© crédit photo/ Algeria 2096

Yacine Helali est un réalisateur de documentaire Marseillo-Algéro-Français. Son dernier opus Algeria 2096 * – actuellement en post-production – pose la question de l’identité multiple. Pour Dzair World, le quadragénaire a accepté de nous en dire plus sur sa « capsule » cinématographique.

Comment est né le projet de votre film?

Yacine Helali : Ce n’est pas première fois que je parle de l’Algérie dans mes documentaires mais je ne m’en rendais pas compte avant. Pour ce film, l’idée est venue en 2018 après des discussions avec mon ami et collaborateur Guy Austin. C’est un Maitre de conférences et spécialiste du cinéma algérien à l’université de Newcastle. On parlait de la décennie noire. C’est autour de ces discussions et de la mémoire traumatique de cette période qu’est né le film.C’est le décalage entre cette mémoire qui est violente et cette représentation qu’on a dans nos têtes de ce que c’est que d’être Algérien.

Vous vous êtes entouré d’un comité scientifique de spécialistes de l’histoire de l’Algérie. Est-ce par souci d’authenticité?

C’est pour l’exactitude, l’authenticité et l’équité. On ne veut pas raconter n’importe quoi. On a voulu que ce soit recoupé et validé. 

Vous annoncez que le documentaire sera original, que vous allez surprendre? De quelle manière?

C’est toujours surprenant de nous représenter à l’écran. On n’a pas assez de représentations de gens normaux. On est soit voyou ou extrémiste.On essaie, en toute humilité, avec l’équipe de mettre des exemples, des modèles à l’écran.La manière avec laquelle on a interviewé les personnes est assez neuve. On est original dans ce qu’on dit, ce qu’on commente, dans les thématiques explorées.

« Algeria 2096, la mémoire de l’autre ». Pouvez vous nous expliquer le titre? Qui est l’autre?

C’est une projection. C’est pour les générations qui sont enfants aujourd’hui. C’est une capsule du moment présent qu’on leur envoie. C’est pour leur dire ce qu’on avait en tête, comment on a grandi, ce qu’étaient nos rêves, nos espoirs et nos démons.L’autre, c’est celui qui n’est pas nous mais avec qui on est lié.Chacun a sa position, sa part de mémoire. Essayer de faire cet effort d’empathie, c’est ce qui crée la mémoire collective.

Dans la note d’intention du film vous parlez de réconciliation avec vous même, de chaos familial. Qu’est ce qui vous tourmente?

Les gens pensent que c’est une réconciliation avec les Français. C’est une des questions mais ce n’est pas la seule. C’est avant tout avec nous mêmes en tant qu’individu d’origine algérienne. Nous en tant qu’enfants de la colonisation. Quelle que soit cette histoire, c’est de se réconcilier entre nous et les différentes parties impliquées dans cette histoire parfois douloureuse.Je sais qu’il y a des obstacles, des rancoeurs. C’est osé et engagé. Est ce qu’on peut rêver d’une réconciliation? 

Vous avez cherché à interroger l’Algérianité. Au delà du drapeau qu’on brandit après une victoire des Fennecs, comment définiriez vous l’Algérien aujourd’hui?

C’est un survivant même s’il se voit parfois comme une victime.Nous sommes un peuple qui essaie de rester debout malgré les obstacles et l’histoire qu’il reste à écrire. C’est un peuple qui souffre mais qui essaie de se battre, qui a cette lueur de vie en lui.

Vous écrivez dans le synopsis de votre projet : « l’identité algérienne d’aujourd’hui est tout autant nourrie de la résistance séculaire à la violence coloniale que de l’inscription de ses enfants de la « diaspora » au sein de la « métropole », cœur même de l’oppression coloniale ». L’Algérien serait il masochiste?

Ce sont les vents de l’histoire qui ont amené le peuple algérien là où il est.Parfois, c’est difficile de résister. Mon père a fait la guerre d’Algérie et je me retrouve en France.Ils ont été Français pendant plus d’un siècle même si c’était le système colonial. Ils pouvaient aller et venir entre les deux pays.Même une guerre ne peut pas éteindre cette connexion.On essaie de naviguer en tant qu’individu même si on n’a pas l’impression parfois de faire partie du même peuple.Il y a aussi des gens qui ne se sentent pas de cette histoire. On est des enfants de cette histoire compliquée mais on a réussi à faire des choses.On n’est pas des victimes. Au contraire, on est des battants. D’où l’idée du film.On essaie de rassembler les gens et de parler de cela même si on n’est pas d’accord.

© crédit photo/ Yacine Helali

Marseille : point de départ et de chute. En quoi cette ville est elle spéciale du point de vue du questionnement identitaire? 

Tout le monde est passé par Marseille. C’est le point de chute numéro 1.On voit arriver autant d’hommes d’affaires que de clandestins. On baigne dedans.On ressent les vibrations de l’Afrique et de l’Algérie. Il y a quelque chose de volcanique, d’électrique ici.Ce n’est pas cliché. C’est une terre d’histoire, surtout pour nous. Il faut le reconnaitre de manière positive. L’histoire algérienne s’est aussi écrite à Marseille. Les Algériens ont libéré Marseille du nazisme. Ce n’est pas rien. Ils ont bâti la ville qui était vide. Ils l’ont peuplée quand ils sont arrivés.Ils ont apporté beaucoup mais cela n’est pas reconnu. Il y a un malaise. On vit ensemble mais il y a une sorte d’apartheid à Marseille. Quand on est d’origine algérienne ou perçu comme tel, on va avoir des obstacles très difficiles à franchir. La discrimination et le racisme sont très durs. Nous qui sommes natifs d’ici, on sait comment cela se traduit. C’est tangible. On dit qu’on est Marseillais et Algérien.C’est une identité qu’on peut prendre à deux mains et avec laquelle on est à l’aise.On a plus de facilités à se dire Franco-Algérien que simplement Français.

Que fait la communauté algérienne pour essayer de changer la donne?

C’est dur de répondre à cette question.Nous sommes parfois éparpillés mais il y a beaucoup de solidarités. Cela s’étend au sein du peuple marseillais.Pour mon film, j’ai reçu beaucoup d’aides.Je suis même étonné. Il y a aussi de l’espace pour s’améliorer. Je ne dresse pas un tableau idyllique. Il y a une base, un potentiel d’entraide qui est déjà là. Il y a une conscience qui ne demande qu’à être cultivée en fait.

Vous souhaitez aussi réhabiliter la figure de l’Algérien. Jouit-il d’une image déformée? 

« Déformée », c’est le bon mot.Malheureusement, on joue toujours les sales rôles. Nous on a eu des modèles quand on a grandi mais malgré cela il a fallu se battre pour distinguer ces héros.

En quoi la diaspora est-elle importante dans votre projet?

Je suis un membre de la diaspora. C’est la perspective, le point de vue d’un enfant de la diaspora.Je pense qu’elle peut et doit être une force sur le plan politique, économique, culturelle, intellectuelle.Les deux parties sont importantes : les Algériens sur place et la diaspora.Même si on ne s’en rend pas compte, on a beaucoup à apprendre les uns des autres.

Est-elle assez reconnue par les décideurs en Algérie?

On a affaire à un pouvoir totalement autoritaire. On sait qu’au pays, c’est un système fermé et opaque. On a parfois du mal à comprendre leurs intentions politiques.La relation est non existante donc problématique. Parfois, on se pose des questions sur les intérêts qui leur traversent l’esprit. On a l’impression qu’on n’existe pas aux yeux des « Politiques », qu’on est une vache à lait. Il n’y a pas de respect.La diaspora a montré qu’elle était du coté du peuple et qu’elle voulait du changement positif pour le pays.

Avez vous été surpris par l’exemplarité du Hirak en Algérie ?

On a commencé le film avant le Hirak. Quand le mouvement a débuté, je me suis dit que ma vision, ce rêve, n’était pas que dans ma tête. Certains étaient pessimistes et pensaient qu’ils n’allaient jamais voir cela. En tant qu’artiste, je le voyais. Je le savais.Cela a confirmé ce que j’espérais. 

© crédit photo/ Yacine Helali

Pensez vous que le Hirak va faire son effet?

Le Hirak a déjà fait son effet.Le film a suscité beaucoup de débats. Cela démontre que le peuple est éveillé.Il est en demande de films, d’oeuvres, de forums de discussion.Il aime philosopher, échanger. Cette soif de liberté était là avant le Hirak. Elle ne partira pas.Il y a une volonté farouche d’une Algérie plus libre.

A titre personnel comment imaginez vous l’Algérie en 2096?

Le pays sera ce que nous en faisons. Cela commence dès maintenant.Chacun a ses rêves et ses cauchemars. On a la capacité de construire quelque chose de vraiment original et singulier.Si chacun y va de son effort, cela peut produire des résultats qu’on ne soupçonne pas.Il y a un talent fou. La population est majoritairement jeune. C’est la plus grande richesse du pays.L’avenir est entre leurs mains.Cette jeunesse regarde l’extérieur, pas forcément l’Europe mais le monde entier.Elle voit ce qui se passe ailleurs. Elle a envie du meilleur. Un jeune est fort et fragile.On ne pourra pas l’ arrêter.Il faut qu’ils réalisent la force qu’ils ont en eux.Cette jeunesse nous réserve beaucoup de bonnes surprises.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

* Une cagnotte est actuellement active pour aider au financement de la post-production du film https://paypal.me/pools/campaign/114330822536578154