Elections Algérie 12 juin

Politologue algérien et ancien professeur de science politique à la faculté et à l’Ecole nationale Supérieure de science politique, Mohamed Hennad revient sur les résultats des élections législatives du 12 juin en Algérie.

Quelle analyse faites-vous des résultats des élections législatives du 12 juin ?

Mohamed Hennad : Cette élection a été un coup de force qui va aggraver la crise politique que traverse le pays depuis deux ans notamment. Il me semble qu’elle va aussi créer plus de problèmes pour le groupe au pouvoir qu’elle n’en résoudra. Elle constitue le troisième camouflet que ce groupe vient de subir après les deux dernières consultations électorales. Aussi, l’on ne voit pas comment il pourra gouverner avec un parlement qui ne représente que 20 % de la population. Dans ce parlement, il y a aussi la question de la légitimité de ces élus censés représentés un certain nombre de wilayas qui ont quasiment boycotté les élections. Également, que faire des conscriptions électorales où aucune liste n’a pu atteindre le seuil légal de 5% des votants ? Evidemment, ces cas seront réglés d’autorité ! Ajouter à cela le fait que la nouvelle représentation nationale sera celle des hommes puisque les candidates femmes n’y représentent que 8,3 %. Voici, malheureusement, les données, toutes fraîches, de la « nouvelle république » que les chefs militaires ont bien voulu nous concocter !

Trois quarts des électeurs inscrits ne se sont pas déplacés. Est-ce une assemblée mal élue?

Plutôt 4/5 n’ont pas voté si l’on déduit les bulletins nuls ! Il est clair qu’il s’agit-là d’une assemblée très mal élue. Elle ne sera pas seulement une assemblée « mal élue » comme vous dites, mais, pire encore, une assemblée fantoche – ou fantôme dans le meilleurs des cas –  dans la mesure où elle ne représentera qu’elle-même puisqu’elle comptera aussi beaucoup de membres qui n’auront été élus que par une poignée de gens. Ça c’est de la provocation politique, n’est-ce pas ?

Le FLN arrive en tête mais en perdant 56 sièges. N’est ce pas une victoire en trompe-l’œil ?

Elle n’est pas du tout en trompe-l’œil ! Le FLN ne perd jamais ! Ça il faut bien le comprendre ! Ce n’est pas un parti « normal » dans la mesure où il a toujours joué le rôle de courtier politique au profit du Pouvoir. Ce qui est autrement plus grave, c’est que le FLN, premier responsable du malheur algérien, continuera à hanter l’hémicycle, avec plus de force cette fois-ci dans la mesure où il aura plus qu’une majorité absolue des voix au sein de l’Assemblée Populaire Nationale. Il suffit d’un petit calcul pour le réaliser : le FLN, plus ses acolytes que sont le RND et le Front El Moustaqbal, représentent à eux seuls plus que la majorité absolue. Qui plus est, en cas de besoin, le FLN pourra aisément puiser dans le gisement des « indépendants » (en deuxième position en nombre de sièges après le FLN) dont beaucoup ne seraient « indépendants » que de nom. Il y a fort à parier – et c’est classique  – qu’un certain nombre parmi eux ont dû quitter leurs partis parce leurs noms ne figuraient pas sur la liste des candidats. Et certains, en se portant « candidats indépendants », ont tout simplement opéré une manœuvre interne destinée à augmenter les chances de leur parti.

L’absence de majorité absolue fragilise-t-elle le FLN 

Le FLN n’est jamais fragilisé en tant que parti ! Il n’est fragilisé que dans la mesure où le Pouvoir est fragilisé. Il a toujours été, non pas le parti au pouvoir mais le parti du Pouvoir jouant le rôle de courtier politique ! On raconte qu’un ancien chef du FLN disait, après l’instauration du multipartisme en Algérie – en 1989 – qu’il préférait être un planton du Pouvoir qu’un leader dans l’opposition. Cela veut tout dire !

De quels pouvoirs va disposer cette assemblée nouvellement élue ? 

Les prérogatives de l’APN sont énoncées dans la constitution. Cependant, le formalisme juridique ne mène à rien quant à la manière dont le pays continue a être gouverné depuis l’indépendance.Comme à l’accoutumée, l’APN continuera, donc, de servir de chambre d’enregistrement et de soutien politique pour le groupe au pouvoir, avec certainement beaucoup plus de chahuts pour donner l’impression de faire passer aux membres du gouvernement de mauvais moments ! 

Abdelmadjid Tebboune (https://bit.ly/3gBQXUz) souhaitait un renouvellement de l’assemblée nationale. Estimez vous que cet objectif a été atteint ?

Je pense que les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Pourquoi, donc, aller plus loin ?

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk