Dans cette deuxième partie d’entretien, Rabah Gamouh revient sur sa mise à l’écart malheureuse du Mondial 82. Il évoque par ailleurs le passage calamiteux de Rabah Madjer à la tête de l’équipe nationale et loue le travail réalisé par son successeur, Djamel Belmadi.

(2ème partie et fin)

Vous avez été de la campagne de qualification pour le mondial 82 avec notamment la double confrontation face au Nigeria. En quoi le match de Lagos, à l’aller, était-il si particulier?

Je me souviens bien.On avait mangé au Consulat d’Algérie au Nigeria afin de ne pas avoir de problèmes alimentaires. Les entraineurs de l’époque étaient Rogov et Saadane. Mustapha Dahleb était notre capitaine. Ils ont construit une équipe pour aller au charbon. Il fallait être des guerriers ce jour là. Il n’y avait plus de football. Seule la qualification comptait. On a fait un très gros match.

Avez vous eu peur au moment d’entrer sur la pelouse?

Non. C’était bien encadré. C’était sécurisé. Il n’y a rien eu à part quelques supporters qui sont descendus sur le terrain. Les militaires les ont vite repris.

Comment était l’ambiance sur place?

(Ah ba ba ba ba ba) C’était plein à craquer. C’était chaud.

Ce match est-il comparable à celui du Caire, de novembre 2009, entre l’Egypte et l’Algérie?

C’est la photocopie. Cela a été dur et indécis entre les deux pays. En ce qui nous concerne, quand on leur a marqué deux buts, ils se sont relâchés. Ils savaient qu’ils ne pouvaient plus rien faire.

Les Nigérians étaient pourtant Champions d’Afrique en titre…

On avait aussi une belle équipe. Que ce soit les titulaires ou le banc de touche, on était du même niveau. La plupart des joueurs évoluaient en Europe.

© crédit photo/Onze Mondial

Vous avez été décisif pendant la campagne de qualification. Et pourtant il n’y a pas eu de coupe du monde pour vous.  Quelles en sont les raisons?

Beaucoup de gens me posent cette question.C’est à ceux qui ont pris cette décision qu’il faut la poser. Il y a eu des coups de fil à droite, à gauche. J’ai été remplacé dans la liste.Il y a un joueur qui a été pris alors qu’il n’avait jamais participé aux éliminatoires pour la Coupe du monde.En ce qui me concerne, j’étais parmi les 22 joueurs. Je devais donc y aller. Ils n’ont pas été honnêtes.

Etait-ce « politique » d’après vous?

Ce n’était pas politique mais « ben’amiste » (« copinage »).J’ai joué pour mon pays l’Algérie. J’ai fait tout mon possible. Je suis content de ce que j’ai fait même s’ils sont partis au Mondial sans moi.Ce qui compte pour moi, c’est que j’ai fait mon travail.J’ai la conscience tranquille.J’aurais pu aussi passer des appels ou aller au ministère de la Défense. Je connaissais le Commandant Belloucif qui était de Annaba.

Vous pensez que la personne qui a pris votre place a pu passer un coup de fil?

Ben, oui. C’est comme cela que cela se passait à l’époque. Il y avait du piston.

Dans une interview que vous avez donnée, vous avez dit que c’était Rachid Mekhloufi qui n’avait pas voulu vous prendre.

J’ai dit que cela pouvait être Mekhloufi ou Khalef ou X ou Y.Jusqu’à preuve du contraire, on ne m’a jamais dit que c’était un tel ou tel. Je ne sais pas qui a pris cette décision. Je sais qu’une chose, c’est que je n’ai rien à me reprocher. Je jouais en Europe. La fédération ne m’avait pas donné l’autorisation de jouer avec Nîmes. Cela a duré un an. Ensuite, ce sont eux qui sont venus me voir en France pour participer aux éliminatoires de la Coupe du monde. A la fin, ils me retirent de la liste. Est-ce logique? J’avais fait mes preuves. J’avais 43 sélections à mon actif.

Cette même fédération qui ne vous a plus donné signe de vie par la suite et qui ne vous pas invité à voir le Mondial sur place.

J’aurais aimé avoir au moins une invitation. J’aurais encouragé mon équipe depuis les tribunes.

Quarante ans après, vous ne savez donc toujours pas qui a pris cette décision.

Non.Je ne peux pas accuser un tel ou tel. Je ne sais pas. Ils n’ont pas la conscience tranquille.

C’est une décision extra-sportive pour vous?

Oui, car elle n’est pas logique. Participer à toute la campagne des qualificatifs et être retiré au dernier moment de la liste, ce n’est pas normal. Tout le monde le sait en Algérie.

Il y en a d’autres joueurs qui ont subi le même sort

Il y a eu Fathi Chebel, Abdel Djaadaoui, Mohamed Kaci-Said et d’autres.

Quels sont les plus beaux souvenirs que vous conservez de votre passage en sélection?

Ce sont les qualificatifs pour la Coupe du monde avec la double confrontation face au Nigeria. J’ai joué les deux matchs pendant 90 minutes.

Le match retour a eu lieu dans votre fief de Constantine. Quelle était l’atmosphère au coup de sifflet final?

(Ah ba ba ba ba). J’ai retrouvé mes anciens supporters. Le stade était plein à craquer.J’ai beaucoup aimé cela. Je me suis régalé pendant le match. La ville et toute l’Algérie ont explosé de joie. Pour le pays, c’était la première qualification pour une Coupe du monde.

L’Algérie a remporté la Can il y a un peu moins d’un an. Est ce que cette équipe vous plait?

La personne qui dirige cette équipe est un Monsieur. C’est un vrai connaisseur du football. En neuf mois, il a su souder les joueurs entre eux. Il a su leur parler. Ce groupe me plait beaucoup. Je suis vraiment confiant pour les éliminatoires de la Coupe du monde Qatar 2022.

Algérie CAN 2019 FIFA

Comprenez vous les éternels débats autour des joueurs nés à l’étranger?

Ceux qui parlent sur les plateaux télés ou sur les réseaux sociaux n’ont rien à voir avec le football. C’est l’Algérie qui joue, ce n’est pas la France. Pourquoi encouragent-ils les équipes étrangères et délaissent-ils les joueurs de leur pays? Comment peut-on dire que Mahrez n’est pas bon? Il ne joue pas par hasard à Manchester City. Il n’est pas International par hasard. C’est un très grand joueur qui a prouvé à la Can. Ils parlent de Sterling, De Bruyne…Pourquoi parlent-ils des autres joueurs? Il faut encourager les gars du pays. Je ne comprends pas.

Votre ancien coéquipier en sélection Rabah Madjer a été à la tête des Fennecs pour la seconde fois. Qu’avez vous pensé de son management?

Pour coacher une équipe nationale, il faut avoir des compétences. Personnellement, je ne les ai pas.Il s’est engagé à prendre une telle équipe mais il était à coté de la plaque. Il lui manque beaucoup de choses. Pour prouver qu’on peut entrainer une sélection nationale, il faut avoir entrainé de bons clubs, avoir gagné des titres. Rabah a fait une grosse erreur parce que tout le monde lui est tombé dessus.Ce n’est pas comme Belmadi qui a remporté des titres. Il a travaillé avec des étrangers.Il s’est amélioré. Lui est très compétent dans son domaine.

Pourtant il semblait convaincu qu’il réussirait….

A t-il entrainé des clubs? Etait il compétent?

Il faudrait poser la question à celui qui l’a nommé…

(Grand expiration) Voilaaaaaaaa….Quand j’ai vu jouer l’équipe, cela n’avait aucun sens. Il n’y avait pas de fond de jeu. Il y avait ensuite les problèmes entre les joueurs. Il faut être un peu psychologue et savoir communiquer avec les joueurs.

Il était par ailleurs très favorable aux joueurs dits « locaux »

C’est une équipe nationale. Les joueurs qui sont en Europe ne sont-ils pas Algériens? Faut il rester au pays pour jouer avec la sélection? On n’aurait pas pu gagner la Can uniquement avec des joueurs locaux.C’est impossible. A la rigueur il aurait pu prendre les 3 ou 4 meilleurs éléments du championnat local.

C’est en s’expatriant que les joueurs formés en Algérie ont progressé…

J’ai progressé quand je jouais en Algérie mais c’est en venant en France que je me suis encore amélioré. J’ai atteint un meilleur niveau parce que les infrastructures étaient différentes.

Dans quels domaines vous êtes vous bonifié?

Je savais tout faire en Algérie mais j’ai appris psychologiquement en France. Mentalement, je me suis endurci. Il fallait bien gérer les matchs, savoir contrôler les temps forts et faibles..

Vous parlez de gestion du temps avec le ballon. Pour revenir au Mondial 82, l’erreur des entraineurs de l’époque n’a-t-elle été de ne pas avoir su gérer le match une fois que lAlgérie menait à la mi-temps (à 3-0 elle était alors qualifiée pour le second tour ) face au Chili?

Cela a été une faute grave. On menait 3 à 0. On voulait encore en mettre un quatrième ou un cinquième. Normalement, on aurait dû rester derrière en laissant venir et en procédant par des contre-attaques.Cela a été mal coaché. L’erreur était tactique. Celui qui connaissait un peu le football avait pu le remarquer. Mekhloufi et Khalef sont des gens intelligents. Je ne sais pas comment ils ont pu faire cette erreur. Au final, on a pris deux buts contre qui nous ont éliminés.

Djamel Belmadi est un sélectionneur intelligent. Voyez vous son équipe encore progresser et aller plus loin en compétition?

L’équipe a déjà progressé. Si elle a pris la Can, c’est qu’il ne lui manque rien.

Algérie FIFA CAN 2019 Belmadi

La Coupe du monde, c’est quand même un autre niveau, non?

Les Européens ne sont pas meilleurs que les Africains.Si on se sous-estime, on reste toujours les derniers. On a des joueurs de qualité, un bon encadrement et de bonnes conditions de préparation. L’entraineur et les joueurs se connaissent maintenant. Le Brésil n’a t-il pas pris 7 buts chez lui contre l’Allemagne?

Voyez vous dans cette équipe des secteurs de jeu qui pourraient être améliorés?

Ce que je vois dans chaque ligne est impeccable. C’est une équipe complète dans tous les secteurs du jeu. Il faudrait au milieu de terrain 3 joueurs qui soient techniques et qui puissent poser le ballon au sol. Cela peut faire mal même s’ils n’ont pas un gros abattage au milieu.

Vous voulez un 4-3-3 comme à votre époque?

On avait un milieu de terrain d’enfer. C’était une machine avec trois techniciens de haut niveau.

Vous n’êtes jamais revenu travailler en Algérie après votre carrière. Avez vous songé à monter un projet sur Annaba ou ailleurs?

Oui. J’en parle avec des gens sur place qui semblent intéressés mais dès que je reviens en France, il n’y a plus personne. Il faudrait que je sois en Algérie pour que cela avance. Pourtant, j’ai avec un moi un entraineur et formateur très compétent (Sébastien Brévot-Choplin) qui a des expériences de coach et de Directeur d’académies du PSG à l’étranger (Liban, Egypte, Vietnam). On a déjà travaillé ensemble. On est complémentaire. Je connais la mentalité sur place. S’il y a un projet sérieux, cela m’intéresserait d’y retourner avec Sébastien qui a par ailleurs ses diplômes.

Vous avez en plus l’oeil pour repérer les talents qui ne manquent pas en Algérie

(rires). C’est sûr que je saurais détecter quelques joueurs. Sébastien est aussi capable de sortir quelques pépites. Il y a plein de clubs sur Alger, Annaba, Oran ou Constantine que l’on pourrait aider à grandir.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk