Dans cette deuxième partie d’entretien, nous évoquons avec Yazid Ouahib les qualités intrinsèques du footballeur Ahcène Lalmas, l’image qu’il a laissée chez les passionnés du ballon rond ainsi que la forte personnalité qui l’animait.
(2è partie et fin)
Quelle image a laissée Ahcène Lalmas en Afrique?
Très-tôt sa renommée à franchi les frontières. Les spécialistes du football africain évoquent son nom lorsqu’il s’agit de parler du football algérien, passé et présent. En 1968 lors de la première participation de l’Algérie à la CAN, qu’avait organisée l’Ethiopie, la commission technique de la CAF l’avait désigné comme co-meilleur joueur du tournoi avec l’éthiopien Luciano. Il avait 25 ans. A l’époque, le football africain ne bénéficiait pas de la même visibilité et médiatisation qu’aujourd’hui.De toute façon lui n’a jamais été du genre à chercher la lumière des médias. Il l’a toujours soigneusement évité. Question de caractère et d’humilité. Si les autorités l’avaient laissé partir à l’étranger il aurait, sans nul doute, connu la même notoriété si ce n’est plus que celle des joueurs de la glorieuse équipe du FLN.
Si on devait le comparer à un footballeur de ces 15-20 dernières années, à qui ressemblerait-il le plus?
Le jeu des comparaisons est futile et puéril parce qu’ il renvoie à des critères et paramètres qui évoluent en fonction des époques, des moyens, des situations. Il ne ressemble à personne. Il réunissait les qualités de beaucoup de joueurs. Il était complet. C’était un joueur qui faisait l’équipe et pas le contraire. Il l’a démontré en plus d’une décennie en étant en haut de l’affiche.Il était hors norme. Il était le joueur d’une saison, pas d’un match. Ses gestes étaient simples, précis, sans fioritures. Mais sa principale qualité était son intelligence dans le jeu. Il sentait et voyait le jeu comme pas un. Sur le terrain, c’était un génie.
Beaucoup d’observateurs disent que c’est peut être le plus grand footballeur que l’Algérie ait porté. Est-ce aussi votre avis?
Sans aucune hésitation. Sa génération, post –indépendance de l’Algérie, comptait de très grands joueurs mais qui, malheureusement, n’ont pas bénéficié des mêmes moyens pour progresser. Au départ, Lalmas était un joueur du CRB qui lui a offert le cadre idéal pour s’épanouir. Ce n’était pas le cas des autres. Son palmarès demeure l’un des plus riches au plan national avec plusieurs titres de champion, de nombreuses coupe d’Algérie, 3 coupes du Maghreb. Il a en outre remporté le triplé (championnat d’Algérie, coupe d’Algérie et coupe du Maghreb) comme entraîneur-joueur et meilleur buteur du championnat avec 18 buts en 22 journées (1969-1970), sans oublier ses sélections et les 270 buts inscrits durant sa carrière.
Comment réagissez vous aux propos de Said Benrahma qui déclarait récemment que Riyad Mahrez est le meilleur footballeur algérien de tous les temps ?
C’est son avis. Il faut le respecter. Chacun de nous réfléchit, pense, argumente, selon ressenti, son vécu, son expérience, selon la période vécue…des paramètres difficiles à aligner à des époques différentes. Sans être un passéiste, je continue à croire que le football est toujours le même jeu, qu’il a la même essence et qu’il évolue dans le temps au gré des avancées technologiques, de l’évolution du sport et des moyens de sa médiatisation surtout. A son époque, il y avait 3 à 4 caméras. Aujourd’hui, la réalisation d’un grand match nécessite plus de 30 caméras haute définition. Le football on le voit autrement. Mais l’intelligence d’un joueur demeure l’une des principales qualités d’un grand joueur. Pour le commun des mortels le Brésilien est le meilleur joueur de tous les temps. Beaucoup qui n’étaient pas encore nés lorsqu’il a mis un terme à sa carrière disent qu’il est le meilleur, sans pour autant l’avoir vu jouer. Pour répondre à votre question, Riyad Mahrez est un grand joueur au même titre que Mustapha Zitouni, Rachid Mekhloufi, Mokhtar Kalem, Miloud Hadefi, Mostepha Seridi, Ali Attoui, Abdelkader Fréha, Abderrahmane Meziani, Abdelaziz Bentifour, Messaoud Beloucif, Ali Khiari, Ali Fergani, Lakhdar Belloumi, Salah Assad, Rabah Madjer, Chaabane Merezkane, sans oublier Mustapha Dahleb, Abdelghani Djadaoui.…
Est ce que Ahcène Lalmas était la cible de grands clubs européens?
Des clubs français (Marseille, Toulouse à l’époque dirigé par feu Kader Firoud), belges (Anderlecht, Brugges) et bien d’autres ont tenté de le recruter. Mais les autorités ont toujours refusé de lui accorder le bon de sortie. L’Etat algérien n’a jamais voulu entendre parler d’un départ de Lalmas.Il ne faut pas oublier que c’était la période ou les transferts à l’étranger n’avaient pas la souplesse et les facilités d’aujourd’hui.
Si vous ne deviez retenir qu’une anecdote qui le résume le mieux, laquelle choisiriez vous ?
Au-delà de tout ce qu’il a réalisé comme joueur durant toute sa brillante carrière, je retiens un fait qui renseigne sur la forte personnalité de cet homme surtout en cette période de doutes, de craintes et d’inquiétudes qui entourent l’avenir de ce pays et de sa jeunesse. En décembre 2008, Ahcène Lalmas est en bonne santé et coule des jours paisibles entre sa maison à El Mouradia – à 500 mètres de la présidence de la république -, la ville côtière d’Azzeffoun où il aime se rendre en compagnie de son fidèle carré d’amis, et Blida, la ville des Roses, ou l’accueille chaleureusement son ami Hamid Benyamina. Un jour quelqu’un sonne à sa porte. C’est Abdelaziz Belkhadem, le Ministre d’Etat auprès du Président de la république, représentant personnel du chef de l’Etat. L’hôte dévoile le motif de sa visite : « Le Président Abdelaziz Bouteflika vous invite au dîner qu’il offre à l’occasion de la présence de Zinedine Zidane en Algérie». La réponse de Lalmas est cinglante : « Si je comprends bien c’est par la grâce de la présence de Zidane au palais présidentiel que le Président m’invite. Je ne viendrai pas. J’aurais souhaité que le Président respecte tous les Algériens et plus particulièrement les sportifs comme il le fait avec Zidane. Rendez lui son invitation et dites lui que Lalmas ne viendra pas. Je viendrais volontiers dîner avec lui lorsqu’il organisera une cérémonie qui le concerne directement (son mariage) ». Cet épisode s’est produit en 2008 avant la maladie du Président. Il était puissant. Ahcène Lalmas lui a répondu comme un homme qu’il était, c’est-à-dire libre et courageux. Darghaz (Un Homme) ! Il en faut des Lalmas pour sauver l’Algérie de ses hommes et groupes qui l’ont conduite dans l’impasse.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk