Adel Mebarki est Directeur adjoint et co-fondateur de Kapcode.Sa start-up , d’une vingtaine de salariés, travaille sur l’analyse de données autour de la santé sur les réseaux sociaux. Rencontre avec un entrepreneur algérien dynamique.
Avant de créer cette start-up Kapecode, pouvez vous nous rappeler votre parcours depuis l’ Algérie?
Adel Mebarki : J’ai grandi en Algérie jusqu’à mes 24 ans. J’ai fait le lycée à Alger. Je suis une première fois venu en France, en 2006, pour faire une licence en informatique.Cela ne m’a pas plu. Je suis par la suite redescendu au pays pour des raisons personnelles. J’ai fait la fac et l’INC (école de commerce) à Alger. Je suis retourné en France à la Rochelle pour y faire une école d’ingénieur et de commerce afin de me spécialiser dans un métier un peu plus technique. Mon premier poste a été au sein de Gem Alto, une entreprise qui crée des cartes à puces.J’étais dans le marketing et la recherche et développement (R&D). J’aidais des ingénieurs à concevoir et vendre des démonstrations pour les clients.
A titre personnel, vous êtes aussi chercheur, vous avez de nombreuses publications à votre actif et vous dispensez des cours aux étudiants en pharmacie. C’est pas mal pour un seul homme ?
Je suis effectivement co-inventeur de deux brevets de solutions dans la santé. J’ai quinze publications à mon actif et j’interviens à l’université de pharmacie de Chatenay Malabry et de Montpellier. Avant d’arriver dans l’innovation, avec mon background en école de commerce, j’ai cru que cela n’était pas fait pour moi. J’ai toujours voulu faire un retour d’expérience pour les étudiants. C’était intéressant de se frotter à eux et de leur montrer que toute personne peut avoir un rôle à jouer dans cet écosystème dynamique qui se crée.
A partir de quel moment vous êtes vous décidé à créer Kapcode?
Les fondateurs de Kappa Santé l’ancêtre de Kapcode s’intéressaient aux innovations, aux réseaux sociaux et à la façon d’analyser du texte d’un point de vue médical. Je suis arrivé dans l’équipe avec la volonté de mettre sur le marché leurs produits. Petit à petit, j’ai dirigé l’équipe marketing et R&D. Puis, on a lancé cette entité Kapcode afin de créer une entreprise dédiée à ces activités là.
Vous parlez de l’analyse des données sur les réseaux sociaux. Kapcode traite 250 millions de messages et plus de 500 médicaments. C’est un gros travail !
Nous en sommes effectivement à 250 millions de messages analysés. Que ce soit sur les forums de discussion ou sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens partagent leurs expériences. Ils essaient d’avoir des conseils avec une communauté autour d’eux. Cela crée du texte et des millions de messages qui sont captés par notre solution. Ces chiffres sont tout à fait normaux vis à vis de notre problématique. Cela fait plus de cinq ans que l’on travaille dessus. Cela explique ces millions de messages captés.
Quelles sont les solutions que propose votre société ?
Nous avons deux activités produits et une liée aux services. Une qui analyse les réseaux sociaux. Nous en avons une autre liée au développement de solutions numériques dans l’asthme avec un objet connecté. Il permet de traquer les prises de médicaments des patients afin que le professionnel de santé ait un retour objectif sur les événements du patient. Nous avons aussi la solution W’asm. C’est un produit qui permet d’éduquer le patient sur la manière de prendre son traitement. On a une dernière activité qui aide nos clients de l’industrie pharmaceutique à concevoir, à développer et à mettre en production des outils numériques qui répondent à des besoins métiers qu’ils ont identifié mais qu’ils ne savent pas forcément faire en interne.
Beaucoup de personnes malades sont âgées. N’est ce pas compliqué de leur mettre entre les mains toute cette technologie?
Cela dépend des problématiques. Sur la partie respiratoire, on travaille sur l’asthme. C’est une population qui est plutôt jeune. En revanche dans la BPCO (broncho pneumopathie chronique obstructive), ce sont des patients plus âgés qui sont un peu moins habitués au numérique. On se rend compte toutefois d’après les études que ce n’est pas forcément le cas. Il y a aujourd’hui tout un mouvement dans la Silver Economie (l’économie des Seniors). Il y a plein d’outils qui marchent très bien et qui sont adoptés. Il y a de l’intérêt pour ce type de solutions même pour des populations un peu moins connectées.
Sur votre site, on peut lire que votre démarche est « patient centric ». Qu’est ce que cela recouvre?
Historiquement, je viens des télécoms et pas de l’industrie de la santé. Dans ce secteur d’activités, il y a une démarche pour mettre le patient au centre des préoccupations. C’est à la fois très vertueux et trivial. C’est l’enjeu de toute l’industrie. Notre volonté avec cette analyse des réseaux sociaux, c’est de pouvoir écouter et comprendre ce que vivent au quotidien les patients afin de mettre à disposition ces informations aux différents acteurs. Le but est que leur prise en charge, leurs questionnements et leurs difficultés, au jour le jour, soient pris en compte par les acteurs de la santé.
Qui sont vos clients?
On travaille avec les autorités de santé françaises, avec des unités de recherche comme l’Observatoire Français des Médicaments Antalgiques. On a aussi les laboratoires pharmaceutiques (Sanofi, MSD). On a été récemment sélectionnés dans un programme avec Astra Zeneca et Microsoft. On a des acteurs divers autour de nous. Pour résumer, je dirais à 80% l’industrie pharmaceutique et à 20% la recherche publique ou les autorités de santé.
Vous êtes en train de créer une filiale aux Etats Unis. Pouvez vous nous en parler?
Nous en sommes qu’au tout début. On a été sélectionnés , avec neuf autres start up françaises, par Business France. C’est un programme qui permet d’évaluer les entreprises qui sont à même d’aller sur le marché américain.On est partis en road-trip il y a un peu plus de trois-quatre mois pour évaluer l’appétence des clients et la spécificité de ce marché. On a eu pas mal de retours positifs. Nous sommes dans la phase de création de cette filiale parce que c’est un gros marché dans le secteur de la santé. On veut y aller de manière assez optimale. Parallèlement, on est en période de levée de fonds pour pouvoir structurer cette entreprise aux Etats Unis.
Vous travaillez en France.Vous allez bientôt attaquer le marché américain. Etes vous tenté de démarcher l’Algérie?
Il y a forcément un intérêt de par mon adn et mon parcours personnel. Les problématiques sont communes partout dans le monde. Il n’y a pas de raison que cette démarche ne fonctionne pas pour les patients algériens. Aujourd’hui, c’est difficile pour de multiples causes. Nous faisons de l’analyse de texte. Il y a une dimension linguistique assez forte. Il faudrait adapter nos algorithmes et nos connaissances à la spécificité des textes des Algériens. Avec les chiffres utilisés, les mots en arabe et en français, ce n’est pas très simple.Mais c’est faisable. Il y a donc cette première barrière. Par ailleurs, je n’ai que quelques connaissances dans l’industrie pharmaceutique. Cela dit c’est forcément une volonté. Je ne la perdrai pas avec le temps.
Au delà des ces handicaps, quels seraient les autres freins pour investir en Algérie?
Je n’ai pas eu de projet concret d’investissement en Algérie. Ce que je perçois, ce sont des difficultés liés à l’environnement qui peut être changeant. C’est assez compliqué d’établir une qualification quand on sait que cela peut changer à tout moment dans les domaines législatif, politique, concurrentiel…. De plus, le marché algérien est spécifique. Il est différent des autres marchés. Comme pour les Etats Unis, même si on a l’impression de bien connaitre c’est assez particulier. Malgré mes connaissances personnelles, on ne le connait pas assez pour se lancer de manière optimale.
Vous faites partie de cette diaspora dynamique. Comment celle-ci peut elle être utile à cette nouvelle Algérie qui est en train de naitre?
Cela fait quelques années que j’essaie de m’intégrer à différentes initiatives concernant la diaspora en France. Je pense qu’il y a déjà un enjeu de consolidation de celle ci à l’étranger. Il y a différents canaux qui sont morcelés. Je vois cela comme un vecteur pour connecter cette diaspora avec les Algériens au pays. Personnellement, je donne des cours en France à des étudiants sur l’innovation et l’analyse de données. Je trouve dommage que cela soit compliqué à faire en Algérie. Avec des initiatives, un écosystème construit et une volonté commune, cela permettrait d’avoir une connexion plus forte entre l’Algérie et la diaspora. Je pense qu’ il y a plein de gens qui sont dans cette démarche en France, en Angleterre, en Allemagne et un peu partout dans le monde. Beaucoup de personnes veulent apporter leur retour d’expérience. On manque de cela. Concrètement, j’ai des amis qui ont leurs petits frère ou soeur qui viennent en France et qui sont totalement paniqués à l’idée de ne pas pouvoir réussir parce qu’ils se disent que ce n’est pas le même niveau. Si on avait ces retours, on se rendrait compte que ce n’est pas plus complexe. On est armés pour réussir quel que soit l’environnement. Si j’avais eu ce retour d’expérience d’une personne plus âgée, on m’aurait dit que dans l’innovation il y a plein de gens qui ne sont pas forcément ingénieurs ou informaticiens et qui peuvent apporter à des projets.
Ne faudrait il pas qu’il y ait au sein des diasporas des structures d’accueil de ces jeunes qui débarquent d’Algérie sans réseau?
Il y a des groupes Facebook comme Lacaf (la communauté des algériens de France ) ou l’association Atlas qui font du travail autour de l’accueil de ces populations. Je crois même qu’ils aident au financement de formation à l’étranger. On a des initiatives individuelle ou collective mais à un niveau restreint. Je suis abasourdi de voir le nombre d’Algériens qui ont de très bons postes et de grandes responsabilités dans l’industrie pharmaceutique. J’étais à mille lieux d’imaginer que c’était aussi développé. On peut se dire que si toutes ces personnes ont réussi, pourquoi pas moi? Il y a des formations à mener. Il faut des initiatives collégiales et une vision transversale. Il faut arriver à fédérer tout le monde. Il faut qu’il y ait un réseau de la diaspora partout dans le monde et qui soit connecté. Tout cela prend du temps.C’est une démarche qui peut être vertueuse dans les deux sens.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk