Quand il n’est pas face à son ordinateur à alimenter son site Mediterranéennes.com ou à noircir les pages de son prochain roman, Fayçal Chehat hume cet air parisien fécond et inspirant qui déclenche chez lui l’envie d’écrire des textes qui parlent à notre sensibilité. Fin 2023, l’écrivain algérien a eu la bonne idée de compiler une cinquantaine de ses nouvelles et de ses poèmes dans un recueil intitulé : « Il paraît que la vie fait bien les choses » (disponible sur en versions papier et numérique sur Amazon.fr). Entretien avec un guetteur d’émotions.

« Il paraît que la vie fait bien les choses ». Un titre positif pour votre recueil de nouvelles. Peut on dire que votre dernier opus est un diffuseur d’optimisme?

Fayçal Chehat : Attention! N’oubliez pas la mention « Il paraît ».C’est-à-dire que rien n’est sûr et que le contraire est possible aussi. En fait, ce titre est à l’image du concept de ce recueil. Laisser le choix au lecteur. Le choix d’aimer ou de ne pas aimer. Les textes sont offerts sans ordre préétabli.En tournant une page, il peut passer d’une histoire triste à une autre joyeuse ou drôle. D’un poème d’amour à un drame social. Bref, comme je l’exprime dans le texte d’introduction. (« Cette respiration raconte, sans prétention, l’amour, la passion, les douleurs, la beauté et la laideur du genre humain, les révoltes et les lâchetés, les destins contrariés, les hasards heureux.  Elle décrit la vie telle qu’elle est, avec ses lumières apaisantes et ses ombres parfois inquiétantes. Les textes que je soumets à ceux qui veulent bien les lire ont été écrits il y a quelques années ou hier seulement. Pas de hiérarchie ni de chronologie. On pourra y picorer comme dans un buffet ouvert à tous les passants »).

Cela a-t-il été facile de choisir 50 textes ?

Pour certains, que j’aime profondément, ce fut facile. Mais comme j’avais 85 histoires disponibles, j’ai dû faire un choix. Je suis sûr d’une chose, ceux qui sont restés sur le quai de la gare sauront attendre patiemment le prochain train.Je l’espère en tout cas. Je vais tout faire pour qu’il soit au rendez-vous.

On vous connait surtout pour vos romans. Est-ce différent d’écrire des nouvelles ? 

Oui, c’est vraiment différent. Je pense, et je ne suis pas le seul dans ce cas, qu’il est bien plus difficile de réussir une nouvelle. Le texte bien plus court, la nouvelle a des exigences fortes. Elle doit réunir tous les bons ingrédients de la narration efficace dans un espace et temps réduits. L’originalité, le suspens, l’explosivité, des temps forts et une bonne chute.

Comment décririez vous l’exercice ?

Pour en avoir écrit un certain nombre dans ma carrière de journaliste, je compare la nouvelle à l’éditorial. Peu de mots, mais bien choisis.Peu de mots, mais placés là où il le faut. C’est ainsi qu’ils font la différence.Si je dois faire une autre comparaison, cette fois avec une discipline sportive que je pratique et que j’adore, l’athlétisme, la nouvelle est au roman ce que l’épreuve du 800 m ou du 1500 m est au 10 000 m, voire au marathon. Puissance et intensité pour les premières, et endurance et gestion intelligente des temps faibles pour les deux autres.

Qu’est ce qui déclenche chez vous l’idée de créer une nouvelle ?

Le processus, avant tout. Un roman c’est le temps long, une passion au long cours avec un accouchement souvent douloureux qui peut durer un an voire deux ans.Selon l’efficacité et la puissance créative de l’auteur. Alors que la nouvelle et le poème ressemblent à la journée d’un chasseur. Le « gibier » est partout. Mais le débusquer est souvent le fait du hasard. Un sujet susceptible de donner vie à une nouvelle ou à un poème, on peut le rencontrer au coin de la rue si l’on est citadin.À condition que l’on soit attentif, l’esprit en éveil et curieux des choses de la vie et du monde. 

Dans votre avant-propos, vous parlez de « respirations ». Est-ce un besoin vital pour vous ?

Oh que oui ! J’y pense tout le temps et partout.En marchant, en courant, en regardant une émission ou un film.En me promenant dans les rues et ruelles de la cité.Mon esprit est toujours en éveil. Parfois, il ne se passe rien, puis, soudain, la pépite, un petit éclair, viennent tout bousculer. Un exemple ? Un jour, alors que je me trouve sur un trottoir du boulevard Raspail, et que je m’apprête à dépasser une femme qui tient son enfant de six ou sept ans par la main, ce dernier s’écrie: «  Maman ! Regarde, au dernier étage de l’immeuble, il y a un trompe l’oeil !. Erreur, il y avait bien un être vivant au coin de la fenêtre. Cela donne « Larme furtive* », la très courte nouvelle (ci-dessous) écrite une heure plus tard à la table du bistrot « Le Pick Clop » rue du Roi de Sicile non loin du Bazar de l’Hôtel de ville. Tous mes textes naissent ainsi. D’où le titre de la série « Petites nouvelles du monde réel » (ndlr, à retrouver sur la page Facebook de l’auteur). 

Vous parlez des autres et peu de vous.

Vous croyez ? Tout ce que j’écris trouve son essence dans ce que je vis, ce que je ressens, ce qui me réjouit et me fait mal, ce que je réussis et ce que je rate. Dans mes engagements, mes amitiés, mes déceptions, mes projets aboutis et ceux que j’ai ratés…Et en même temps, les autres font partie de moi, et moi je vis au milieu des autres et avec les autres. 

Y a-t-il un texte que vous affectionnez tout particulièrement ? 

Oui, je peux en citer au moins trois: « Vivre puis mourir d’amour », « L’incroyable océan de l’oubli » et « Impasses de la pensée ».

Qu’est ce que vous espérer apporter à votre lectorat ?

Vous savez ce qui me fait plaisir, m’enchante et me stimule ? C’est lorsque dans un commentaire une lectrice ou un lecteur me dit ceci :« Vous savez, j’aurais tant aimé écrire le texte que vous venez de partager ». Pour moi, cela signifie que je suis bel et bien connecté à l’Humain. 

Y aura-t-il une suite à ce premier tome ?

Je l’espère.Sauf si je m’égare ou que l’envie d’observer le monde tel qu’il est me quitte. C’est possible aussi.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

* « Larme furtive »

Un immeuble parisien. 

Décrépi, vieillot, 

historique pour certains. 

Je lève les yeux. 

Ils croisent d’autres yeux

Ceux d’un vieil homme. 

Décrépi,

Pour tout le monde,


Déjà hors de l’Histoire.


Moitié d’un corps immobile,

Derrière une vitre poussiéreuse, 

Cheveux neige,

Carcasse fragile,


Comme une feuille-morte


Immobile, l’homme a la main droite agrippée au rideau

Devant moi, passe un petit garçon

À sa mère, il montre la fenêtre du cinquième.


En riant

Il a vu une peinture en trompe-l’œil.


Il avait tort.


L’insouciant n’a pas vu l’essentiel,


La douleur et la solitude.


Derrière une larme furtive


Qui tombera tout à l’heure

Deviendra poussière,

Petite poussière de vie…