Fondateur de la marque Ears 360, une solution simple, écolo et universelle pour nettoyer les oreilles sans les mettre en danger, Youcef Abdaoui s’est donné pour mission de bouter hors de nos conduits auditifs le centenaire et néfaste coton tige. Primé pour son invention au concours Lépine 2021, le chef de projet en informatique a accepté de nous raconter l’histoire de ce petit bout de silicone qui pourrait bien révolutionner nos habitudes. Entretien avec bienfaiteur du genre humain.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pourriez vous présenter ?

Youcef Abdaoui : Je suis le fondateur de la marque Ears 360, la révolution pour se nettoyer les oreilles.Je suis ingénieur en informatique de formation avec une expérience de 12 ans dans ce milieu.Je fais aussi du consulting, en tant que chef de projet en informatique, pour des sociétés. Depuis que je suis petit, je suis un observateur attentif des innovations et des nouvelles technologies. Ears 360, c’est un peu mon histoire personnelle.Quand j’étais tout jeune et que je me nettoyais les oreilles, je m’enfermais à double tour dans la salle de bain de peur qu’on me tape le coude et que le coton tige me blesse. En grandissant, je me suis aperçu qu’il était aussi mauvais pour la santé. D’ailleurs, les ORL le déconseillent fortement en raison notamment des accidents domestiques.Il s’avère aussi que le nettoyage au coton tige n’est pas du tout efficace puisqu’il tasse le cérumen au lieu de le retirer.

Comment votre solution a-t-elle germé dans votre esprit?

Il y a eu la fameuse loi de la biodiversité qui a été votée et mise en application en France, dès le 1e janvier 2020.Elle consistait à retirer du marché les plastiques à usage unique comme les pailles dans les fast food, dans certains gobelets ou dans les cotons tiges.C’est à ce moment là que je cherchais des solutions pour les oreilles. Je les ai toutes commandées.J’en connaissais quelques unes qui ne m’avaient pas convaincu. Je me suis dit que si le coton tige du futur devait être revisité, il ressemblerait à une tête en forme de spirale, en s’appuyant sur la vis d’Archimède, avec une souplesse et une butée qui empêcherait d’aller trop loin.Un peu comme un tire-bouchon.Je l’ai dessiné. Je me suis rapproché d’une société qui me l’a prototypée, en silicone assez rigide. Je l’ai testée.J’ai vu que cela fonctionnait mais je n’étais pas optimal en termes de dimension. 

Quels sont les problèmes que vous avez résolus pour aboutir au produit final?

Cela a été difficile au niveau de la conception et dans la légitimité que j’avais à développer un produit qui normalement relève d’un audio-prothésiste, d’un ORL ou d’une personne issue de ce milieu. Je me suis demandé si je devais prendre rendez vous chez un ORL et le faire tester. J’ai pensé que ce serait finalement fastidieux. J’ai donc décidé d’aller au dessus et de prendre contact avec le syndicat des ORL. Le président de l’époque, Jean Michel Klein m’a reçu.Il m’a rassuré en me disant que ma solution était plutôt bien pensée puisqu’il y avait une butée qui empêchait d’aller trop loin et une tête en spirale qui s’adaptait bien au conduit auditif, qui est plus ou moins incurvé selon les individus, et qui récupère le cérumen au lieu de le repousser. Je suis arrivé avec une version un peu trop épaisse. Il m’a dit qu’il fallait que cela fasse 2 centimètres, et que ce soit plus souple. C’est à ce moment là que je me suis rendu compte qu’il fallait que je me concentre sur cette solution car le syndicat me donnait le feu vert. 

Combien de temps vous a-t-il fallu pour finaliser cette solution?

Cela m’a pris presqu’une année.L’accompagnement du syndicat m’a permis d’avancer avec sérénité et de gagner énormément de temps.

En quelle matière est-elle conçue?

C’est de l’élastomère. C’est assimilé à du silicone.Le grade que j’ai choisi est un « skin contact » qui n’agresse pas la peau des personnes qui souffrent d’allergie pour certains produits.

A quelle fréquence doit-on l’utiliser pour que cela soit efficace?

Tous les jours pour les personnes qui sécrètent anormalement de cérumen. Je conseille de l’utiliser après la douche quand le conduit est humidifié. Ce matériau en silicone procure également un effet massage. 

Avant de vous lancer dans cette aventure, disposiez vous de données concernant l’hygiène auriculaire des Français?

Je n’avais pas forcément besoin de partir de statistiques parce que les Français se curent les oreilles après la toilette. Le plus difficile était de trouver l’approche pour présenter un nouvel usage. C’était l’enjeu. Il faut savoir que le coton tige existe depuis plus de 100 ans. Ce sont aussi des pratiques qu’on hérite de nos parents. Il y a eu très peu d’innovation en la matière.

Comment les ORL ont-ils perçu votre activité?

Dès le début, on a pris le taureau par les cornes en allant voir le syndicat des ORL, puis en participant à des salons. Les ORL déconseillaient clairement toutes les solutions qui s’introduisaient dans les oreilles. Ils ne nous connaissaient pas encore. Certains ne s’arrêtaient même pas, estimant qu’il ne fallait rien mettre dans l’oreille. D’autres venaient à notre stand.Ils avaient tellement pris l’habitude de voir des solutions inadaptées aux conduits qu’ils pensaient que Ears 360 poussait le cérumen et allait jusqu’aux tympans. Quand ils ont découvert le produit, ils l’ont trouvé intéressant. L’échange avec les 200 ORL s’est avéré très constructif. On a expliqué qu’on n’était pas là pour leur voler leur marché. On n’est pas là pour retirer les bouchons de cérumen. Il y a donc une vraie complémentarité. Quand on a fait le salon du Made In France ou le concours Lépine, on avait les bons mots pour rassurer les visiteurs.

Pourquoi le coton tige est-il néfaste?

Il n’est pas conçu pour s’adapter au conduit. Initialement, cela a été imaginé pour nettoyer le nombril du nourrisson. On peut potentiellement nettoyer l’entrée et le pourtour de l’oreille.En revanche, il n’est pas fait pour s’introduire dans le conduit auditif. Le coton tige va avoir tendance à tasser le cérumen et à favoriser la formation de bouchons. Il peut en outre blesser la personne en transperçant les tympans. Au niveau écologique, il y a des perturbateurs endocriniens pour blanchir le coton. A force d’être utilisé, il peut favoriser la formation d’otites et d’infections.Il fait aussi partie du top 5 des polluants plastiques que l’on retrouve dans nos océans. 

En quoi Ears 360 est-il sans danger pour la santé?

Il est sans danger car il y a la butée qui permet de ne pas atteindre les tympans.On n’a pas de risques de blessures.Il n’ y a pas le risque que me racontaient certains ORL de voir certaines personnes accoudées se perforer accidentellement les tympans, voire l’oreille interne. En outre, notre solution empêche préventivement la création de bouchons de cérumen.Cela peut être dangereux quand on pratique la plongée ou qu’on voyage. Quand le bouchon se forme, c’est déjà trop tard. On conseille d’aller voir un ORL pour se le faire retirer.

Vous avez lancé votre affaire quasiment avec la Covid-19. Cela a dû compliquer un peu plus les choses?

J’ai créé mon entreprise juste avant le début de la crise sanitaire. Je sortais d’une campagne participative « Kickstarter » avec une vidéo sur une plateforme. Le produit n’existait pas mais nous avons reçu 1000 commandes, soit 50000 euros de commandes qu’on devait honorer sur un produit qui n’était pas industrialisé.C’était une première victoire et un premier challenge.L’argent nous a permis de nous protéger en déposant les brevets, en créant le moule et la société. Début 2020, on est passé sur Europe 1.Le produit était un peu nouveau. On annonce à ce moment le lancement d’une campagne participative sur Ulule. Et là arrive la Covid-19. On n’a pas bénéficié de subvention. On n’était pas loin de mettre le projet en stand-by. Il a donc fallu que je tienne financièrement jusqu’à ce que la situation s’améliore. 

Vous avez été seul?

Oui. Je n’ai pas trouvé de partenaires qui auraient pu être complémentaires.L’idée n’était pas de s’associer mais d’être complémentaires financièrement et dans les idées. 

Par rapport à ce qui existe sur le marché, quelle est la valeur ajoutée de votre produit?

Ears 360 été pensée au millimètre près pour s’adapter à tous les conduits auditifs. On a d’ailleurs été primés au concours Lépine, qui met à l’honneur les inventeurs du monde entier, lors de la 121ème édition, en 2021.C’est une solution souple avec une tête en forme de spirale. Quand on l’introduit et qu’on tourne, on est dans la phase de nettoyage. Le cérumen va venir s’entourer autour de la spirale dans la zone de 2 centimètres, le tiers externe, qui le sécrète. En termes d’efficacité, cela retire 97% du cérumen. Le conduit auditif doit conserver un peu de cérumen pour être hydraté. Cette petite couche est aussi un anti-bactérien et un répulsif pour les insectes. Cette partie stérile joue un rôle dans le corps humain. Si on frottait toute la paroi, cela enverrait un signal au cerveau laissant entendre que la zone est sèche et qu’elle nécessite la sécrétion de cérumen. 

De quelles manières vous faites vous connaitre?

On n’hésite pas à aller toquer chez des distributeurs. On s’est aussi aperçus qu’on pouvait travailler main dans la main avec les acousticiens tel que Aflelou, General d’Optique ou Grand Optical.On a le même intérêt qui est d’avoir un conduit auditif bien propre.Ils proposent des appareils auditifs conçues pour entrer dans l’oreille ou pour l’entourer. Il ne faut pas que leurs clients aient les oreilles obstruées par du cérumen. Les acousticiens ont compris qu’on était censés travailler ensemble. C’est un axe qui était un peu négligé car on était focalisés sur les pharmacies. On rencontre aussi des partenaires potentiels sur les salons ou sur les congrès de pharmacien. Sur les réseaux sociaux et sur notre site (https://ears-360.com/), on fait aussi beaucoup de pédagogie.

Où en sont les ventes aujourd’hui ?

On a enfin pu les stabiliser en créant un site internet qui existe depuis un an environ. On peut avoir en moyenne 20 à 30 commandes par semaine qui peuvent se trouver dans des packs de 2 ou 4 unités. On a un produit unique mais cinq couleurs différentes.

Quelle est l’étape d’après?

C’est d’être présent partout en France et de ne pas se limiter à l’hexagone. On aimerait se faire connaitre à l’étranger afin que chaque foyer utilise Ears 360. Aujourd’hui, on est propriétaire des moules mais on passe par un prestataire français, basé à Saint-Arnoult en Yvelines, pour la fabrication car ils ont le savoir faire en termes d’injection.L’idée, c’est aussi d’avoir notre propre usine pour pouvoir fabriquer nos produits en toute autonomie. Ears 360 s’adresse à tout le monde à partir de 7 ans mais on aimerait aussi développer une version infantile.Elle est pensée mais pas encore modélisée. On veut bien faire les choses sans bruler les étapes. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk