Ingénieur en électronique et informatique, Oussama Slimani a décidé de prendre un virage à 180 degrés en se lançant dans l’entreprenariat en Algérie. Le jeune Franco-Algérien a créé dans sa ville d’origine Bordj Bou Arreridj Dar Slimani, une boutique où la qualité du terroir algérien est mise en valeur. Entretien avec un chef d’entreprise éco-responsable.
Vous avez décidé d’investir en Algérie ( à Bord Bou Arreridj ) au printemps 2019 en créant la boutique Dar Slimani. Qu’est ce qui a motivé ce choix?
Je m’intéresse beaucoup à l’hygiène de vie, à la nutrition, à l’agriculture et surtout à l’écologie.Le point de départ a été la lecture d’un article sur le régime méditerranéen. Il vantait les avantages de ce mode de vie lié à la nutrition et à son aspect social. Beaucoup d’études anglo-saxonnes ont prouvé les bienfaits au quotidien de cette alimentation et de ce type de vie. Or, l’Algérie regorge de produits de qualité grâce à ses différents climats. Je me suis dit que ce serait dommage que les Algériens ne se rendent pas compte qu’ils vivent sur ce type de territoire. J’y ai vu une opportunité.C’était donc l’occasion de me lancer dans l’entreprenariat en faisant profiter les locaux et notamment ma famille. Par ailleurs, j’essaie de travailler sur le complexe d’infériorité qui malheureusement existe chez beaucoup de nos compatriotes. Par exemple, les Bordjiens sont très friands de produits importés qui pour la plupart du temps sont de piètre qualité.J’aspire donc à redonner confiance aux produits algériens au profit de tous.
Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans la vente de produits bio ?
S’il s’agit de parler de la norme internationale qui exige une certification et un logo, nous en sommes encore loin en Algérie. Afin de ne pas induire le client en erreur, je préfère parler de « produits naturels du terroir ». Je me suis lancé dans cette aventure car je suis un grand amateur en France de produits bio. J’essaie de comprendre les avantages en termes nutritifs et les différents aspects sociaux de ces produits. Est-ce éthique? L’agriculteur sera-t-il payé décemment? On travaille en direct avec des agriculteurs ou des producteurs. Nous essayons de faire en sorte que le produit soit le plus naturel possible avec le maximum de transparence quant aux ingrédients qui entrent dans sa composition. Cette notion n’est pas encore totalement comprise en Algérie. Je fais aussi un travail d’accompagnement, de conseil et d’échange avec la clientèle et les fournisseurs.Je dis souvent aux clients, qui sont en droit de demander tous les détails du produit, qu’il faut y aller petit à petit. Il le faut pour faire avancer la cause du bien être.
Peut-on dire qu’il y a un travail d’éducation à faire en amont et en aval?
Je ne suis pas compétent pour faire ce travail d’éducation qui doit démarrer très jeune et se poursuivre sur plusieurs décennies Cela prend du temps. C’est ce qui se passe en France. Il y a quelques années, le bio était un marché de niche. Maintenant cela se développe à grande vitesse dans les centres commerciaux, les marchés.Au début, j’étais dans une démarche utopique avec les agriculteurs et les producteurs. On pensait améliorer le quotidien des gens en redonnant une bonne image du produit algérien. Mais cela ne marche pas avec la majorité des fournisseurs qui essaient de survivre au jour le jour. Aujourd’hui, ma démarche est de faire connaitre les produits en faisant en sorte que les agriculteurs gagnent de l’argent car leurs produits le méritent. Même s’ils sont plus chers, je fais tout pour les vendre. Par rapport à ce qui est importé, il y a les aspects sociaux et les bénéfices pour la santé.Cela n’a pas de prix !
Pensez vous que le public algérien soit aujourd’hui mûr pour dépenser plus pour sa santé?
Le public algérien est très dépensier. Le premier poste de dépense est alimentaire. Il y a une part de marché à prendre mais l’Algérien est encore dans une mentalité de quantité au détriment de la qualité. Soit la famille est nombreuse, soit il a été éduqué comme cela ou soit il n’a pas le recul pour faire la différence entre le bon et le moyen produit.Il y a des personnes qui rentrent dans le magasin, n’achètent rien et sont négatifs. Ils se disent à quoi cela sert de payer 20 à 30 % plus cher un produit algérien comme les céréales. On leur explique que ce n’est pas parce que cela vient de l’étranger que c’est meilleur. Pour faire changer les mentalités, il faut que tout le monde y participe.
Comment s’organise la prospection des produits que vous commercialisez?
Quand on débute, cela se fait par le bouche à oreille. Je suis allé voir Monsieur Malek qui gère la Maison du terroir sur Alger. Nous avons discuté. Il m’a conseillé et donné des contacts. Cela m’a vraiment motivé. Dans ce milieu, il y a beaucoup de gens passionnés qui sont dans le partage d’information. Je remercie aussi Karim Tedjani qui anime le blog écologique Nouara. Il m’a aussi aidé et mis en relation avec pas mal de personnes.J’ai également fait pas mal de recherches sur internet et sur les réseaux sociaux.Avant de vendre mes produits, avec ma femme, nous les avons essayés pendant un an. Nous avons testé leur durée de conservation. C’est une information très importante pour la clientèle. La plupart des produits que je vends sont sans traitement phytosanitaire et sans conservateur. Ils sont souvent emballés dans du verre. Ils ont tout pour répondre à la certification AB française.
Quand on se déplace chez Dar Slimani quels types de produits peut-on y trouver?
Un producteur de Hassi Messaoud me fournit de l’extrait de datte à froid.Son produit conserve la plupart de ses nutriments. Cela aide par exemple à la lutte contre l’hyper tyroidie. De Kabylie (Bouira), je ramène l’huile d’olive. Elle est extra vierge (taux d’acidité faible donc riche en polyphénols). J’ai aussi de la figue fraiche en été qui vient de Beni Maouche. Je vends aussi du miel de Bordj et notamment de jujubier. Il y a également du couscous roulé à la main de Kabylie, de l’orge, du blé sans traitement, du savon à base d’huile d’olive, des huiles végétales cosmétiques, du dentifrice en poudre….
Quels sont les produits qui rencontrent le plus de succès?
La figue et l’huile d’olive.Les gens reviennent aussi vers la cosmétique naturelle, aussi bien les hommes que les femmes. Certains sont curieux et ont du mal à croire que l’avoine que l’on commercialise provient d’Algérie. Dans leur imaginaire, c’est une alimentation pour le bétail alors qu’elle a des avantages pour la santé. Elle contient moins de gluten. Elle est plus complète. Elle nourrit plus que les autres céréales. Notre démarche est d’informer les gens sur les bienfaits des produits qui sont à leur disposition en Algérie. Il faut juste les faire connaitre. Ils n’ont pas besoin d’aller chercher des médicaments qui coutent très chers à l’étranger.
Y-a-t-il des demandes particulières du public?
Il y a une partie du public qui vient pour des problèmes de diabète, de colon, d’hypertension, de maux de tête…Cette clientèle a tout essayé en matière de médecine conventionnelle avec son lot d’effets secondaires. On essaye d’améliorer leur situation par une bonne nutrition. Par exemple pour un problème de digestion ou de colon, on va leur conseiller de manger plus de figues, des fruits de saison, des légumes (lentilles par ex). On ne fait pas de viande car la qualité a beaucoup baissé en Algérie. Il y a aussi des adolescents qui viennent nous voir pour des problèmes de peaux. On leur propose le savon adéquat. L’autre partie de la clientèle est composée de connaisseurs qui parfois nous donnent des conseils sur les produits vendus. La troisième catégorie est celle des curieux qui se demandent ce qu’il y a de spécial dans ce magasin qui vante les produits algériens.
De quelle manière vous faites-vous connaitre pour attirer un nouveau public?
Cela se faitVia les réseaux sociaux et par le bouche à oreille. J’essaie autant que possible de participer à des salons et des foires, pour connaitre les nouveaux produits et pour se faire connaitre. Il y a aussi un aspect social.Un acheteur sait que son argent profitera à quelqu’un de sa région et non à un importateur ou à un grossiste. Les personnes qui sont sensibles à cela vont nous faire de la publicité.
Sur votre page Facebook on peut lire la phrase suivante : « produits sains à des prix abordables ». Est ce important d’avoir une offre qui permette à toutes les bourses de consommer sainement?
Ma philosophie est la suivante : les produits du terroir doivent profiter aux Algériens. C’est leur terre. Ils y ont un droit. Je ne peux pas vendre 2000DA le litre d’ huile d’olive qui est consommée dans tous les foyers. Mon objectif n’est pas de m’installer dans un marché de niche. Toutes les catégories sociales viennent chez nous. Mes produits s’adaptent au portefeuille du consommateur. Par ailleurs, je suis un revendeur. La marge est acceptable mais le plus gros revient à l’agriculteur. Nous sommes là pour mettre en avant le produit.
Peut-on dire qui’l y a une forme de militantisme chez vous?
Je n’en suis pas encore là. Je suis assez pragmatique. Pour militer, il faut avoir une certaine crédibilité sur le terrain. Je commence à peine. Je fais des aller-retours avec la France.Ce n’est pas toujours simple de créer des liens avec les fournisseurs. J’y vais étape par étape. J’essaie surtout d’injecter un peu de professionnalisme dans des filières laissées à l’abandon. J’ai instauré un cahier des charges en faisant participer les producteurs à mon projet. S’ils le respectent, ils auront aussi une meilleure visibilité auprès des autres boutiques.
En tant que Franco-algérien, l’Algérie doit-elle s’appuyer sur sa diaspora qui à la fois est nombreuse et puissante économiquement ?
Il y a énormément de compétences, de motivation et d’argent en Algérie. Le seul problème, c’est qu’on ne leur donne pas les clés du navire, qu’on minimise leur travail ou qu’on traite les gens d’incompétents. La diaspora doit se poser la question suivante : si je n’investis pas dans mon pays, qui va le faire ? J’ai des amis Marocains, Tunisiens, Turcs ou Portugais qui ont investi dans leurs pays d’origine. Je me suis dit pourquoi n’en ferais-je pas autant? Les dirigeants ne font rien pour que les étrangers investissent. L’Algérie est un peu fermée. Il n’y a pas vraiment de compétences fraîches et les idées sont un peu arrêtées. L’Algérien qui a travaillé à l’étranger dans des projets internationaux peut apporter sa touche « business international ». Il n’y a pas mieux qu’un bi-national pour lancer une affaire au pays. Il faut créer des ponts et faire profiter les deux pays concernés. Il faut y aller à fond. Cet appel concerne aussi les autres Maghrébins. Il y a tout à faire dans tous les domaines. Les besoins existent. Il y a plus de 40 millions d’habitants. La démographie explose. Il y a un grand territoire avec beaucoup de terrains vierges. Il suffit d’un peu de moyens, des idées, du travail et de la motivation. Un peu d’amour du pays et les choses ne peuvent qu’avancer.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk