Politologue algérien et ancien professeur de science politique à la faculté et à l’Ecole nationale Supérieure de science politique, Mohamed Hennad analyse pour dzairworld.com les dernières décisions prises par Abdelmadjid Tebboune.

Abdelmadjid Tebboune a procédé à un remaniement ministériel léger. Qu’avez vous pensé de cette décision politique ?

Mohamed Hennad : En fait, ce remaniement était attendu depuis quelques semaines déjà, suite à la déclaration du président Tebboune faisant état de son insatisfaction quant à la performance du gouvernement. Il faut toujours garder à l’esprit que les gouvernements sont toujours et partout des fusibles qui sautent dès qu’il y a une surchauffe. A fortiori chez nous où ils sont autrement plus volatiles pour créer diversion couvrant l’échec, et aussi une occasion pour les clans du Pouvoir de placer leurs pions. 

N’est ce pas un aveu d’échec personnel ?

Apparemment oui ! Parce que cela n’a pas été un remaniement auquel on pouvait s’attendre. Quelques petits changements seulement et aucun ministère clé n’a été touché sauf celui de l’industrie où le remplacement de l’ancien ministre a sûrement rapport avec le gros dossier de l’importation de véhicules.  Le remaniement qui vient d’avoir lieu pose, donc, beaucoup de questions concernant, notamment, sa motivation mais aussi la souveraineté du président algérien dans le choix de ses ministres et l’importance de la « négociation », dans ce choix, entre les cercles du Pouvoir.  

Avec 22 ministres, 2 ministres délégués et 2 secrétaires d’Etat maintenus, ce remaniement donne l’impression qu’on reprend les mêmes et qu’on recommence. N’y a t il pas une dichotomie avec la volonté affichée de renouveler l’Assemblée ?

Il est évident que le nouveau gouvernement est pléthorique, comme les précédents, malgré les difficultés financières que connait l’Algérie depuis de longues années et la fragmentation des efforts qui en résulte. Et si on a l’impression qu’à chaque fois on reprend, plus ou moins, les mêmes et on recommence, c’est parce que le système algérien puise toujours dans les « réserves de la république » pour entretenir sa clientèle et l’élargir au lieu d’ouvrir le champ à une compétition politique saine. Or la gouvernance implique que la désignation des ministres et des hauts responsables de l’État se fasse par le truchement d’élections parlementaires où il incombe au parti majoritaire ou à la coalition de partis de former le gouvernement. Nous continuons, donc, à être très loin de cette configuration. Il y a fort à parier que les élections législatives anticipées ne feront pas bouger les lignes dès le moment où l’on reste régi par le même système clientéliste et rentier, loin d’un consensus national entre les différentes forces politiques du pays.

Cela peut-il être le signe de dissensions dans les coulisses et que la meilleure décision était de ne rien changer au niveau de l’exécutif ?

On ne peut que spéculer sur la question mais sans l’exclure ! Mais force est de constater l’absence de volonté d’aller vers l’instauration d’un système de gouvernance qui transcenderait les clans à la faveur d’élections libres et transparentes. L’État algérien continue d’être l’otage de clans au nom de prétendues « éternelles valeurs de novembre » qui empêchent d’aller de l’avant. En Algérie, on peut sérieusement parler d’une capture de l’État.    

Vous attendiez vous à un changement de Premier ministre comme la rumeur l’indiquait ?

Non ! Parce que le président quand il a exprimé son insatisfaction à l’égard du gouvernement, il l’a faite d’une manière nuancée, par rapport à certains départements ministériels seulement. Ce qui pourrait être le souhait même du premier ministre. Bien sûr, la question de la totale liberté du Président de changer son premier ministre reste toujours posée dans notre régime de gouvernance ! 

Fallait-il que le Chef de l’État frappe plus fort à l’image de la dissolution de l’APN ?

Bien au contraire ! De mon point de vue, le coup n’a pas été si fort que ça ! Il me semble que le Président a pris trop de temps.Il aurait dû la prendre immédiatement après une élection présidentielle si contestée. Et puis on ne comprend pas pourquoi il n’a dissout le parlement qu’à moitié, en épargnant cette voie de garage – actuellement inutile et trop coûteuse – qu’est le Conseil de la nation, organe rentier par excellence et fruit de fraudes électorales tout autant que l’APN ! Qui plus est, ce Conseil vient d’élire, à sa tête, un vieillard apparatchik (ndlr, Salah Goudjil, âgé de 90 ans) qui détenait ce poste par intérim depuis deux ans. Il faut aussi rappeler quand même que ce Conseil de la nation est une chambre « haute » tributaire, donc, de la chambre « basse » (l’APN) aussi bien dans sa constitution que dans son fonctionnement.

Abdelmadjid Tebboune a décidé de dissoudre l’APN. Quel rôle différent jouerait-elle avec l’entrée en politique de jeunes et de femmes ?

Notre expérience avec le régime politique depuis l’indépendance nous avertit contre tout optimisme injustifié. Le régime nous a tellement habitués à des coups de bluff que l’on n’est pas prêts de le croire sur parole cette fois-ci. Attendons donc pour voir. Quant au rôle du parlement, la constitution le précise suffisamment pour peu que l’on daigne la respecter. Ce qui, malheureusement, n’a jamais été le cas depuis l’indépendance du pays à ce jour ! Pour rassurer les Algériens, il est indispensable qu’il y ait un vrai progrès au niveau de la justice dans le sens où le citoyen ne sera plus jugé à cause de son opinion ou de ses croyances. Mais aussi au niveau des médias nationaux, publics et privés, lesquels sont devenus de simples relais de propagande de bas étage pour le pouvoir !   

Comment interpréteriez-vous l’échange téléphonique avec Emmanuel Macron à 24 heures du deuxième anniversaire du Hirak ? Peut-on y voir un soutien implicite au locataire d’El Mouradia ?

Franchement, cette histoire de téléphone agace parce que les affaires entre Etats sont trop importantes pour être traitées par de simples coups de fils entre copains. Ceci étant, le président français a déjà exprimé son soutien, voire son admiration pour le président algérien quand celui-ci était hospitalisé. Mais tout cela reste à vérifier.    

Diriez-vous qu’après la grâce présidentielle, la dissolution de l’APN et le remaniement ministériel, le chef de l’Etat reprend les choses en main alors qu’on voyait en lui une personne affaiblie par la maladie ?

D’abord, il faut se rendre à l’évidence que l’incarcération de citoyens pour des raisons politiques va à l’encontre de la constitution et des différents instruments internationaux relatifs aux droits humains. De ce fait, la grâce présidentielle n’en était pas une dans la mesure où les « graciés » étaient des prisonniers politiques, et non pas de droit commun. Ensuite, parmi eux il y en a qui attendaient d’être jugés. Or la grâce présidentielle ne peut intervenir qu’après jugement et l’épuisement des voies de recours. Il y a, donc, une interférence de la part de l’exécutif dans le travail le la justice.Quant à la dissolution de l’APN et au remaniement ministériel comme signes de reprise en main par le président Tebboune, rien ne permet de préjuger de l’avenir.

Le timing de toutes ces décisions politiques, avec la volonté de mettre en avant la jeunesse et les femmes, de lutter contre la corruption, est-ce une manière de couper l’herbe sous le pied du Hirak ?

Pourquoi voyez-vous dans les décisions politiques prises récemment une manière de « couper l’herbe sous le pied du Hirak » puisqu’il s’agit-là de revendications que ce dernier ne cesse de prôner ? Le Hirak n’est pas un parti politique. Il est l’expression d’une volonté générale qui aspire au progrès de la société. Si le Pouvoir est sincère, au lieu de voir en lui un ennemi, il devra, au contraire, s’appuyer sur le Hirak, pour lutter contre les différentes pesanteurs politiques et sociales – en vue d’opérer le changement inévitable – au lieu d’essayer de mettre ce sursaut populaire salutaire sous ses bottes. 

Comment voyez-vous la suite de ce Mouvement après un an de mise en parenthèse due au Covid19 ?

Il faut se rendre à l’évidence que le Hirak n’est pas un parti politique qui viendrait concourir pour des acquis politiques pour lui et ses militants. Il est, comme je viens de le dire, l’expression d’une volonté générale laquelle est toujours là, souvent latente, mais toujours prête à se manifester en cas de nécessité. Le Hirak doit demeurer notre flamme olympique !  

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk