A 68 ans, Rabah Gamouh coule des jours tranquilles dans le Gard où il réside. L’ancien international algérien de football y a troqué le ballon rond contre les boules de pétanque. Fin tireur, l’ex-ailier gauche avoue être aussi un bon pointeur.Dans un long entretien, que nous publierons en deux temps, l’ancien Nîmois accepté de réouvrir la boite à souvenirs. Dans cette première partie, le natif de Annaba évoque le football algérien des années 70 et son expérience française – il fût l’un des premiers joueurs à tenter l’aventure à l’étranger – au Nîmes Olympique de l’emblématique Kader Firoud.
(1ère partie)
Que devient Rabah Gamouh depuis qu’il a pris sa retraite de footballeur?
Rabah Gamouh : Je suis à la maison à Nîmes. Je me suis reconverti dans la pétanque (rires). Après ma carrière, j’ai entrainé des jeunes et des adultes dans mon quartier. C’était beaucoup de travail. J’ai arrêté par la suite car physiquement, c’était dur.
Est ce que vous continuez à toucher un peu le ballon?
Non. Je ne peux plus parce que j’ai un peu d’arthrose. Je suis devenu un pépé.
Vous avez débuté dans les années 70 en Algérie. Pouvez vous nous raconter le football de cette époque?
A cette période, il y avait des bons joueurs partout. Là où on allait on pouvait fermer les yeux et prendre n’importe quel footballeur. Le niveau était élevé. Il y avait du spectacle. C’était technique et collectif. On jouait pour le maillot. Dans la génération actuelle, on ne voit pas beaucoup de bons joueurs. Aujourd’hui, c’est la playstation. C’est tactique et physique. Ce n’est plus pareil.
On suppose que le public devait se régaler…
Il était extraordinaire ! (émerveillement). A Constantine où je jouais, il y avait entre 50 et 60 000 spectateurs. Dans tous les stades d’Algérie, il y avait du monde.A Alger, Oran ou ailleurs, c’était archi-plein parce qu’il y avait de très très bons joueurs.
Et vous, quel type de joueur étiez vous?
Je jouais ailier gauche. J’étais rapide, vif dans l’exécution. J’avais un bon sens de l’anticipation, une bonne détente et une belle frappe.
Il parait que vous étiez un fennec des surfaces.
Il fallait être malin et bien lire le jeu avant que le ballon n’arrive.Il fallait avoir tout cela en tête.
Comment avez vous appris ce sens de l’anticipation?
Je suis tombé sur des entraineurs qui m’ont obligé à me mettre psychologiquement dans cet état. Ils m’ont expliqué comment calculer avant que mon adversaire ne calcule lui aussi. Un entraineur comme Belkhir Abdesslem, au Red Star de Annaba, m’a appris beaucoup de choses. C’est grâce à lui que j’ai corrigé mes défauts et que je me suis amélioré.Je suis parvenu à un bon niveau. Ensuite, je suis allé au MO Constantine. J’ai eu comme coach Rabih Zekri. Il était très dur.
Vous avez été deux fois meilleur buteur du championnat avec le MO Constantine avec respectivement 25 et 24 buts. On imagine que vous étiez l’un des chouchous du public de Constantine?
J’avais un grand public qui m’aimait beaucoup et que j’aimais aussi. Je devais prouver sur le terrain. Je me régalais et je les régalais. Je les remercie.
Avez vous des anecdotes, heureuses ou pas, avec le public?
Oui. C’était après la finale de la Coupe d’Algérie qu’on a perdue contre le MC Oran, en 1975 (ndla, défaite 2-0). On avait fait un mauvais match. On avait des circonstances atténuantes car on avait joué quelques jours auparvant au Maroc en coupe d’Afrique. Ensuite on n’a eu un problème pour rentrer à Constantine. On est revenu le lundi pour repartir le mardi sur Alger. Il fallait rester sur Alger car la finale se jouait le mercredi. Cela a été un débat entre les dirigeants. Après cette défaite, les supporters nous cherchaient partout.Ils nous harcelaient.Ils étaient méchants. Je me suis barré tout l’été à Annaba.
Ils venaient vous chercher jusque dans vos maisons?
Oui.Cela leur a fait mal sur le coup car ils n’ont pas compris qu’on perde la coupe. Par la suite, quand ils ont su qu’on avait eu des problèmes avec les dirigeants, cela s’est un peu calmé.
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Constantine, c’est aussi le CSC. Comment se passaient les derbys entre les deux clubs?
C’était chaud bouillant. Cependant, il n’y avait pas de souci avec les supporters du CSC ou les joueurs. On était des copains. On se connaissait tous mais sur le terrain chacun défendait ses couleurs. Quel que soit le vainqueur, c’était des beaux matchs. Il y avait du spectacle et des buts. Des 3-2, des 4-2.
En cas de défaite contre vos voisins, de quelle manière réagissaient les fans?
Je n’ai jamais perdu contre eux. Quand il y a eu des défaites, après mon départ, il y avait des fanatiques du MOC qui jetaient les télés depuis leurs balcons. Certains ne ramenaient rien à manger à leur famille, ni gâteau, ni rien.
Avant d’atterrir à Constantine, aviez vous eu d’autres propositions de clubs en Algérie?
Oui, le NAHD et l’USM Alger me voulaient.
Et des clubs étrangers?
A cette époque, on n’était pas trop intéressés par les clubs étrangers. Il n’y avait pas besoin de s’expatrier. On était bien en Algérie. Il y avait de bons joueurs, de bonnes équipes, une belle ambiance…
Vous avez joué avec le fameux Ahcène Lalmas. Quel type de joueur était-ce?
J’ai joué en équipe nationale avec lui. On a aussi fait des stages ensemble à Paris.C’était un très grand joueur. Je n’ai jamais vu un numéro 10 pareil à mon époque. Partout en Algérie, il était aimé. C’était un joueur complet en plus d’être un homme simple et humain. C’était un Monsieur exemplaire. C’est regrettable de savoir comment il a fini. Cela fait de la peine.
Un peu plus tard, il y a eu Lakhdar Belloumi que vous avez côtoyé.
Oui. Je l’aimais beaucoup.Il était très simple. Il avait aussi ses qualités.On ne peut pas dire que l’un était supérieur à l’autre. Le football avait changé en une dizaine d’années.
Après l’indépendance, vous avez été un des premiers footballeurs à avoir tenté l’aventure à l’étranger. Pouvez vous nous expliquer dans quelles circonstances vous avez débarqué en France?
J’étais en vacances en France à Avignon, avec deux coéquipiers, chez le frère de mon entraineur Zekri. Mes collègues sont repartis à la fin de leur séjour. J’ai décidé de rester une semaine de plus. La personne qui me logeait m’a alors proposé de faire un essai. Son patron a contacté le Président du Nîmes Olympique qui a répondu positivement. J’ai fait un match amical.Ils m’ont dit de rester. J’ai accepté. C’est comme cela que je suis resté en France.
Il y avait un souci à l’époque puisque le joueur algérien ne pouvait pas quitter le pays avant ses 28 ans
Je devais faire mon premier match à Laval. Je commençais à me préparer pour aller à l’échauffement quand mes dirigeants m’ont informé que la fédération algérienne m’avait bloqué. Je suis resté un an sans jouer. J’ai alors saisi la FIFA qui m’a autorisé à reprendre une licence l’année d’après.
Votre arrivée en France se situe une vingtaine d’années environ après la fin de la guerre d’Algérie. Avez vous ressenti du racisme dans le football?
Je n’ai jamais connu ce problème. Au contraire, j’ai été bien accueilli à Nîmes. Je me suis aussi rapidement adapté.
Pourtant Nîmes, c’est le département du Gard où il y a beaucoup de rapatriés d’Algérie.
Il y a effectivement beaucoup de « pieds noirs ». Je n’ai pas eu à me plaindre. Les Nîmois sont des gens magnifiques. Je joue souvent à la pétanque avec des Français. Je n’ai jamais eu de problème.
Sur le terrain vous étiez connu pour être un vrai feu-follet. Avez vous le souvenir d’avoir fait souffrir les défenses adverses ?
Un jour nous recevions le FC Nantes à Nîmes. C’était mon premier match avec les Nîmois. Il y avait en face le défenseur Maxime Bossis. Je l’ai « banané». Je l’ai rendu fou. Il était grand et moi petit, vif, rapide. Il y avait aussi un joueur de Marseille qui m’a dit une fois : « Il ne faut plus recommencer ce que tu me fais. Tu passes, et puis c’est tout ».Cela m’a fait rigoler. Je lui ai répondu que j’étais obligé de le faire pour passer (rires).
Nimes, c’est aussi Kader Firoud. Quel type d’entraineur était ce ?
Oui, il m’a entrainé. C’était un meneur d’hommes. Il était rude. Le boulot était dur avec lui. C’était un homme qui connaissait le foot. Quand on le contredisait, il n’aimait pas trop. Il aimait imposer sa griffe. Il fallait faire ce qu’il voulait sur le terrain.Si on ne le faisait pas on se prenait des soufflantes à la mi-temps.
Comment cela se passait dans les vestiaires?
Il criait. Il lui arrivait de frapper les joueurs. Ils prenaient des gifles.Parfois, je n’allais pas dans les vestiaires. Je me sauvais. Je me planquais dans les toilettes. En revanche, avec les jeunes il n’était pas comme cela.Certains jouaient avec la peur et rataient leur match.Il leur disait seulement de prouver leurs salaires.
Est-ce que des joueurs se sont déjà rebellés contre le coach?
Personne. C’était lui le patron. Aucun dirigeant , ni même le président ne s’en mêlaient. Il avait carte blanche. C’était un gagneur. Il avait de grosses colères.Il fallait pas trop le chercher. Il lui est même arrivé de s’en prendre à un supporter à travers le grillage. On devait perdre ce jour là. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit mais il l’a frappé. En match, il était dans sa bulle. Il nous arrivait quand même de rigoler aux entrainements ou à l’hôtel.
Quels types d’entrainement vous dispensait-il?
C’était très très dur. C’était physique pendant une heure et demi ou deux heures. Il fallait aller jusqu’au bout.C’était bénéfique pour nous car en compétition cela payait.
On dit qu’il a su apporter de nouvelles méthodes de management pour l’époque. Quelles étaient elles?
Il mettait de la rigueur, de l’engagement physique. Il y avait le feu à Nîmes. On ne venait pas gagner comme cela. Il nous arrivait aussi de pratiquer du beau football.
Le Nîmes Olympique est encore à son image: une équipe combative, hargneuse. N’est-ce pas?
Exactement. Il a laissé son empreinte. Au club, ils lui sont toujours reconnaissants.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk