débat de l'association 4ACG et le public
Débat public de l’association ©crédit photo/4ACG

A bientôt 92 ans, Stanislas Hutin est le doyen de la 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(es) contre la guerre), une association qui oeuvre au rapprochement et à la réconciliation entre Français et Algériens. Pour dzairworld.com, l’ex-enseignant de français dans les Aurès nous explique le rôle de son organisation, ses valeurs et les actions qu’elle mène en France, en Algérie et en Palestine.

Vous êtes le doyen de l’association 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre). Pouvez vous nous parler de sa genèse ?

Elle est née en 2004 au moment où certains des appelés étaient en âge, à 65 ans, de recevoir la pension d’ancien combattant à laquelle ils avaient droit.Ce sont 4 agriculteurs de la région d’Albi qui ont dans un premier temps refuser de la toucher parce que c’était pour eux l’argent du sang et de la guerre. Des amis autour d’eux leur ont dit de ne pas la laisser au gouvernement qui allait en faire des canons mais de l’accepter et d’en faire autre chose.Ils ont eu l’idée de faire un pot commun pour qu’elle serve à la réconciliation avec les Algériens. C’est le principe de la 4ACG qui a grandi par la suite.Nous sommes aujourd’hui 400 – dont 150 à 200 appelés – avec les amis des appelés. Dès que j’ai connu cette association, j’y ai adhéré immédiatement, au début de sa création. Pour moi cette pension est un paradoxe vis à vis de cette guerre injuste qui allait contre la volonté de liberté d’un peuple. Quelle gloire peut-on attacher à cela? Comment peut-on être récompensé pour avoir été mandater pour tuer des gens qui voulaient leur liberté? Je n’ai eu aucune difficulté à remettre au pot commun cette retraite pour qu’elle serve les associations en Algérie, au titre de la réparation, et en Palestine qui est un pays en guerre depuis maintenant 70 ans.

Quelles sont les missions et les valeurs de l’association?

Celle de refuser toutes guerres, toute violence, d’aller prêcher cela auprès des jeunes. On va dans les lycées et collèges et on essaie de tirer de notre expérience malheureuse des enseignements pour la vie actuelle.On renvoie les jeunes à leurs responsabilités vis à vis des déviances de leur société actuelle en leur disant d’apprendre à résister à toutes les tentations maléfiques. Ne soyez pas comme, hélas la plupart des appelés, des moutons. La 4ACG fait de la résistance post-guerre.On a un testament à léguer à ces jeunes. Je suis le doyen. J’ai 92 ans. On a aussi beaucoup de contacts avec les associations franco-algériennes.On finance des associations en Algérie comme en Palestine.

Comment les jeunes réceptionnent-ils vos témoignages?

Ils sont extrêmement attentifs. C’est même étonnant. Ils sont ouverts à cette expérience parce qu’ils apprennent la guerre d’Algérie. Ils nous disent que cela n’a rien à voir avec l’enseignement dans les livres quand des gens qui l’ont faite nous parlent de ce qu’ils ont vécu.Je tiens à préciser que quand on intervient auprès des élèves, on vient aussi avec d’anciens moudjahidines qui ont été nos adversaires dans le temps. Comme cela les élèves voient des adversaires réconciliés en trainde fraterniser. On vient aussi avec des pieds-noirs et des réfractaires qui ont délibérément refuser de partir et de porter les armes en Algérie. Ils en ont subi les conséquences en étant emprisonnés.C’est le respect des mémoires quelles qu’elles soient. Et qu’elles sachent dialoguer et qu’on sache les écouter et les entendre.

Dans le très beau film Des hommes de Lucas Belvaux, des appelés envoient des lettres rassurantes à leurs familles. L’avez constaté au sein de votre association ?

Tout à fait. Ils rassuraient leurs familles sur leur propre existence mais cela ne les empêchait pas parfois de raconter à demi-mot ce qui se passait. C’est ce que je faisais dans mes lettres à ma mère, à mon père, à mes frères tout ce que je vivais. Je le reconsignais d’ailleurs dans mon carnet de bord qui a fait l’objet, à la demande d’historiens – Groupe de recherches en histoire immédiate (GRHI) de l’université de Toulouse – d’une publication en 2002. Dans notre association, il y a aussi un phénomène bien connu qui est le silence des appelés. Beaucoup qui ont adhéré à la 4ACG ont dit que c’était la première fois qu’ils en parlaient de la guerre d’Algérie.

Votre association a complètement libéré cette parole…

Oui, elle a libéré la parole. Pendant très longtemps, cela a été une chape de plomb. Ils ne voulaient pas se le remémorer parce qu’ils l’avaient très mal vécu et qu’il n’y avait aucune gloriole mais de la honte à en tirer. Ensuite, ils n’étaient pas questionnés dessus. Moi, j’étais issu d’un milieu de journalistes et de démocrates chrétiens qui voulaient savoir. Ils m’ont toujours questionné. J’ai fait une véritable catharsis. Cela m’a permis de me rétablir sans problème.

Vous parliez d’actions que vous effectuez sur le territoire algérien. Quelles sont-elles?

On donne des petites sommes car ce n’est pas avec une retraite de 700 euros par an qu’on peut faire grand chose. Tous les ans, on les déverse sur une quinzaine de projets. Ce qui est plus important pour nous que l’argent qu’on donne, c’est l’ancrage que cela nous fait vis à vis de ces pays là (ndlr, en Palestine également). On est en permanence en relation avec eux. C’est à la fois symbolique et concret. Cela délivre des contacts fraternels et humains. La deuxième chose que l’on fait, c’est l’organisation de voyages pour aller voir les associations que l’on finance, pour rencontrer d’anciens adversaires, pour reprendre contact avec ce pays au titre de la réconciliation et de la réparation. Personnellement, je n’ai jamais eu besoin de me réconcilier. C’est extraordinaire. On voit des tas de gens. On est reçu dans les villages de façon magnifique. On est célébrés dans la fraternité totale sans jamais aucune animosité. Ce qu’apporte notre association, c’est ce besoin de fraterniser avec les Algériens. On a publié un livre Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance : paroles d’humanité (édition de l’Harmattan) qui rassemble tous les témoignages des protagoniste, les anciens appelés, moudjahidines, les pieds-noirs, des harkis et des historiens, de cette guerre.

Association de lutte contre l'autisme en Algérie
Association de lutte contre l’autisme – ©crédit photo/4ACG

Savez vous de quelle manière les pouvoirs publics en Algérie appréhendent vos actions?

On est très circonspects là dessus. On sait simplement que les associations algériennes ont interdiction de recevoir de l’argent de l’étranger.Cela devient un vrai problème. Je ne sais pas comment cela va évoluer. Depuis le Hirak puis la Covid, on n’a pas pu aller en Algérie. On se pose la question de savoir comment y retourner. Quand on y allait, on était nombreux. On prenait un bus et on était cernés par la sécurité qui nous accompagnait.

Quels sont vos projets pour le futur?

Notre grand désir serait que la 4ACG puisse perdurer et survivre aux appelés.On se demande aussi dans quelle mesure ce serait possible de créer une association franco-algérienne contre la guerre. Nous sommes en train d’étudier cela avec des associations à Aubervilliers, à Villejuif, à Marseille, en Bretagne, en Auvergne…Dès qu’on aura plus de facilités pour aller en Algérie de reprendre tous les contacts et de relancer les choses un peu plus structurelles.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

Pour en savoir plus sur la 4ACG http://www.4acg.org/