Exposition du collectif l"Oeil Artistique

Pour sa deuxième exposition intitulée Vision individuelle/vision collective, le collectif l’Oeil Artistique a décidé de s’aventurer en plein coeur de Kouba (Alger) en investissant, avec une vingtaine d’artistes, les locaux de Pi Relations, une agence de communication et de marketing. Commissaire de l’exposition et Professeur aux Beaux Arts d’Alger, Karim Sergoua a accepté de nous parler d’un événement qui s’installe de mieux en mieux dans l’espace artistique algérien.

C’est le deuxième événement qu’organise le collectif l’Oeil Artistique. Pourquoi avoir décidé de changer de lieu après celui de Boufarik? 

A Boufarik, cela s’est passé avec une dizaine de participants dans le cabinet d’ophtalmologie de Sonia Benhamiche (https://bit.ly/3Bajknk). Ils ont ensuite créé le collectif l’Oeil artistique. Ils m’ont appelé pour les conseiller et qu’on réfléchisse à un concept. Ils ont décidé à chaque fois de changer de lieu pour aller dans des endroits hétéroclites qui ne sont pas destinés à des expositions : la rue, des cafés, des salons de thé, des bureaux, des hôpitaux, des halls de mairie…J’ai accepté de jouer le jeu. Pour cet événement, on se côtoie avec une vingtaine de personnes. On s’adapte à cette agence en communication et marketing. 

Vous avez choisi d’être hébergé par Pi Relations. Comment vous est venue l’idée de vous associer à cette agence de communication et de marketing ?

Sonia et Nour Ezzraimi (https://bit.ly/3J3MVRl) participaient à une émission de radio. Une personne présente leur a fait la proposition de venir exposer dans ses bureaux.On demandait à ce qu’il y ait de l’espace, des murs blancs, des coins et des recoins. Nous sommes venus avec Sonia visiter le lieu qui est magnifique. C’est une belle villa qui est située à Kouba*. On a tout de suite accepté à condition qu’on nous laisse faire ce qu’on veut sans censure. 

Voyez vous des similitudes dans le processus créatif entre les deux entités?

Pi Relations est une agence avec des jeunes graphistes et des spécialistes en marketing. Ils sont volontaires et ont une version ouverte et moderne sur le monde. Ils veulent avancer. Sa directrice est très fervente d’art contemporain. 

En vous installant dans ce lieu vous êtes en totale adéquation avec l’adn du collectif qui est de casser les codes de l’art?

Exactement. On les a cassés même si cela continue d’être dur. On s’adapte. C’est très compliqué pour eux parce qu’ils ne sont pas habitués. Pendant les 15 jours d’exposition, les employés vont être à leurs bureaux et les gens vont déambuler. Cela crée une dynamique. 

En tant que « commissaire d’exposition », quelle couleur avez vous voulu donner à cet événement?

Ce sera multicolore, très dynamique. Il n’y aura aucune restriction technique. Une liberté totale. Il faut enlever les oeillères pour qu’on puisse voir à 360 degrés.

En quoi sera-t-il différent de la première exposition de Boufarik?

L’espace est quatre ou cinq fois plus grand. Les travaux sont mieux présentés, bien encadrés pour certains ou sur de bons supports. Les oeuvres doivent être pérennes même s’il y a des installations.

Le programme a l’air assez riche. Pouvez vous nous en parler ? 

Cela se fera en trois moments forts. Pour l’ouverture, samedi à 18h, on a la chance d’avoir Malika Chitour et Mustapha Belfodil qui sont dans la poésie. On terminera la journée par un concert alto avec Mounia El Hamri. Le 30 juillet, il y aura un atelier intitulé « Face à la caméra ».Il sera animé par Gaelle Emeury, qui est doctorante à Paris, et Wassim Belaribi. Il y aura une caisse avec une caméra qui sera branchée pendant toute la durée de l’exposition. Je pense que le public va écrire et dire des choses. Après il y aura une conférence qu’on donnera Gaelle et moi. Le thème est :  » l’appropriation artistique de l’espace public en Algérie« .En discutant avec Gaelle, je lui ai dit qu’on a déjà le Tassili. Il est ancestral. C’est 110 millions d’années. Ce n’est pas le street art de Barbès ou d’Hollywood. L’écriture et la peinture sur les murs est une tradition très ancienne chez nous. Les maisons kabyles, celles des Aurès tel qu’au Ghoufi sont peintes avec des écritures à l’intérieur. Après cela, il y aura un concert piano de musique andalouse donné par Fatma Zahra Chine. Le dernier temps fort sera le mardi 2 aout, pour la clôture, avec une guesra musicale. Ce ne sera pas très protocolaire. Les gens vont venir avec leurs guitares jouer. Et il y aura peut être une grande surprise avec un ami artiste. Si l’événement réussit à cette période de l’année, ce sera vraiment bien et fort. J’y crois car on reçoit beaucoup d’appels, des sollicitations de la presse et des radios.

A ce propos les médias s’intéressent de plus en plus à vos actions. Sentez vous une attente artistique de la part de la société ?

C’est à double tranchant.La presse attend beaucoup de ces jeunes et de moi. Cela fait deux ans qu’il n’y a pas eu d’expos de groupe. Beaucoup de lieux et d’espaces artistiques ont malheureusement fermé sur Alger par manque d’investissement, d’argent. C’est une catastrophe.On aurait aimé avoir 1/1000ème de ce qu’ont le foot ou les Jeux Méditerranéens. Les artistes n’ont absolument rien. Ni subvention,  ni aide, ni lieu de production, ni de diffusion. On a peut être 4 ou 5 galeries sur Alger qui sont davantage des salles d’accrochage. C’est malheureux pour une ville qui a enfanté Adel Samat, Denis Martinez, Koraichi, Abdi, Yamou et tant d’autres…

La plupart des événements se passe dans l’après midi. Est ce pour permettre au plus grand nombre d’y assister?

Oui. C’est un peu retiré à Kouba. C’est pour que les gens aient le temps de venir, de flâner. Il y a un très beau jardin.On est certains que les gens vont venir et revenir. 

En tant que prof aux Beaux Arts d’Alger, est ce que la scène artistique algérienne doit pas passer par des formes collectives comme la vôtre pour exister?

Des fois l’union fait la force. Travailler en groupe, c’est très bien.Le collectif ne veut pas dire qu’on réfléchit de la même façon mais qu’on se met en groupe pour être une force. Quand on connait l’histoire de l’art européen ou d’Amérique du nord, beaucoup de groupes et de mouvements ont contribué à l’émancipation, la démocratisation ou l’ouverture des arts plastiques ou culturels. Chez nous, il y a eu le groupe Aouchen, dans les années 70, puis Sebarine. Cela commence à marcher. A Oran, il y a un collectif qui s’appelle Taoussa. Dans notre argot, quand quelqu’un va construire quelque chose, tout le monde vient l’aider bénévolement. Pourquoi ne pas prendre ces exemples ancestraux dans le domaine de l’art et leur donner un message contemporain.

Quid de l’évolution de l’art en Algérie ?

La peinture et le design algériens marchent très bien à l’étranger. On revient de Milan avec 22 designers algériens et de la biennale d’Afrique du Sud. Un Algérien a obtenu un grand prix grâce à une chaise qui a été vendue à France 3 pour le journal télévisé. En Oranie, à Constantine, à Tizi Ouzou ou à Annaba – en collaboration avec l’Institut Français -, il y a beaucoup de galeries ou de centres d’art qui ouvrent. A Alger un certain nombre va rouvrir.On a fait beaucoup de pression pour qu’ils rouvrent. En ce qui concerne le marché de l’art, on réfléchit sur la manière dont l’Etat peut investir, sur comment les musées doivent acheter, comment les entreprises nationales et les grands sponsors peuvent s’impliquer. Les privés doivent aussi s’y mettre comme en Tunisie et au Maroc.

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

* 22, Rue Rachid TERKI, Algiers, Algeria.