Julien Mette vient de boucler une année à la tête de la sélection de Djibouti qui participera aux qualifications pour la Coupe du monde 2022 dans le groupe de l’Algérie. Pour sa première expérience en tant que sélectionneur, le Bordelais de 38 ans dresse un panorama du football djiboutien. Il nous parle aussi des solutions qu’il tente de mettre en place pour le faire progresser.

Vous êtes à la tête de la sélection de Djibouti depuis un an, quel bilan faite vous?

Julien Mette : J’ai signé au départ pour m’occuper des U17 et de l’équipe A qui a été à l’arrêt pendant deux ans. On l’a relancée en juillet 2019. En cinq mois de compétition, entre juillet et décembre, le bilan est positif. On a fait 12 matchs avec 4 victoires, 4 nuls et 4 défaites. Sur les quinze-vingt dernières années si Djibouti faisait une victoire dans l’année, c’était un bon résultat.On s’est bien défendus dans les 3 compétitions officielles qu’on a eues. Pour les qualificatifs pour le CHAN, on a fait trembler l’Ethiopie en faisant deux défaites (0-1 et 4-3 chez eux). Ensuite, on s’est qualifiés pour la phase de poule pour le Mondial 2022 au Qatar.Et pour les éliminatoires de la CAN, on a amené la Gambie aux pénaltys après deux match nuls, 1-1 à chaque fois.Nous n’étions pas très loin.  C’est un bilan qui est au delà de ce que tout le monde pensait ici.L’année 2019 a été assez historique sur le plan comptable. J’ai par ailleurs utilisé beaucoup de jeunes. J’ai lancé pas mal de joueurs de 17, 18, 19 ans. Il n’y a qu’un seul trentenaire sur les 40 joueurs que j’ai testés. La moitié de l’équipe est composée des U23.Il y a donc un renouvellement et un rajeunissement de l’effectif qui permet un nouvel un état d’esprit.

Quel état d’esprit prévalait avant votre arrivée?

Avant, il y avait une forme de sinistrose. On avait l’impression que Djibouti allait toujours perdre, que ce soit chez les joueurs ou au sein de la fédération. A part le président qui est optimiste, j’ai vu des gens qui avaient la « loose ». Aujourd’hui, on aborde différemment les compétitions. On croit un peu plus en nous. On a obtenu des résultats relatifs avec un bon style de jeu.On est pro-actifs avec ou sans le ballon. On ne reste pas derrière quand on n’a pas le ballon. En attaque, on essaie de construire par des jeux de passe. Je suis content de la manière dont les joueurs ont été réceptifs au projet. Les résultats sont bien mais ils auraient pu être mieux si on avait été plus expérimentés.

Il parait que vous ne vouliez pas être entraineur ?

C’est vrai mais au tout départ. J’ai été joueur amateur dans la région bordelaise. Je ne voulais pas être professeur de STAPS (éducation physique). J’ai fait une faculté de sociologie et en parallèle j’étais dans l’éducation nationale.Je suis entré comme entraineur par hasard car le club où je jouais manquait d’un éducateur pour les U13.Le Président m’a proposé. C’est comme cela que je suis devenu coach.J’ai été éducateur de l’âge de 20 à 33 ans.J’ai fait toutes les équipes de jeunes, et notamment à Libourne Saint-Serin qui jouait en deuxième division. J’ai fait 4 ans chez eux dont 3 en professionnel. J’étais responsable des U14-15 et de l’académie. Cela m’a permis de côtoyer le très haut niveau.On avait des contacts avec les gros centres de formation. Nos jeunes allaient faire des essais chez eux.C’est à ce moment là que j’ai eu le déclic.J’ai vu que ce n’était pas inaccessible sur le plan intellectuel et au niveau de la mise en pratique. Je suis parti, à 33 ans, au Congo Brazzaville car il n’y avait pas de propositions dans ma région. J’ai fait deux ans avec un petit club qui jouait le maintien.J’ai ensuite managé l’AS Otôho, l’équipe qui est régulièrement championne. J’avais signé pour être entraineur mais je suis me retrouvé en tant que Directeur sportif en tribune.C’est cette année là où on a joué le Mouloudia d’Alger en préliminaires de la ligue des champions. C’était en 2018. Une très mauvaise année pour moi.Ce club est la caricature des équipes africaines qui ont les mauvaises intentions à savoir trouver un électorat politique, se faire du pognon sur le dos du propriétaire plutôt que d’avoir des objectifs sportifs. A la fin de l’année 2018, j’ai été contacté par Djibouti pour ce poste.

Vous êtes le premier occidental à prendre en main cette sélection. Y-a-t il eu des différences culturelles qui se sont posées dans votre façon de manager?

Je n’ai eu aucun problème avec les dirigeants ou avec les joueurs. Quand je viens, je n’arrive pas avec une forme de pitié parce qu’ils n’ont pas la base. Je les engueule comme si je le faisais avec des Français.J’ai instauré un code de conduite et des amendes. Je suis exigeant et sévère avec eux. Je ne leur cherche pas d’excuses. Tout le monde se plie à ces règles de vie.Je pense qu’ils ont aimé cela. Ils étaient en attente de considération. C’est ce qui les a fait rapidement progresser. Ils ont senti que je les respectais et que je ne les prenais pas pour des sous-joueurs. Le Président m’a dit de choisir mes hommes. Cela m’a permis d’en écarter d’autres.Je ne suis pas venu pour me faire des copains.

Etes vous arrivé avec un staff réduit?

Non, je suis venu seul. J’ai des assistants locaux qui s’occupent des gardiens ou de la préparation physique. Sur des périodes courtes, je peux faire venir des intervenants extérieurs. Il n’y a pas les fonds pour faire venir un adjoint à temps plein ou sur une longue durée.

Quel type de football avez vous découvert sur place?

C’est un football de rue y compris au niveau du championnat.On n’est pas dans la compétition. Cela manie très bien le ballon. Ils sont sur des terrain synthétiques donc ils peuvent poser le cuir au sol.Même les gardiens relancent au pied. En revanche, dans le football dit « organisé », il n’y a pas la mentalité d’efficacité. Dans les surfaces de vérité, il n’y a pas le geste qui « tue » du buteur ou le dégagement en tribune quand c’est chaud sur le plan défensif. Le positionnement tactique sur le terrain avec ou sans ballon est très médiocre.Cela s’arrange un peu mais c’est le principal truc qui manque.J’ai beaucoup bossé la tactique à travers les positionnements et déplacements avec et sans ballon. J’ai aussi travaillé la mentalité de compétition.

Ce sont de vrais passionnés de football que vous me décrivez?

Oui.Quand on a perdu face à l’Ethiopie, par un seul but d’écart, cela a suscité de l’espoir car avant l’équipe perdait par 4 ou 5 buts de différence. Pour cette rencontre, le stade était rempli à 80% mais dès la seconde confrontation il était plein. Contre la Gambie pour notre troisième match, c’était bourré à craquer avec des milliers de personnes qui ne pouvaient pas rentrer dans le stade. Il y a une grande attente car les Djiboutiens voyaient le foot comme un sport qu’ils pouvaient pratiquer mais dont ne ils ne sortiraient jamais vainqueurs. Ils se disaient que ce n’était pas fait pour eux.Ils ont un gros complexe par rapport à leur gabarit. En Afrique de l’Est, ils sont plutôt chétifs. Ils ont des prédispositions pour être très endurants mais ils n’ont ni puissance, ni masse musculaire. Dans les duels, c’est un peu difficile. Quand on arrive à un certain niveau de compétition les adversaires ne sont pas les mêmes en taille et en morphologie. 

Si deviez estimer le niveau du championnat, quel serait-il par rapport à ce qui se fait en France?

C’est un championnat qui est faible.Les deux ou trois clubs un peu structurés qui jouent le haut de tableau seraient du niveau National 3 (5è division) en France. Quand on prend les meilleurs joueurs de ces équipes, qui constituent 95% de ma sélection, et qu’on les fait bien bosser, cela donne des footballeurs de niveau National (3è division). Quand je regarde des matchs de National, je ne vois pas tellement de différence en terme d’intensité avec mon équipe nationale de Djibouti. 

Y-a-t-il dans votre projet l’exportation de joueurs pour qu’ils aillent s’aguerrir à l’étranger?

Tout à fait. Ceux qu’on amènerait en France, ce serait les jeunes talents entre 16 et 20 ans. Nous avons certains éléments qui ont entre 20 et 25 ans. Ils peuvent jouer dans les championnats de la péninsule arabique ou du Maghreb. C’est ce qu’on essaie de développer car le niveau de notre équipe s’améliorera quand nos joueurs auront l’habitude de s’entrainer tous les jours et de manière professionnelle. C’est un axe d’amélioration très important pour notre football. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

Dans la deuxième partie de l’entretien, le sélectionneur de Djibouti nous parlera du groupe des qualificatifs pour le Mondial au Qatar et notamment de l’Algérie son premier adversaire.