Femme au bord de la Méditerranée
© crédit photo/Salvatore Monetti

Journaliste et romancier, né en Algérie, Fayçal Chehat a décidé d’honorer la femme méditerranéenne en mettant à flot, sur la vaste Mare nostrum, son vaisseau numérique méditerranéennes.com. Un magazine généraliste qui se veut avant tout oecuménique et positif. Entretien avec un capitaine militant.


Pourquoi un site consacré  à la femme méditerranéenne? Quel peut être le point de vue d’un homme sur cette thématique?

Fayçal Chehat : Le choix d’un site sur les femmes méditerranéennes me tenait à coeur depuis de longues années même si cela fait dix-huit mois que je travaille sur le projet. J’ai toujours été très sensible à la place de la femme dans nos sociétés. J’ai grandi dans une famille où on était 3 garçons et 2 filles. C’était harmonieux dans une société où le rapport homme-femme n’était pas facile. Cette sensibilité existe peut être parce que j’ai vécu en Algérie avant de venir m’installer, vivre et travailler en France. C’était une société de fait masculine où il y avait une séparation entre les hommes et les femmes surtout dans l’espace public. Cela m’avait marqué. Quand je suis arrivé en France, j’ai découvert que la femme était présente à tous les niveaux de la vie sociale, politique, économique, culturelle. Cela a été un changement très important dans ma vie. D’ailleurs, c’est ce qui m’a incité à m’installer définitivement en Europe.Je me suis retrouvé dans un environnement qui me convenait mieux. Dans une société équilibrée où la présence féminine est aussi importante que la masculine. Même si en France et en Europe, il y a encore des efforts à faire. Cela a été important pour moi de voir qu’une société où la femme n’est pas présente dans la vie de tous les jours est une société affaiblie et même malade.

Qu’est ce qui vous a poussé à donner au site le nom de Méditerranéennes?

Je suis d’origine méditerranéenne.J’ai toujours été attiré par l’espace méditerranéen. Dans ma jeunesse, j’ai pas mal voyagé en Italie, en Espagne, au Maroc ou en Algérie. C’est mon espace de vie, d’histoire. Cette conception de voir la vie sociale est assez particulière à cette région du monde. Je pense que les gens se retrouvent dans cet espace civilisationnel commun. En faisant le choix d’un site sur les femmes méditerranéennes, je ne voulais pas qu’il y ait une séparation entre la rive nord et sud. Le projet est au contraire d’insister sur le lien d’unité et de solidarité dans cet espace. Particulièrement entre les femmes du Nord et celles du Sud.

Visez vous un public en particulier?

Notre projet est d’intéresser les femmes de toute cette région. Sur le plan éditorial, nous   comptons faire appel à beaucoup de femmes. À terme, ce sont majoritairement elles qui collaboreront à la réalisation du contenu éditorial. Nous voulons avant tout que des femmes s’expriment sur les femmes. Le pouvoir sera féminin. On traitera de l’actualité sociale, culturelle, sportive etc…

Que pourra-t-on y trouver?

On donnera beaucoup de place à la prise de parole qui passera par de grands entretiens avec des personnalités diverses.L’histoire et le rôle des femmes dans cette région seront très importants. On fera des reportages in situ, c’est à dire sur le territoire des personnes. On essaiera de réaliser des entretiens croisés entre des femmes de pays différents afin d’encourager l’échange.

Vous avez décidé de faire un magazine positif. Associez vous l’image de la femme à cet état d’esprit?

Tout à fait. Surtout à l’époque actuelle où le débat sur la place de la femme est de plus en plus récurrent. On sent que la femme est en position de forcer son destin et qu’elle veut prendre la place qu’elle souhaite avoir dans la société.On est dans une période où les idées fleurissent. Il y a beaucoup de choses qui se passent à travers le monde.On va essayer de faire ressortir des exemples de réussite, de femmes qui se battent pour encourager celles qui n’ont pas les moyens de se faire entendre. On souhaite aussi aller débusquer les petites expériences méconnues ou cachées de celles qui luttent à leur échelle dans leur région.

Vous dites que ce bassin (encore un terme lié à la femme et à l’accouchement ) méditerranéen a accouché de grandes civilisations mais que la Méditerranéenne a été un peu l’oubliée de l’Histoire…

Nous ne sommes pas les premiers à le penser. Les femmes se sont toujours battues même dans les sociétés fermées.En Algérie, elles ont joué un rôle important dans certaines avancées même si à chaque fois elles n’ont pas profité des fruits de leurs batailles. La suprématie masculine a repris tout le  pouvoir et a  renvoyé les femmes à l’arrière cuisine.

Il y a pourtant le mouvement du Hirak qui a redonné cette place à la femme algérienne…

Il le lui a donné pendant que le mouvement existait.Malheureusement, il a été bloqué par la pandémie.On peut être optimiste mais pas certain du résultat. Ce qu’on avait en 2019, on l’avait déjà vu pendant la guerre d’Algérie.Pendant la guerre de libération elles ont été dans les rues, elles avaient rejoint les maquis. Elles ont aussi été massacrées. Elles étaient dans la lutte. Il faudra qu’elles continuent de se battre.Quand les combats ont été gagnés, elles ont été repoussées. J’espère que ce ne sera pas un bis repetita avec cette nouvelle expérience.Il faut rester méfiant.

Dans votre projet éditorial vous comparez la mer Méditerranée à une grande tablée autour de laquelle il y a 21 convives. Y a -t-il l’idée de rapprochement qui sous-tend votre projet?

C’est une tablée avec une grande famille. Même dans une famille on peut avoir des personnes qui ne s’aiment pas, qui sont divisées par les intérêts particuliers. C’est une terre où il y a eu beaucoup de violence. Nous pensons qu’un rapprochement et une unité sont possibles. Qu’on le veuille ou pas, ces peuples partagent quand même un héritage commun à savoir l’histoire, la façon de vivre, de cette mer qui est un passage obligé. Les femmes peuvent être celles qui vont réunir tout le monde autour d’un même projet.

La grande bleue borde trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Quelle place compte accorder le magazine aux femmes non européennes ?

Notre média  n’est pas fermé aux autres femmes du monde. Les expériences en Amérique du Sud, en Asie ou aux Etats Unis peuvent servir les femmes méditerranéennes et vice-versa. Le combat féminin est universel.

Vous  écrivez qu’il y a eu un glorieux passé mais que l’avenir est plus prometteur. Qu’est ce qui vous porte à être aussi optimiste?

Si on n’est pas optimiste, on n’a plus de projet. Ce combat là qui permettrait aux femmes de participer, de prendre plus en plus leur place dans la gestion des affaires du monde, je pense que cela va apporter un changement de mentalité, d’équilibre.Peut être que l’arrivée au pouvoir des femmes dans nos sociétés apportera une plus grande ouverture et une belle dose d’optimisme.

« La femme avenir de la Méditerranée », c’est un peu votre slogan, quelle place aura ce dernier dans votre media?

Il aura sa place. On fera en sorte qu’il y ait dans ce magazine un dialogue entre les hommes et les femmes. On fera parler les hommes dans les rapports qu’ils ont avec les femmes – leurs soeurs, leurs mères, leurs compagnes, leurs filles -, et comment ils voient le rôle  de ces dernières dans la société. Les femmes qui s’exprimeront, ce ne sera pas pour faire la guerre aux hommes. On dit toujours qu’il y a une femme derrière un homme qui réussit. On va essayer de raconter ces hommes qui accompagnent les femmes sur le devant de la scène.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk