« La valeur n’attend point le nombre des années » disait Pierre Corneille. Cet adage épouse bien la trajectoire d’Imène Latachi. A seulement 23 ans, la native de Aïn Témouchent cumule déjà deux recueils de poèmes et un poste de Directrice régionale des éditions El Mouttaqaf. Elle s’apprête, en outre, à lancer au premier trimestre 2021 Dya Magazine, un semestriel ouvert à toutes les plumes algériennes dissidentes. Rencontre avec une météorite qui navigue entre terre et ciel.

Qui est Latachi Imene ? 

Imène Latachi : Je suis une étudiante âgée de 23 ans, titulaire d’un master en littérature et civilisation du Centre universitaire BELHADJ Bouchaib de Ain Temouchent, ma ville natale. J’ai à mon actif deux modestes recueils de poésie édités en 2017 à Alger, et en 2019 à Tizi. Je suis également Directrice régionale de la maison d’édition et de distribution El mouttaqaf.  Actuellement, je lutte aussi pour la création d’un magazine culturel international : Dya magazine qui devrait voir le jour en début d’année 2021.

Vous avez soutenu votre mémoire de Master sur le roman « Une Valse » de Lynda Chouiten. Pourquoi avoir choisi ce livre ? 

Sans vouloir chanter son éloge, c’est une femme de lettre grandiose, qui sait faire jaillir le meilleur d’elle-même pour donner naissance à un produit de qualité. Ma décision a été prise en Master 1 quand j’ai analysé son premier roman Le roman des Pôv’Cheveux. J’ai aimé son style mêlé de simplicité, de profondeur et de beauté. Dès lors, je savais que je ferai un mémoire sur l’écriture « chouitenienne » . En 2019, l’auteure a publié Une Valse qui est un roman-poème. Il traite l’un des thèmes qui me fascine le plus : la folie dans la littérature.  

A 22 ans vous aviez déjà deux recueils de poèmes à votre actif. Comment est né cet amour de la poésie?

Cela remonte à bien longtemps. Ma mère était enseignante en langue arabe. Elle m’a fait apprendre la poésie arabe classique à l’âge de 10 ans. J’ai par la suite développé ce que vous appelez « amour de la poésie ». Cet apprentissage a fait en sorte de me faire chérir la poésie en général. Au collège, j’écrivais des petits textes rimés en arabe. Au lycée, c’était une combinaison entre l’écriture rythmique en arabe et en espagnol. A l’université, mes études étant francophones, l’écriture a été automatiquement faite en français. 

Qu’aimez-vous dans ce genre littéraire?

J’aime la Poésie avec un grand P, telle qu’elle se représente sans préférence pour un genre ou pour un autre. J’aime sa fonction, sa belle thérapie, ses rimes, sa profondeur. La poésie me parait parfois surhumaine. Elle développe quelque chose en moi. Elle me permet de survoler les cieux et d’être une autre personne. Alors, comment puis-je rester indifférente face à cet art ? 

Qu’est ce qui déclenche ce besoin d’écriture chez vous?

Une soif de vivre, je pense, a pu faire cet effet-là. Un dégoût ressenti dans le milieu où je me trouvais et une recherche d’un idéal…

Quels sont les auteurs qui vous inspirent?

Dans l’art de la versification, je n’ai pas une préférence pour un style, un genre ou un auteur particulier. J’admire cependant les grands poètes à l’image de Mahmoud Darwich, Louis Aragon, Jean Cocteau, Paul Eluard, Sapy Marguerite, Joseph paul Schnyde, Pierre jean Jouve, Jacques Prévert, etc. La dégustation de la poésie chez moi est comme une drogue. Quand je finis un recueil de poésie, j’ai tendance à aller en chercher un autre car c’est tellement beau et inspirant que cela donne envie d’aller vers d’autres cieux, et de découvrir tant d’autres auteurs. 

Pouvez-vous nous parler de votre grand-mère qui a été une sorte de muse pour vous. En quoi a-t-elle été si singulière dans votre parcours?

Sans certaines personnes, je ne serai jamais l’être que je suis. Beaucoup de gens m’ont influencée, à l’image de mes enseignants, mes auteurs favoris et ma grand-mère. Quand mamie s’est éteinte, je n’avais que 17 ans mais j’ai voulu qu’elle soit si fière de moi. Elle qui a tant lutté pour mon émancipation … 

Vous avez écrit : « Lire ou écrire la poésie permet de faire grandir son espace intérieur, d’aérer son âme, chose nécessaire en période de confinement ». Comment définiriez-vous votre monde intérieur?

J’ai écrit cette phrase en période de coronavirus quand on était confinés. Par « mon monde intérieur », j’entends mon âme, et par extension l’âme humaine. La poésie nous fait grandir, avancer et voyager.

Peut-on dire que l’écriture est une catharsis chez vous?

Tout à fait. J’ai d’ailleurs défendu cette thèse dans mon mémoire. J’ai évoqué la fonction cathartique de l’écriture. Je ne cesse de dire que la poésie est un élément thérapeutique. Cela a cet effet d’effacer nos maux par les mots. Guy Corneau disait : «  Lorsque nous mettons les mots sur les maux, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits ». 

Vous avez travaillé à Casablanca pour la revue DSCL. Vous avez aussi a été nommée directrice régionale de la maison d’édition et de distribution Al-Mouthaqqaf, basée à Batna. Que retenez-vous de ces expériences?

C’est Samira Mansouri qui m’a nommée directrice régionale des éditions El-Mouthaqqaf car il n’y a pas de maison d’édition à Aïn Témouchent. En 2020, je ne peux pas le concevoir. Il n’y a pas encore de maison d’édition dans ma ville natale ! J’ai donc voulu mener cette mission de Directrice régionale en attendant d’ouvrir ici ma propre maison d’édition. C’est un projet que je compte concrétiser très prochainement en ouvrant Les Editions Sénac. Quand on interroge les gens sur Jean Sénac, ils ne savent pas qu’il est de Béni Saf. Cette maison d’édition, c’est aussi pour lui rendre hommage. 

Vous avez récemment repris Dya magazine. Pouvez vous nous en parler ?

Il s’agit d’un hommage à mon enseignante universitaire décédée cette année Mme AIT YALA Dya. Paix à son âme ! Dya magazine est un espace d’expression littéraire et de création artistique qui vise à promouvoir la production des auteurs algériens, résidant ou pas dans leur pays. C’est aussi un espace de découverte de nouveaux talents ainsi qu’un lieu de rencontre des esprits libres, boycottés par les fanfares médiatiques.   

Que pourra-t-on y trouvera ? 

Ce magazine thématique sera semestriel. Il réunira un panel de romanciers, de poètes, d’essayistes, de critiques littéraires, de chroniqueurs, de graphistes, de caricaturistes, de peintres, de photographes et bien d’autres domaines de l’univers artistique et littéraire. Tous rassemblés autour d’un même objectif : une expression artistique algérienne libre. La littérature est finalement une arme. Il faut savoir en faire usage.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk