Jamil Rahmani Les Lorientales Prix littéraire
© Crédit photo/ Les Lorientales

Omar Taleb est médecin ORL à la retraite et fondateur du festival Les Lorientales. A 68 ans, le gamin de Maghnia passé par les bidonvilles de Colombes, avant de finir sa carrière chef de service à l’hôpital de Lorient, revient sur son parcours et sur le succès de son évènement culturel.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Omar Taleb : Je suis arrivé en France en 1955. Mon père était venu deux ans avant toute la famille. Il ne savait ni lire, ni écrire mais il savait compter. Il a dû se dire que ses enfants se devaient d’avoir une scolarité exemplaire. Il nous a donné beaucoup de coups de pied au derrière pour nous obliger à bien travailler à l’école. Beaucoup de mes cousins n’ont pas eu cette chance, et certains ont même sombré dans la délinquance. Sur les quatre frangins de la famille, il y a un ingénieur des Arts et Métiers, un en électronique et deux médecins dont moi qui suis devenu chirurgien ORL(Oto-Rhino-Laryngologie). J’ai fini ma carrière comme chef de service à l’hôpital de Lorient et président de la Société Française de Phoniatrie. Ma ville d’origine est Maghnia. Je suis retourné en Algérie en 2017 mais je me suis arrêté à Tlemcen car le temps m’était compté

Dans quelle ville avez-vous atterri à votre arrivée d’Algérie ?

Dans les deux ou trois premiers mois on a été accueillis par la famille. Nous avons été hébergés dans le bidonville de Colombes, Chemin de halage, près du pont de Bezons. On est restés très peu de temps. Nous sommes allés vivre dans une petite bicoque à Argenteuil. Les quatre frères dormaient dans la même chambre, sur des lits superposés en ferraille récupérés dans un surplus de l’armée sans doute ou dans une brocante. Nous n’avions qu’un poêle à charbon qui chauffait toute la maison, une cuisine commune et la chambre des parents. On ne manquait de rien. C’était une enfance quand même heureuse. Tout le monde avait du boulot en tant que cantonnier ou à la mairie de Colombes. Jusqu’à l’âge de huit à dix ans, je retournais toutes les semaines au bidonville car la plupart de mes oncles et tantes y étaient restés. Je prenais le bus tous les jeudis pour rejoindre mes cousins et cousines. On jouait au ballon ou dans des carcasses de bagnoles abandonnées, sur les bords de Seine. Je me rappelle d’accidents lors de ces jeux d’enfants.Certains sont tombés dans la Seine et se sont noyés.

Vous vous êtes établi à Lorient. Pourquoi avoir choisi cette ville ?

C’est un hasard. J’ai fait mes études à l’hôpital Cochin à Paris. Dans les années 70, il y avait encore le concours d’Internat, spécifique et facultatif alors qu’aujourd’hui, il est obligatoire pour tous étudiants en médecine. C’était le concours incontournable pour faire les spécialités. On avait le droit de choisir trois villes. J’avais visité quelques temps auparavant, avec ma 2CV (ndlr, voiture de marque Citroen), la Bretagne. J’avais bien aimé la région. J’ai donc choisi Paris, Bordeaux et la Bretagne où j’ai été reçu. J’ai fait ma spécialité d’oto-rhino-laryngologie au CHU de Nantes. Quand je l’ai terminée, il fallait trouver une ville pour travailler. Je voulais aller dans le service public. A l’époque, j’étais encore Algérien avec une carte de séjour. Les Algériens n’avaient pas le droit d’exercer en France en tant que médecin alors que les Marocains le pouvaient. Je devais aller à Vannes mais cela ne s’est pas fait. J’ai regardé où il y avait de la place. Il y en avait Lorient. J’y suis arrivé en tant qu’interne en 1984. Je n’ai quitté le service ORL que 31 ans plus tard au moment de ma retraite. 

Vous avez décidé de créer les Lorientales à Lorient même. Pouvez vous nous en dire plus sur ce festival?

Je suis ORL mais quand j’étais étudiant en médecine je rêvais de faire de la musique. Je voulais faire de la musique orientale en amenant des instruments électriques, des influences pop rock. C’était dans les années 75. Je n’avais pas de moyens. Mon ainé a en partie payer mes études. Longues et coûteuses, les études de médecine étaient à l’époque réservées aux personnes aisées. Les enfants d’étrangers passaient un CAP ou un BEP. Dans les lycées où on était, il y avait très peu d’arabes. A la fac de Cochin, on devait être deux ou trois sur 700 ou 800 étudiants. Les études étant très prenantes, entre les partiels et les concours d’internat. Je n’avais pas les moyens d’acheter des instruments de musique. J’ai laissé ce rêve de coté. Quand je suis arrivé à Lorient, j’avais du temps et une paie. J’ai acheté ma première guitare électrique. J’ai pris des cours. J’ai commencé à jouer et à rencontrer pas mal de personnes. J’ai fait beaucoup de jazz en petite et grande formations. Cela a duré une dizaine d’années. Mon désir, c’était quand même de faire de la musique orientale. J’ai pu en faire un peu mais cela s’arrêtait à des reprises de Khaled ou de « y a rayah » de Dahmane El Harrachi. Pour faire de la musique orientale, il faut un très bon percussionniste et quelqu’un qui chante en connaissant parfaitement les modes spécifiques à cette musique. On n’en trouve pas à Lorient. Cela ne s’est pas fait. Alors je me suis dit que je pouvais faire venir des musiciens, à Lorient. Les Lorientales sont venues de là. J’ai créé une association éponyme pour développer les cultures, les musiques et les traditions du monde oriental. En sollicitant des amis, on a pu réunir 2500 euros, plus 1500 euros de subvention du Conseil Régional. Avec cette somme, on s’est lancés. Pour le premier festival en 2010, on a fait venir Amazigh Kateb, Lassaad Metoui un calligraphe tunisien de Nantes, et Ahmed Djebbar – un ancien ministre algérien –  qui nous a parlé des sciences orientales. On a eu plein de monde. On a même fait un bénéfice de 250 euros. En Bretagne, il y a plein de festivals. J’ai réfléchi pour me démarquer de ce qui se faisait. J’ai donc eu l’idée de créer en plus, en 2011, un prix littéraire avec le libraire du coin et un jury populaire pour décerner un prix qui n’est pas qu’arabe mais oriental. Ce prix est désormais reconnu par la profession.

Les Bretons sont très attachés à leur identité.De quelle manière votre festival a-t-il été accueilli en pays celte ?

Il est bien accueilli sur Lorient mais en Bretagne, on n’est pas connu. Le seul media bretonnant qui me fait signe est la station Radio-Bro-Gwened de Pontivy. Elle m’invite chaque année pour parler de l’actualité Lorientales.

Vous écrivez sur votre site que « Lorient est le lieu et le cadre idéals sinon uniques » pour ce type de manifestation. Pouvez-vous développer ?

Lorient est une ville portuaire qui, de fait, est ouverte sur le monde. Elle a accueilli plusieurs migrations maritimes durant des siècles. Cette ville, au delà de ses liens avec la Compagnie d’Indes orientales qui lui a donné son nom, a aussi des liens avec l’Afrique du nord. Son histoire, son nom font à mon sens qu’il ne peut pas y avoir d’autres lieux en Bretagne pour faire ces Lorientales.

Le Covid-19 vous a empêché de tenir l’édition 2020 dans sa configuration habituelle. Quid de cette année?

On avait un concert prévu le 21 mai 2020, avec Jadayel qui était composé du quatuor à cordes français BELA et du Duo Sabîl, avec Youssef Hbeischaux aux percussions et Ahmad Al Khatib au oud. Cela devait se passer au Centre dramatique national de Lorient, un grand théâtre avec une jauge de 1000 personnes. J’étais la seule association du pays de Lorient à avoir intégré sa programmation. C’était une consécration. Cela a été annulé en raison du Covid. Cela n’a pas pu être reporté car le quatuor Bela n’était plus disponible. On n’a maintenu que le prix littéraire qui a eu lieu en octobre de la même année. Pour les 10 ans de l’événement, j’ai aussi fait un livre anniversaire qui est sorti le 12 décembre (Quand Lorient apostrophe l’Orient, chez Groix éditions ). C’est un témoignage de Maghrébins qui vivent dans le pays lorientais. Ils me racontent leurs parcours. J’ai aussi raconté mon histoire. Il y a également des témoignages de Bretons qui ont vécu en Orient ou des universitaires qui ont fui la décennie noire en Algérie. Dans ce livre ,qui rend hommage à la part orientale de Lorient, il y a un chapitre entier consacré à l’importation des vins d’Algérie à Lorient mais aussi de la poésie, des calligraphies et une riche et abondante illustration.

Avez vous prévu des nouveautés pour les prochaines éditions?

Cette année 2021, je maintiens le prix littéraire dont on connaitra le lauréat le 4 septembre (https://bit.ly/3uVE7V5). J’essaie de voir si je peux programmer des concerts en 2022. Je constate que les salles de concert passent en priorité tous les artistes qu’elles n’ont pas programmer. Je vais avoir des discussions avec des élus pour réfléchir à d’autres formes d’évènements en plein air afin de ne pas être dépendant de la programmation des salles. Ils ont l’air intéressé. Si ça se concrétise, on va créer quelque chose de très intéressant sur le pays de Lorient.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk