Telle une goutte qui a fait déborder le vase de la colère populaire, le viol et l’assassinat le 5 octobre dernier de Chaïma Sadou, une jeune femme de 19 ans, a remis sur le devant de la scène algérienne l’épineuse question de l’application de la peine de mort pour les auteurs d’enlèvements ayant entrainé la mort. La réouverture de ce débat continue de diviser la société entre partisans et adversaires de cette sentence.
C’est au petit matin du 5 octobre que le corps calciné de la jeune algéroise a été retrouvé dans une station-service à Thenia, à 30 km du lieu de son enlèvement (à Réghaia). Pour beaucoup d’Algériens, les images de Haroune, d‘Ibrahim, de Nahla, de Mehdi, de Soundous, d’Abir, d’Ahmed Yacine ou d’Houssem – des victimes mineures d’enlèvement et de meurtre – sont remontées à la surface pour replonger la société dans le désarroi et réouvrir le sempiternel débat sur l’application effective de la peine de mort.
La toile s’enflamme après l’assassinat de Chaïma
Sur les réseaux sociaux, l’onde de choc de l’assassinat de Chaïma a été telle qu’il a fallu peu de temps pour que l’indignation et le courroux se manifestent. « On se sent pas en sécurité. On a peur pour nos enfants », « Devons-nous enfermer nos enfants à la maison ou sortir avec une hache dans le sac pour pouvoir les protéger », « Ils violent et ils tuent des innocents puis ils sont placés dans des cellules luxueuses dans les prisons , bien logés, bien nourris et ils ressorts après quelques années comme si de rien n’était », a-t-on pu lire sur la toile.
Entre inquiétude et colère populaires, le verdict – sous le coup de l’émotion – a été quasi unanime: application sans condition de la peine de mort à l’encontre de l’auteur du crime.
Au lendemain de la macabre découverte, le président de la république, Abdelmadjid Tebboune, s’était même exprimé à ce sujet lors d’un conseil des ministres. Le chef de l’Etat avait ordonné l’application de peines maximales, sans possible allégement ou de grâce, pour tout acte d’enlèvement de mineurs ayant entrainé la mort.
Au milieu de ce trop plein émotionnel, d’autres voix – qui comptent dans le paysage médiatique national – ont en revanche suscité quelques incompréhensions. Ainsi le président de la fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM), Mostefa Khiati, a laissé entendre que la responsabilité du crime ne pouvait être que collective.
De son coté, le Dr Bouzid Lazhari, spécialiste en droit constitutionnel, rappelait que la nouvelle constitution – adoptée le 1er novembre dernier – avait introduit un droit à la vie qui pouvait entraver l’application de la peine de mort.
Le soir de la prise de parole du constitutionnaliste nombreux sont ceux qui ont manifesté leur stupeur. « Et la fille à qui on a ôté la vie, n’avait-t-elle pas le droit à la vie ?», « L’application d’une condamnation à mort fait partie d’un droit à la vie qui incitera les criminels à réfléchir mille fois avant de commettre le crime », s’emportèrent les internautes sur Twitter ou Facebook.
Une série macabre qui dure depuis 2003
Ces meurtres sans nom contre des fillettes, des jeunes femmes ou des enfants s’inscrivent dans une longue série d’assassinats commis depuis 2003, et qui rappellent les centaines de victimes de la décennie noire. Et pourtant, jamais un assassin n’a été exécuté ou puni, y compris pour les faits les plus sanglants.
Entre 2003 et 2013, pas moins de onze enfants ont été enlevés et assassinés après avoir subi des sévices sexuels. Rien que pour l’année 2013, les services de sécurité ont eu à traiter plus de 200 affaires de kidnapping. Certains victimes d’enlèvement ont été soit assassinées, soit jamais retrouvées.
Dans ce sinistre décompte, ce sont les femmes qui paient un lourd tribut. Sur les six premiers mois de l’année, on dénombrait déjà 38 féminicides, soit la moitié du total des victimes de 2019 (75), rapporte le site officiel feminicides-dz.com.
Dès lors la question de l’application de la peine capitale, inscrite pourtant dans la constitution, est redevenue une revendication pressante du peuple.
Retour du débat sur l’application de la peine de mort
Rappelant que sur les 20 dernières années, l’Algérie a connu en moyenne « un à deux kidnapping par an », Mustapha Khiati regrette que ce fléau soit une triste réalité nationale puisque dans d’autres pays « ce sont des cas exceptionnels qui se voient tous les cinq à 10 ans », précise-t-il.
Pour lutter contre ce phénomène, le Professeur estime nécessaire de mettre en place « une politique de prévention qui pourrait réduire l’ampleur de ce phénomène ».
Et d’ajouter : « Ce n’est pas une affaire des seuls services de sécurité, La lutte contre ce fléau nécessite la mobilisation de tous et l’implication des associations de quartiers ».
M.Khiati propose aussi de mette des bracelets anti-rapprochement pour les agresseurs et de durcir le volet pénal. Il se déclare en outre favorable à la peine de mort, pour les violeurs et les assassins de mineurs, « en cas d’enlèvement d’enfant, suivi d’agression sexuelle et d’assassinat ».
Amnesty International met la pression
Malgré le nombre effrayant de crimes perpétrés en Algérie, l’ONG Amnesty international, à travers ses représentants algériens, tente depuis des années d’infléchir la position du gouvernement dans le sens d’une abolition de la peine capitale. « Un châtiment cruel et inhumain », expliquait-elle lors d’un séminaire organisé en décembre 2014 par la commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme sur la thématique : « l’abandon de la peine de mort dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ».
« L’opinion publique n’a, à aucun moment, réclamé la peine de mort durant la décennie noire, alors que de graves violations des droits humains ont été commises », se justifiait l’ONG.
L’organisation droit de l’hommiste a par la suite appelé solennellement – le 9 octobre 2017 – l’exécutif algérien à abolir définitivement la peine de mort.
En 2004, le Premier ministre Ahmed Ouyahia s’était rangé aux cotés d’Amnesty International. Un projet de loi avait même été discuté, en 2006, par le ministère de la Justice, puis par le Parlement. Peu de temps avant l’annonce du texte, le plus célèbre des condamnés à mort algériens, Abdelhak Layada – cofondateur du GIA – avait été gracié et libéré. Finalement, le 17 octobre 2006 les députés – hormis le Parti des Travailleurs – se sont prononcés à la quasi unanimité contre l’abolition de la peine de mort.
42 Etats ont inscrit la peine de mort dans leur constitution
Selon plusieurs ONG internationales, 42 états – dont la majorité se situe en Asie et en Afrique- disposent dans leur arsenal juridique de la peine capitale. Depuis 2010, seuls 22 Etats ont toutefois procédé a des exécutions, soit 690 en 2018 et 657 en 2019. Dans le top cinq des pays pratiquant la peine de mort, on retrouve par ordre décroissant, la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Irak et l’Egypte
Dans le droit algérien, la peine de mort existe même si son exécution est suspendue depuis 1993. Selon des sources non-officielles, 200 condamnés à mort attendraient dans les geôles d’être exécutés.
Le sujet redevenu sensible émotionnellement pour l’opinion publique – avec ces sordides affaires de meurtres – oppose le camp des abolitionnistes – au nom des droits de l’homme – à celui des partisans de la loi du Talion.
Le Qisas autorise le recours à la peine capitale
Si le monde politique et la société civile se sont emparés du débat sur la peine capitale, quel est donc le point de vue de la religion dans ces affaires de droit commun?
Bien que le Qisas (justice rétributive), évoqué dans plusieurs sourates du Coran (El-bakara versets 178-179, El-nissa, El-maidah, verset 45, Al-israa et Az-zaboure), permet le recours à la peine de mort, celui-ci reste suspendu.
La tradition abrahamique ne déroge pas à cette règle en mentionnant aussi dans les trois religions monothéistes le droit au « Œil pour œil, dent pour dent » (Loi du Talion) en guise de réparation pour les victimes ou leurs familles.
Pour le spécialiste de la charia, le Dr. Anas Ahmed Lala, le principe de la peine capitale pour le meurtrier est inscrite dans le Coran et explicité par la Sunna (tradition prophétique). Il explique ainsi que les sources musulmanes, « cette peine est inapplicable au meurtrier si une des quatre conditions est absente ».
Et de les énumérer : « Que la famille de la victime réclame la peine de mort, qu’il y ait des preuves irréfutables de la culpabilité, qu’il soit prouvé qu’il y avait intention de tuer et qu’il n’y ait pas de circonstances atténuantes ».
« L’application donc de la peine capitale au meurtrier n’est pas systématique », conclut-il.
Jacqueline Chabbi, Professeure émérite en études arabes à l’université Pars-VIII et spécialiste des débuts de l’islam et de l’histoire du monde musulman médiéval, pense de son coté que le Qisas illustre la règle de compensation d’un dommage subi. « Il était vital de préserver l’intégrité physique des membres de la tribu et les rapports de force entre les groupes tribaux rivaux. Tout dommage physique étant perçu comme catastrophique, la compensation était donc obligatoire, que l’atteinte physique fut volontaire ou non », explicite l’historienne.
Face à la colère et l’incompréhension grandissantes de l’opinion, il est donc temps que les pouvoirs publics apportent une réponse claire à la lancinante question des citoyens : Que faut-il faire pour éviter que de telles tragédies se reproduisent ?
Chahinez Douadi