Journaliste de métier, Ysabel Saïah-Baudis a quitté la plume pour éditer d’autres plumes. A la tête des éditions d’Orients, depuis huit ans, elle oeuvre à travers la culture au rapprochement et à la compréhension entre les mondes occidental et oriental. Née à Alger, elle reste par ailleurs très attachée à sa terre natale d’où elle tire sa force vitale. Entretien avec une éditrice pas comme les autres.

Quel a été votre parcours avant de créer les éditions Orients?

Ysabel Saïah-Baudis : Je suis journaliste à la base. Ma vie privée a fait que par la suite, j’ai bifurqué. J’étais la femme de Dominique Baudis. Je suis partie à Toulouse. Je me suis donnée le pouvoir de travailler tout en étant mobile et nomade. Je me suis mise à l’écriture de livres. J’ai fait une biographie d’Oum Kelsoum. J’ai fait un travail sur les pieds-noirs car je suis doublement Algérienne par mon père Algérien et ma mère pied-noir.J’ai continué l’écriture tout en étant assistante-parlementaire de mon mari. Quand je suis venue m’installer à Paris il y a 10 ans, j’ai compris que je voulais aller dans des chemins plus restreints. J’a voulu faire éditer un livre de Hallaj qui s’appelle Chant d’amour.Les éditeurs classiques avec lesquels je travaillais, et en particulier Hachette, ne me suivaient plus. Ils trouvaient que c’était un travail de niche qui n’était pas assez populaire. Je me suis alors dit que je ne prenais pas beaucoup de risques en passant de l’écriture à l’édition. J’ai monté une petite structure il y a 8 ans. . Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas vraiment de maison d’édition dédiée à l’Orient positif, et à tout ce qu’il avait donné à l’Occident. J’ai pensé qu’il y avait beaucoup de travail à faire avec les tensions existantes. J’ai peut être la naïveté de croire qu’avec un livre, on peut un peu changer le regard des gens.

En quoi consiste le métier d’éditeur?

C’est d’avoir des idées. C’est être curieux et rigoureux. Ce sont les deux mots clés. C’est aussi de lire des choses, de sentir l’air du temps. Quand on lit un manuscrit, on se dit toujours si cela va plaire à un public. J’essaie de changer le regard des gens en montrant, à travers plusieurs formes, combien on doit les uns aux autres. Cela peut être un texte fondamental ou quelque chose de plus ludique et moderne. Par exemple, la jeune auteure du livre sur le poil m’a dit que c’était drôle de penser que la mode occidentale d’aujourd’hui est faite avec des hommes barbus et des femmes épilées alors que c’est très inscrit dans la civilisation arabo-musulmane.

Que peut-on trouver dans votre catalogue?

J’ai travaillé sur des textes fondateurs (Kalika et Dimna, Les 1001 nuits). Je viens de sortir Les amours d’Antar et Abla, la grande oeuvre qui vit toujours dans le monde arabe.Je l’ai fait illustrer par un jeune peintre tunisien. J’ai longtemps cherché le texte de Ferhat Abbas, le Manifeste du peuple algérien. Je ne l’ai pas trouvé dans le commerce. Je l’ai édité.C’est ma curiosité personnelle avant tout. Mon champ est assez large. C’est le regard qui m’intéresse. Parfois, les gens sont désorientés en pensant qu’on ne peut pas faire de la BD et les 1001 nuits. Ce n’est pas contradictoire. C’est complémentaire. Il y a une continuation.  

Que recherchez vous dans les projets que vous éditez?

C’est toujours un regard qui nous a apporté, qu’on ne connait pas et qui vient du monde arabo-musulman. C’est de faire connaitre d’une autre façon. Quand je ressors des iconographies anciennes qui viennent de ce monde là, alors qu’on pense que c’est un monde sans iconographie, je me dis que c’est bien. Sur le livre d’André Miquel, Kalika et Dimna, j’ai ressorti les illustrations qui sont à la Bibliothèque Nationale de France en montrant la façon avec laquelle les anciens arabes illustraient leurs livres. 

Une personne qui débuterait dans le métier d’écrivain pourrait elle avoir un chance d’être publiée par vos soins?

Oui. Je ne suis pas seule à juger car il y a un comité éditorial.Sur mon site, je fais un appel aux gens. J’ai déjà publié un auteur algérien qui m’a envoyé un roman que j’ai trouvé bon. Je suis demandeuse. C’est l’intérêt de ce métier. Je suis un petit éditeur sur un créneau particulier mais j’aimerais monter en puissance. J’ai édité à ce jour 35 publications. Je suis sûre que le public est là.

Vous avez publié le très instructif et drôle ouvrage de Salah Guemriche sur le Hirak. Qu’est ce qui vous a intéressé dans ce projet?

Tout ce qui touche à l’Algérie m’intéresse.Salah est un ami. Je trouvais très intéressant de dire qu’on suit ce mouvement inédit qui casse tous les codes et les images qu’on avait des Algériens.Son regard et son talent d’analyste de cette révolution unique m’intéressaient. Il l’a suivie sur les réseaux sociaux. J’ai trouvé formidable d’associer textes et images sur le quotidien du Hirak, sur cet instantané d’une révolution inédite. 

Est-ce que cela vous tient à coeur de parler de l’Algérie d’aujourd’hui?

Complètement.Tout ce qui touche l’Algérie m’est cher. Je suis très admirative de tout ce qu’ont vécu les Algériens et les Algériennes qui sont toujours debout.J’adore la façon avec laquelle ils ont su poser cette révolution que je trouve unique en son genre.Je leur dis : « Chapeau ». Cela faisait très longtemps qu’on n’avait pas eu de signes aussi positifs venant de l’Algérie. Ce civisme, cette vista, cet humour, ce coté international tout en étant Algérien. 

Vous allez régulièrement au Salon International du livre d’Alger (SILA). Qu’est ce qui vous plait dans ce rendez vous annuel?

C’est le salon dont on rêve. On voit l’engouement autour du livre. Les gens viennent vraiment faire leur marché avec leurs caddies. C’est très touchant. C’est un moment formidable pour moi. Je suis très heureuse de faire ce métier quand je vais au SILA.Chaque fois que je vais en Algérie, je suis émue. Je ressens la force de cette terre.Je me dis que tout mon travail, ma force, je les dois à cette terre. Je ne ferais pas ce que je fais, si je n’étais pas originaire et si je n’avais pas grandi là bas. J’ai conscience de ce que je dois à cette terre, et ce que les gens ne savent pas. Je me dis que si je pouvais un peu leur dire, j’aurais apporté ma petite pierre à l’édifice. Je suis reconnaissante à cette terre. Peut être que je fais des livres pour remercier ce pays.

Vous disiez vouloir monter en puissance à propos de votre structure. Avez vous pensé à vous implanter un jour en Algérie?

Cela serait intéressant pour moi. J’ai eu des débuts de projet. J’ai édité le livre d’Etienne Dinet, la vie de Mohamed. J’ai eu des propositions de maisons d’édition qui voulaient reprendre mes livres pour les rééditer et faire baisser les prix. Les histories de co-édtion sont toujours un peu compliqué à cause des prix. Elles n’ont pas abouti. Je n’ai pas trouvé de partenaire qui aille jusqu’au bout mais ce serait quelque chose qui me plairait beaucoup. Je garde espoir. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk