez volontairement voulu rappeler à l’aide d’images projetées sur un écran un passé qu’on a tendance à oublier. Pour quelles raisons ?
Les images n’apparaissent pas tout le long de la pièce. Elles servent de transition. C’est en même temps un rappel car nous sommes dans une époque de l’image. Le théâtre a un travail de création à faire autour de l’image mais qui soit différent de celui la télévision. C’est un spectacle ouvert et éclaté qui se jouera en extérieur. C’est du théâtre direct qui en salle devient un spectacle. Comme au temps du théâtre grec, la dramaturgie et le traitement théâtral de cette guerre d’extermination font appel à la présence d’un chœur et d’un coryphée pour permettre au langage poétique d’être accessible à tous les publics.
Où et à partir de quand le public pourra-t-il la découvrir ?
On a peut être la possibilité de présenter la pièce à Grigny, après les élections. Probablement vers le 11 juillet. Nous serons ensuite à Avignon, entre le 12 et le 19 juillet prochains. Nous jouerons certainement sur la place de l’église Sainte Agricole ou devant le musée d’Avignon.
Des projets avec l’Algérie ?
Mon rêve, c’est d’y retravailler. J’ai monté plusieurs projets de formation et de création de spectacles, aux théâtres de Constantine, d’Oum El Bouaghi, de Bejaïa, de Tizi-Ouzou, d’Alger, d’Oran et de Saida. Nous pouvons faire de belles choses et former des artistes. L’Algérie a une belle jeunesse, créative et éveillée qui aspire à s’exprimer par le théâtre, et à travers tous les arts.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk
* une cagnotte a été lancée pour financer les frais liés au Festival d’Avignon : https://www.cotizup.com/axedumondejournaldungenocide